Les Karanes de Madagascar toujours en attente de nationalité
À la rubrique nationalité, le nouveau permis de résidence d'Ibrahim indique seulement « indéterminé ».
MAHAJANGA, Madagascar - Ibrahim Ickbal, 50 ans et père de deux enfants, travaille depuis ses 15 ans dans la même bijouterie de Mahajanga, une ville côtière au nord de Madagascar. Bien qu’il gagne tout juste de quoi payer le loyer de la maisonnette de deux pièces où il vit avec sa femme et ses enfants, il s’estime chanceux du simple fait d’avoir un emploi.
Ibrahim appartient à la communauté karane, un groupe ethnique minoritaire de Madagascar. Bien que plus d’un siècle se soit écoulé depuis l’arrivée de sa famille à Madagascar depuis l’Inde, Ibrahim n’a pas la nationalité malgache. Comme une bonne partie des Karanes de Madagascar, et comme son père avant lui, il est apatride.
Bien que l’on n’ait pas de chiffres exacts, le HCR estime qu’il existe aujourd'hui dans le monde des millions de personnes sans nationalité aucune. La majorité appartient à des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques.
Quand Madagascar, autrefois française, est devenue indépendante en 1960, la plupart des Karanes n'ont pas obtenu la nationalité malgache. Jusqu'à récemment, le Code de la nationalité malgache prévoyait l'octroi de la citoyenneté aux seuls enfants ayant au moins un parent de nationalité malgache, avec pour résultat que l'apatridie se transmettait souvent d'une génération à l'autre. Les Karanes représenteraient au moins 20 000 personnes et même si certains ont des affaires florissantes, ils sont nombreux à vivre dans la pauvreté, sans accès à l'éducation et à l'emploi formel.
Bien qu'ils vivent à Madagascar depuis de nombreuses générations, les Karanes apatrides doivent obtenir des permis de résidence pour demeurer légalement dans le pays. Récemment, Ibrahim a dû emprunter de l'argent à son employeur pour régler les frais de délivrance des nouveaux permis biométriques. « Avec mon modeste traitement, il me faudra deux ans pour rembourser ce prêt, » dit-il. « Ça représente un énorme investissement financier et malgré tout, je ne peux ni voter, ni voyager. »
À la rubrique nationalité, le nouveau permis de résidence d'Ibrahim indique seulement « indéterminé ».
Olivia Rajerison, 35 ans, est bien placée pour savoir à quel point l'apatridie pèse sur l'existence de milliers de gens à Madagascar. Avocate auprès de la Focus Development Association, partenaire de mise en œuvre du HCR à Madagascar, elle vient en aide aux apatrides pour leur permettre d'accéder aux services publics d'éducation et de santé. En outre, si la loi n'avait pas récemment évolué, sa propre fille n'aurait jamais obtenu la nationalité malgache.
Olivia est malgache, mais mariée à un citoyen français. Jusqu'au début de cette année où Madagascar a amendé son Code de la nationalité, les femmes malgaches mariées à des ressortissants étrangers ne pouvaient transmettre leur nationalité à leurs enfants. Certaines femmes ont contourné la loi en ayant d'abord leurs enfants et en épousant ensuite leurs partenaires étrangers, mais Olivia a donné naissance à son quatrième enfant après son mariage. Selon les dispositions antérieures, sa fille n'aurait pas pu obtenir la nationalité malgache et aurait été considérée comme étrangère dans son pays de naissance. Dans les cas où le père ne pouvait transmettre sa propre nationalité, les enfants se retrouvaient apatrides. Grâce au récent amendement, hommes et femmes jouissent aujourd'hui de droits égaux en matière de transmission de leur nationalité à leurs enfants, ce qui réduit les risques d'apatridie.
« Je suis soulagée que ma fille n'ait pas à s'inquiéter de sa nationalité. Je suis également fière d'avoir pris part à cette évolution positive dans mon pays grâce à mon travail, » dit Olivia en ajoutant : « il y a encore un long chemin à parcourir. Bien d'autres restent confrontés à de graves incertitudes, des empêchements et des souffrances du fait de leur absence de nationalité. »
- Voir aussi : « J’ai l’impression de renaître » : la citoyenneté apporte un nouvel espoir à une minorité apatride au Kenya
Outre les Karanes, un nombre inconnu de personnes appartenant à d'autres groupes minoritaires de Madagascar est toujours apatride. Par ailleurs, les amendements récents du Code de la nationalité malgache ne permettent toujours pas aux femmes de transmettre leur nationalité à leurs époux étrangers, une évolution qui permettrait pourtant de résoudre la situation de personnes comme Ibrahim qui est marié à une Malgache.
En 2017, le HCR a organisé des consultations avec la communauté karane et d'autres minorités apatrides du Kenya et de l'Ex-République yougoslave de Macédoine pour mieux cerner les conséquences de l'apatridie sur leur existence. Leurs témoignages ont donné lieu à la publication d'un rapport intitulé Les minorités apatrides en quête de citoyenneté.
« La réforme du Code de la nationalité est une étape importante et encourageante sur la voie de la réduction des cas d'apatridie à Madagascar, » constate Melanie Khanna, Responsable au HCR de la section Apatridie à Genève. « Le HCR préconise l'ajout de nouveaux amendements au Code de la nationalité afin de l'aligner sur les normes internationales qui contribuent à prévenir et réduire l'apatridie. »