La poésie aide une jeune Afghane à trouver sa voie en Angleterre
Une réfugiée hazara a commencé l'école à « deux montagnes de chez elle » en Afghanistan. Après avoir trouvé refuge au Royaume-Uni, ses dons littéraires se sont révélés grâce au soutien d'un groupe de poésie, à Oxford.
Shukria Rezaei, une réfugiée hazara âgée de 15 ans et timide, est arrivée à Oxford avec des rudiments d'anglais. Elle est aujourd'hui une auteure de poésie reconnue et éditée.
© HCR/Jessica Lindgren-Wu
OXFORD, Angleterre – Personne, même parmi sa famille, ses professeurs ou ses 900 camarades d’écoles, n’a été plus surpris que Shukria Rezaei lorsqu’elle a été désignée « meilleur poète » de son année. Cette jeune fille afghane, âgée de 15 ans, timide, et qui rencontrait encore des difficultés avec sa langue d’adoption.
L’école secondaire Oxford Spires Academy, dont la zone d’origine des élèves inclut des localités défavorisées, venait d’organiser un concours de poésie pour découvrir les talents qui pouvaient se cacher parmi ses étudiants parlant 54 langues différentes.
« Tout le monde était étonné, moi la première », dit Shukria, âgée de 20 ans aujourd’hui et étudiante boursière à l’université de Londres. Elle se souvient du moment où l’auteure Kate Clanchy, qui était en résidence dans son école et juré du concours, a annoncé qu’elle avait remporté le premier prix.
Un an auparavant, Shukria et sa mère - des réfugiées hazaras – étaient arrivées à Oxford en provenance de Quetta, au Pakistan, une ville qui accueille une grande population de déplacés afghans. En 2011, après trois années de séparation, la mère et la fille ont rejoint le père de Shukria, qui avait obtenu l’asile au Royaume-Uni.
« Je pouvais seulement comprendre ce qui était écrit. Je faisais simplement de mon mieux ».
Shukria, pour sa part, avait encore des difficultés à manier une langue dont elle avait appris quelques rudiments à l’école primaire en Afghanistan et dans une école pour réfugiés au Pakistan. Durant son enfance dans la province afghane de Ghazni, elle se réveillait avec le bêlement des troupeaux de moutons qui se dirigeaient vers le champ et, quelques heures plus tard, elle prenait le chemin des montagnes avec une douzaine de filles.
« L’école se trouvait à deux montagnes et il neigeait beaucoup », explique Shukria au HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. « Nous prenions le chemin dans la roche et le trajet durait une heure et demi ».
En Afghanistan et au Pakistan, où les enfants récitent des couplets de poésie à l’école, Shukria Rezaei faisait partie des meilleurs élèves ; mais en Angleterre, sous l’épais pull violet d’un étrange uniforme scolaire, elle avait des difficultés à suivre.
« Je pouvais seulement comprendre ce qui était écrit », raconte Shukria Rezaei à propos de sa première année. Elle explique qu’elle a surmonté cette épreuve en lisant, plutôt qu’en parlant, et en copiant tout ce qui était écrit au tableau. « Je faisais simplement de mon mieux». Après le prix de poésie, la situation a changé. Du sentiment d’être invisible, Shukria a soudainement acquis une identité au sein de l’école. Entre-temps, Kate Clanchy l’avait invitée à rejoindre un groupe de poésie qu’elle avait formé, avec l’intuition que les calmes jeunes filles étrangères d’Oxford pourraient avoir des choses à dire.
Kate Clanchy, dont l’expérience de l’école lui a donné l’intuition que la perte d’une langue à un âge précoce peut développer un don pour la poésie, recherchait des élèves introvertis capables de lire dans deux langues, de préférence, et vivant entre deux cultures. Elle s’est plus particulièrement intéressée aux filles pour former son groupe, parce qu’elle pensait que celles qui grandissaient dans des familles strictes pourraient s’exprimer plus facilement sans la présence de garçons.
« Au début, je n’arrivais pas à parler », raconte Shukria. Mais petit à petit, au sein du groupe de 15 à 20 poètes en herbe, elle finit par oser s’exprimer. Ensemble, ils lisaient les poèmes de Carol Ann Duffy, Simon Armitage et W.H. Auden, en étudiant le vocabulaire, les sauts de ligne, la ponctuation ou la longueur des vers, puis elles se sont mises à écrire de la poésie. Rapidement, ces réunions sont devenues « des moments que j’avais hâte de retrouver », dit Shukria.
Kate Clanchy a très vite repéré le talent de Shukria. « Elle a son propre langage, et je pouvais y voir toute son intelligence », explique l’auteur. « Cela doit être très frustrant d’être une personne très brillante et d’être privée de sa langue ».
« L’Afghanistan reste cher à mon cœur », dit-elle, « mais j’ai encore beaucoup à accomplir ici avant de rentrer ».
Depuis, les écrits de Shukria Rezaei ont été publiés dans la revue Oxford Poetry, le célèbre magazine littéraire qui a révélé quelques grands auteurs du pays. Elle fera aussi partie des auteurs d’un recueil intitulé « England » (« Angleterre »), publié par l’éditeur Picador, en juin ; et l’un de ses poèmes « Homesick » (« Le mal du pays ») a déjà été traduit en allemand.
En septembre dernier, Shukria représentait en effet la ville d’Oxford dans le cadre d’un échange de jeunes avec Bonn, la ville à laquelle elle est jumelée. Il s’agissait de produire des images et des textes pour un site Internet qu’elle a aidé à développer. Lorsqu’elle était en terminale à Oxford Spires, où elle a excellé en sciences politiques et en philosophie, Shukria a été choisie par la Forward Art Foundation, une organisation qui vise à ouvrir la poésie au plus grand nombre, pour devenir marraine et tutrice de jeunes élèves, parmi lesquelles une Syrienne, une Pachtoune d’Afghanistan et une Egyptienne.
« Elles avaient toutes tellement de maturité. Elles avaient beaucoup de talents et elles étaient studieuses, cela ne plaisantait pas », souligne Shukria. Ensemble, elles lisaient des vers du poète persan Roumi, qui est une source d’inspiration dans leur propre travail. Très vite, elles n’ont plus eu besoin de rester sages. »
Venues de pays aussi différents que le Bangladesh ou la Hongrie, beaucoup de ces jeunes filles étrangères, devenues poètes en herbe avec l’aide de Kate Clanchy, ont gagné de la confiance en elles et, comme Shukria, elles ont entrepris d’autres défis.
L’une d’elles, une étudiante en droit, a été reçue au barreau ; une autre étudie l’écriture créative à Warwick, d’autres se sont inscrites à l’université, à St. Andrews ou Bath.
Comme beaucoup d’enfants de réfugiés, Shukria Rezaei est tout à fait consciente des espoirs que ses parents placent en elle. Même dans les moments les plus difficiles, au milieu de grands bouleversements, abandonner n’a jamais été une option, ni pour eux, ni pour elle.
Lorsqu’on lui demande ce qu’elle dit aux jeunes filles qui suivent la même voie qu’elle, elle répond : « Tu y arriveras ». « Si vous ne comprenez pas, que vous vous sentez parfois déprimée ou que vous pensez que c’est trop difficile, continuez ! Vous finirez par y arriver. »
Shukria trouve ses marques à Londres, une autre adaptation à faire après avoir vécu à Quetta, puis à Oxford. Elle a obtenu une bourse d’études au Goldsmiths College et a opté pour les sciences politiques, la philosophie et les sciences économiques, des matières qui lui permettront d’obtenir un diplôme en droit, espère-t-elle.
Beaucoup de son enfance en Afghanistan lui manque mais, pour l’instant, elle concentre ses espoirs sur l’Angleterre. Elle a récemment passé son permis de conduire et elle découvre le milieu de l’écriture créative.
« L’Afghanistan reste cher à mon cœur », dit-elle, « mais j’ai encore beaucoup à accomplir ici avant de rentrer ».
Poèmes de Shukria Rezaei
I Want a Poem I want a poem with the texture of a colander on the pastry.
A verse of pastry so rich it leaves gleam on your fingertips.
A poem that stings like the splash of boiling oil as you drop the pastry in.
A poem that sits on a silver plate with nuts and chocolates, served up to guests who sit cross legged on the thoshak.
A poem as vibrant as our saffron tea served up at Eid.
Let your poetry texture the blank paper like a prism splitting light
Don’t leave without seeing all the colours. |
A Glass of Tea (after Rumi) Last year, I held a glass of tea to the light. This year, I swirl like a tealeaf in the streets of Oxford.
Last year, I stared into navy blue sky. This year, I am roaming under colourless clouds.
Last year, I watched the dazzling sun dance gracefully. This year, The faint sun moves futurelessly.
Migration drove me down this bumpy road, Where I fell and smelt the soil, where I arose and sensed the cloud.
Now I am a bird, flying in the breeze, Lost over the alien earth.
Don’t stop and ask me questions. Look into my eyes and feel my heart.
It is bruised, aching and sore. My eyes are veiled with onion skin.
I sit helplessly in an injured nest, Not knowing how to fix it.
And my heart, I’d say Is displaced
Struggling to find its place. |