Les réfugiés jouent un rôle vital pour l'économie locale
Une enquête révèle l'ampleur des opportunités qui s'offrent au secteur privé dans le camp de réfugiés de Kakuma, au Kenya, et dans la ville voisine.
Esperanza Tabisha, une styliste réfugiée originaire de la République démocratique du Congo, présente ses dernières créations dans son échoppe de tôle ondulée au camp de réfugiés de Kakuma, dans le nord-ouest du Kenya.
Deux clientes viennent voir ce qu'elle vend. L'une d'entre elles est réfugiée, l'autre travaille pour une ONG locale. La plupart des créations sont faites de kitenge, un tissu traditionnel épais et brillant, imprimé de couleurs vives.
Les deux femmes semblent conquises. L'une d’elles décide d'acheter une robe pour 1 800 shillings kenyans (18 USD). L'autre passe commande pour un ensemble jupe longue et haut qu'elle paiera 2 000 shillings kenyans (20 USD). Les deux femmes repartent, satisfaites de leurs achats, et Esperanza continue à organiser la présentation de sa marchandise.
« Rien ne vaut une cliente heureuse. »
Cette jeune femme d’affaires de 27 ans compte parmi des milliers de réfugiés entrepreneurs et propriétaires d'entreprises établis à Kakuma ou dans la ville voisine, dont la population totale, composée de réfugiés et de résidents locaux, avoisine 250 000 habitants.
Esperanza a lancé sa propre marque, Esperanza Fashion & Design, en 2011 avec à peine 22 000 shillings kenyans (220 USD), après avoir fui les violences de la province du Nord-Kivu en RDC et trouvé refuge au Kenya.
Le camp de réfugiés de Kakuma accueille 180 000 habitants avec les talents des habitants de grandes villes et une ambition sans limites. (Stephan Bachenheimer, camera-édition)
Elle voulait continuer à travailler dans le domaine de la création de mode, en dépit de son statut de réfugiée au Kenya. Ses créations originales ont rapidement trouvé leur place dans le secteur dynamique de la mode du camp de Kakuma, attirant des clients issus tant de la communauté des réfugiés que de la population locale. La vente de ses créations lui rapporte environ 120 000 shillings kenyans (120 USD) par mois.
« J'adore mon travail », dit-elle. « Rien ne vaut une cliente heureuse. »
Esperanza a réinvesti l'argent qu'elle a gagné dans son entreprise. Elle a acheté une machine à coudre, un fer à charbon pour repasser les vêtements, et d'autres outils pour améliorer la qualité de son travail. Mais malgré le succès que connait son entreprise, et qui assure sa subsistance et celle de sa famille élargie, Esperanza explique qu'il subsiste encore des défis.
« Je suis vraiment ravie de ce que je fais », dit-elle. « J'adore mon travail de styliste et créer des vêtements. Mais ce que je gagne suffit tout juste à subvenir à mes besoins essentiels. Pour développer mon entreprise, il me faudrait une aide financière que je puisse rembourser progressivement. »
Le cas d’Esperanza illustre l'étude An innovative study réalisée par la Société financière internationale (IFC) et le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, publiée le 4 mai, et qui conclut que de nombreux réfugiés ne sont pas simplement les bénéficiaires passifs de l'aide, mais qu’ils participent activement à l'activité économique. Selon le rapport, le camp et la ville voisine offrent des opportunités d’affaires aux organisations du secteur privé.
L'étude a examiné le camp de Kakuma sous l'angle de la création d'une entreprise privée. Elle a constaté que plus de 2 000 entreprises et petites échoppes sont établies dans le camp de Kakuma et que l'économie de la zone représente 6 milliards de Shillings (56 millions d'USD). Selon l'étude, la moitié des revenus des foyers sont dépensés en produits de consommation, un marché dont la valeur annuelle dépasse 26 millions d'USD.
Les données recueillies portaient sur la propriété d’entreprises, le niveau de consommation et l'accès au financement, les télécommunications, l'éducation et l'emploi. Les résultats montrent que l'économie de Kakuma est florissante et qu'il existe des opportunités d’investissement pour le secteur privé, tant dans des entreprises de la communauté des réfugiés que de leur communauté d'accueil ; celles-ci favorisent l'autosuffisance, l'indépendance financière et l'autonomisation des réfugiés, diminuant de ce fait leur dépendance de l'aide humanitaire tout en contribuant à leur intégration économique et sociale.
« Nous devons mettre un terme aux préjugés qui dépeignent les réfugiés assis dans le camp, à ne rien faire, et bénéficiant de l'aide », explique Raouf Mazou, le représentant du HCR pour le Kenya.
« Bon nombre d’entre eux sont occupés à gérer des entreprises, à créer des emplois pour les autres, et à accomplir d’autres tâches importantes pour établir formellement leurs entreprises. »
« Nous avons tendance à imaginer le secteur privé comme quelque chose de complexe, issu de l'extérieur, mais la plupart du temps il se construit à partir d'initiatives de particuliers qui veulent gagner de l'argent en faisant ce qu'ils savent bien faire, par exemple un réfugié qui fait du pain. »
« Je suis vraiment ravie de ce que je fais. »
Dans le camp de Kakuma, les chercheurs ont recensé plus de 2 100 petits commerces au service d'une population mixte. Parmi les réfugiés interrogés, 12 pour cent se déclarent propriétaires d'entreprises.
Ils concluent que ces résultats sont positifs, sachant que la plupart des réfugiés arrivent au Kenya avec pour seul bagage les vêtements portés le jour de leur fuite en exil. Des limites sont par ailleurs imposées à leur liberté de mouvement dans le pays, à la possession d'une entreprise enregistrée ou d’une propriété foncière.
Selon l'étude, la qualité de la connectivité à l'internet dans une grande partie du camp de Kakuma et le bon taux de pénétration de la téléphonie mobile ont ouvert de nouvelles opportunités aux éventuels investisseurs privés. La part d’accès aux téléphones mobiles est de 69 pour cent des réfugiés et 85 pour cent de la communauté d'accueil.
La connectivité a permis à Esperanza de développer ses affaires. Les clients peuvent choisir parmi les modèles de la gamme qu'elle propose en ligne.
« L'internet, les réseaux sociaux, surtout Facebook et Instagram, jouent un rôle important pour attirer des clients potentiels, puisque c'est là que je fais ma publicité », explique-t-elle.
Selon l’étude, les investissements du secteur privé à Kakuma permettent non seulement aux réfugiés propriétaires d'entreprise de subvenir à leurs besoins, mais profitent aussi à la communauté d’accueil. Les réfugiés recrutent souvent leur personnel parmi la population locale et ils achètent leur bétail, leur bois, le charbon de bois et d'autres produits aux fournisseurs de la communauté locale.
« Les conflits, la violence et les persécutions ont poussé davantage de gens à fuir leurs foyers qu’à n’importe quel moment de la Seconde Guerre mondiale », a déclaré Philippe Le Houérou, le directeur exécutif d'IFC.
« Pour faire face à ce défi, l'aide gouvernementale est limitée. Les investissements du secteur privé sont susceptibles de faire sérieusement changer les choses en créant des emplois et des opportunités pour les réfugiés. Mais les investisseurs ne disposent cependant pas souvent des informations nécessaires pour se lancer sur ces marchés. Cette étude constitue une première étape importante pour renforcer l'investissement privé dans un marché encore inexploité. »
L'IFC et le HCR espèrent que cette étude attirera l'attention du secteur privé sur Kakuma et les opportunités de marché qu’offre le camp dans le domaine des télécommunications, de la santé, de l'éducation, du logement et de l'électricité.
Le rapport conjoint conclut qu'attirer le secteur privé et les entreprises du secteur social dans la région de Kakuma et soutenir les entrepreneurs réfugiés et locaux est susceptible de développer les opportunités d'emploi, d'améliorer le niveau des services, d'offrir davantage de choix et de faire baisser les prix pour tous.
« Cela pourrait ensuite renforcer l'autosuffisance des deux communautés ainsi que leur intégration socio-économique tout en contribuant au développement de la région d'accueil, ce qui s’inscrit dans l'esprit du programme mondial du Cadre d'action global pour les réfugiés », constate le rapport.
Il appelle à la réalisation de trois objectifs clés :
- Inciter tant des entreprises commerciales que des entreprises sociales du secteur privé à s'établir sur le marché et à permettre à des entreprises établies dans la zone de se développer
- Renforcer l’esprit d’entreprise des communautés de réfugiés et d'accueil, avec un accent particulier sur les jeunes et les femmes, en aidant leurs entreprises à se développer et en offrant des formations professionnelles, des services de développement d'entreprise et des opportunités de microfinancement
- Soutenir le débat politique et les efforts de sensibilisation centrés sur la création d’un environnement commercial favorable et sur l’attraction d’entreprises du secteur privé dans la région.