« Je veux un monde qui ne soit pas en mille morceaux, en guerre »
La Haut-Commissaire adjointe Kelly T. Clements, la femme la plus haut placée dans la hiérarchie du HCR, évoque de manière poignante les sujets qui la tiennent éveillée durant la nuit.
Kelly T. Clements, la Haut-Commissaire adjointe du HCR, en visite dans le camp de réfugiés de Nayapara, au Bangladesh.
© HCR/Andrew McConnell
Nom : Kelly T. Clements, originaire des États-Unis d'Amérique
Fonction : Haut-Commissaire adjointe du HCR
Au tout début de votre carrière, en 1992, vous étiez au Bangladesh pour travailler avec les réfugiés rohingyas. Pouvez-vous m'en parler ?
Ce que j'ai vécu (en 1992 avec le HCR) à Cox’s Bazar est précisément la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui, en train de vous parler. Un grand nombre de personnes avait traversé la frontière du Myanmar. C'était surpeuplé, très chaotique. Nous avons presque eu des émeutes parfois pour la distribution alimentaire. Nous avons dû modifier le système pour veiller à ce que les plus vulnérables soient effectivement nourris. Je me souviens des gens qui faisaient la queue au soleil pendant des heures, sous des parapluies noirs. C'était profondément bouleversant.
Avez-vous le souvenir d'une rencontre que vous avez eue à cette époque et que vous n'avez jamais pu oublier ?
Il y avait une famille, une femme avec trois ou quatre très jeunes enfants. Elle avait perdu sa carte de ration alimentaire lors d’un mouvement de foule. Elle n'avait pas pu nourrir ses enfants depuis plus de deux semaines. Elle était en larmes pendant notre entretien. Ça a mis un certain temps, mais nous avons pu lui obtenir une autre carte. À l'occasion d'une autre visite, elle a appris que j'étais dans le camp et elle est venue me trouver. Je me souviens parfaitement de son visage. Elle avait les larmes aux yeux et elle m'a dit, « Ce sont des larmes de joie. » Et elle a ajouté, « Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans le HCR. »
Vous êtes récemment retournée au Bangladesh pour évaluer le travail du HCR aujourd'hui pour l’aide aux réfugiés. Qu'avez-vous ressenti en retrouvant une situation similaire ?
C'était assez émouvant d'y retourner. Tant de gens sont venus ici, pas seulement pendant l’actuelle situation d'urgence, mais depuis les 25 dernières années. C'était bouleversant de voir des collègues pleinement dédiés à leur protection et à leur fournir assistance.
Kutupalong - over 500k new Rohingya arrivals in this refugee camp alone from #Myanmar - drastic change from 19k registered 4 years ago when I was last in #Bangladesh pic.twitter.com/Lxh1wVovit
— Kelly T. Clements (@KellyTClements) December 4, 2017
Avant le début de l’actuelle situation d'urgence, je crois qu’il existait un espoir réel que le HCR soit arrivé au bout de son travail au Bangladesh. Mais ceci a bien évidemment tout changé. Comment préparer les gens à pouvoir s'aider eux-mêmes ?
Vous arrive-t-il parfois de ressentir un certain désespoir ?
On se sent facilement désespérée et impuissante, plus particulièrement ces deux dernières années quand la situation est devenue tellement compliquée, que les frontières se ferment et les politiques deviennent plus restrictives, et qu’on traite les gens comme des objets inanimés et non comme des êtres humains. Ça me met en colère. Mais en parallèle, il y a aussi la volonté d’améliorer concrètement des vies. Je suis d'une nature plutôt optimiste. J'essaye toujours d’entrevoir le rayon de soleil qui perce à travers les nuages.
Nous verrons émerger des solutions. Nous vivrons le moment où les gens pourront rentrer chez eux ou reconstruire leur vie. J'étais en Guinée en 2003, lors du rapatriement des Libériens et j'ai rencontré cette jeune mère et son nouveau-né qui étaient sur le point de rentrer chez eux. La joie qu’on lisait sur leur visage était extraordinaire et c'est quelque chose qui m'est resté.
Qu'est-ce qui vous préoccupe dans votre travail ?
Notre organisation est cruellement à court de moyens. Lorsque nous ne parvenons pas à obtenir des fonds, du matériel d'urgence ou du personnel pour répondre assez rapidement à une situation d'urgence, c'est ce qui m'empêche de dormir la nuit.
Et vos espoirs ?
Je veux que nos enfants aient un avenir. Et je veux un monde qui ne soit pas en mille morceaux, en guerre, avec des gens qui refusent de se parler ou de traiter les autres de façon humaine. Tout revient à la façon dont nous préparerons nos enfants à contribuer au monde pacifique dont nous avons besoin.