Situation des réfugiés au Sahel : une crise sans précédent
Banque Mondiale, 29 Nov 2017
LES POINTS MARQUANTS
Le Sahel est confronté à des déplacements forcés sans précédent dont l’ampleur et la complexité laissent souvent les pays hôtes impuissants.
Le dernier guichet de l’Association internationale de développement (IDA18) propose une nouvelle approche globale, axée sur le développement, pour faire face à cette crise et compléter l’action humanitaire.
La sixième édition du Bilan économique, qui aborde des questions de développement clés au Tchad, en Guinée, au Mali et au Niger, explique la nature multidimensionnelle de cette crise, pointe du doigt l’insuffisance des politiques publiques et formule des recommandations.
N’DJAMENA, le 29 novembre 2017 – À Gondjé, comme dans de plus en plus d’endroits à l’est du Tchad, les tentes provisoires de l’ONU, qui s’étendent à perte de vue, font partie du paysage depuis bien longtemps et resteront probablement là si rien n’est fait pour aider les pays du Sahel à faire face à l’afflux massif de réfugiés. Selon la dernière édition du Bilan économique, publication semestrielle de la Banque mondiale consacrée aux questions clés de développement au Tchad, en Guinée, au Mali et au Niger, la question des déplacements forcés constituent un nouveau défi de développement dans la région, en particulier autour du bassin du lac Tchad. Dans cette région déjà fragile et pauvre, la présence de réfugiés n’est pas nouvelle mais l’ampleur et la complexité dramatiques de la crise actuelle, représentent un défi humanitaire et de développement sans précédent pour ces pays hôtes.
Intitulée « Réfugiés : le visage humain d’une crise régionale », cette quatrième édition du Bilan économique – qui distingue les personnes déplacées de force des migrants économiques – explique la nature multidimensionnelle des crises des réfugiés au Sahel. Elle décrit les conséquences lourdes de l’accueil de réfugiés pour le Tchad et le Niger et pour les communautés hôtes, dans un contexte de dégradation du tissu social et des conditions de vie. Une situation extrêmement complexe pour les pouvoirs publics, les communautés et les organisations humanitaires, dont les interventions peinent à faire face à l’ampleur de la crise.
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Photo: Emilie Jourdan/Banque mondiale
Deux situations coexistent dans la région : certains réfugiés venant du Darfour ou de République centrafricaine (RCA) se trouvent dans des situations de déplacement prolongé avec de faibles perspectives de retour, tandis que d’autres situations de déplacement (région du lac Tchad, frontière malienne au Niger) sont liées à des conflits aigus, la situation au lac Tchad étant particulièrement dramatique.
Le Tchad fait partie des pays qui accueillent le plus de réfugiés par rapport à leur population, abritant environ 391 000 réfugiés, dont 310 000 Soudanais, 73 000 Centrafricains et environ 9 000 Nigérians. Quant au Niger, il accueille 166 093 réfugiés, 121 391 personnes déplacées à l’intérieur du territoire (PDI) et 136 069 rapatriés. Au mois de juin 2017, l’on dénombrait près de 62 000 Maliens réfugiés au Niger, dont un peu plus de la moitié étaient des femmes et près des deux tiers avaient moins de 18 ans. Aggravant encore la situation, à la fin du mois de juin 2017, l’insurrection de Boko Haram avait causé le déplacement vers la région de Diffa de 248 000 personnes, dont 105 000 réfugiés nigérians, 15 000 rapatriés nigériens et 128 000 PDI.
Bien qu’il n’existe pas de données mondiales fiables sur le poids économique de la prise en charge de cet afflux massif de réfugiés, les États hôtes, dont la marge de manœuvre budgétaires est très limitée, reconnaissent que ces dépenses deviennent difficiles à tenir pour leurs finances publiques.
Pour faire face à ces défis, le rapport, qui constate que les meilleurs résultats sont généralement obtenus lorsque les acteurs humanitaires collaborent avec les acteurs du développement, préconise de déployer désormais une approche durable, en complément de l’action humanitaire d’urgence. Il faudra notamment améliorer la qualité de vie des communautés hôtes, s’attaquer aux vulnérabilités spécifiques auxquelles sont confrontés les réfugiés, notamment les pertes de biens et les traumatismes. Par ailleurs, les auteurs du rapport insistent sur la nécessité d’aider les institutions à mieux se préparer aux potentiels nouveaux afflux de réfugiés. C’est l’approche proposée par le nouveau guichet de l’IDA18 pour les réfugiés.
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Photo: Emilie Jourdan/Banque mondiale
« Il s’agit d’une situation sans précédent et nous proposons un changement stratégique important, consistant à compléter la réponse humanitaire existante, coordonnée par le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), par un effort de développement. Cela permettra à moyen terme aux réfugiés de progresser durablement vers l’autonomie et le développement socio-économique, et aux communautés d’accueil de mieux gérer les conséquences de ces déplacements forcés. L’IDA, fonds de la Banque mondiale pour les pays les plus pauvres a ainsi créé une fenêtre de financement de deux milliards de dollars pour aider les pays d’accueil à financer des politiques en faveur des réfugiés et des communautés d’accueil », explique Émilie Jourdan, chargée principale des opérations de la Banque mondiale dans ces pays.
La série Bilan économique présente les conclusions de travaux de recherche en cours pour encourager l’échange d’idées sur les grandes questions de développement clés au Tchad, en Guinée, au Mali et au Niger pour mieux orienter les politiques macroéconomiques et budgétaires en faveur de la lutte contre la pauvreté. Elle aborde en particulier les principaux enjeux du Sahel. En bref, cette nouvelle série de rapports est un moyen innovant pour la Banque mondiale de proposer certaines réformes prioritaires qui ne sont pas encore engagées ni même débattues dans ces pays.