La lutte contre la dépression d'une mère syrienne déracinée par la guerre
La dépression est un problème de santé majeur chez les réfugiés, mais les traitements et le retour à l'autonomie sont sources d'espoir pour les personnes touchées.
Des réfugiés syriens traversent à pied le camp de Zaatari en Jordanie. Photo d'archive. Mars 2013.
© HCR / Jordi Matas
Avec le recul, Noor* peut voir clairement l’impact de sa dépression sur son comportement et ses relations.
À l’époque, cette mère de 45 ans qui élevait seule ses trois enfants dans le camp de réfugiés de Zaatari, en Jordanie, n'avait pas conscience d'avoir un problème.
« Autour de moi, les gens disaient qu'ils me trouvaient changée », raconte Noor. « J'étais agressive, je m'inquiétais pour mes enfants et mes rapports avec mes amis et ma famille étaient plus tendus. Maintenant j'arrive à le voir, mais quand mes proches m'en parlaient, j'étais dans le déni et j'ai tout simplement rejeté leurs conseils. »
C'est un accident domestique — que Noor impute aujourd'hui à son état psychologique et qui a valu à sa fille quelques brûlures mineures — survenu alors qu'elle préparait du thé dans son abri qui l’a finalement décidée à demander l'aide dont elle avait besoin. « Au dispensaire où ma fille a été soignée, l'infirmière a vu clair dans mon comportement et m'a conseillé de voir quelqu'un. »
La dépression, qui est le thème de la Journée mondiale 2017 de la Santé observée ce jour, est le plus commun des troubles cliniques observés chez les réfugiés. Selon l'Organisation mondiale de la Santé, la prévalence des maladies mentales peut jusqu'à doubler chez les populations vivant des situations d'urgence.
« L’infirmière au dispensaire… m’a conseillé de voir quelqu’un. »
Près de la moitié des 22 millions de Syriens que comptait le pays avant la guerre a été déracinée dans le pays ou à l'étranger et les six ans de conflit ont occasionné des bouleversements et des pertes considérables. Des millions de personnes ont été exposées à la souffrance et à la violence et arrachées à leurs foyers, à leurs moyens de subsistance et à leur entourage social.
« La dépression pèse lourdement sur les réfugiés, autant sur leur santé mentale que sur leur fonctionnement au quotidien, leur sentiment de protection et l'accès aux services », explique Pieter Ventevogel, expert psychiatrique au HCR.
« La bonne nouvelle, c'est que l'accès à des traitements professionnels et au soutien de non spécialistes et de membres de la communauté préalablement formés, permet aux personnes touchées par la dépression de s'en sortir. En regagnant leur autonomie par diverses connaissances et stratégies, les réfugiés peuvent aussi jouer un rôle capital dans leur propre prise en charge », ajoute-t-il.
Noor pense que sa maladie a été provoquée par les bouleversements des six dernières années qui contrastent vivement avec sa vie tranquille d’avant-guerre à Damas. Son mari et elle possédaient deux maisons en ville et elle adorait son métier d'enseignante dans une garderie.
« J’avais une vie belle et tranquille. Grâce à mon travail, j'étais indépendante et nous vivions dans la sécurité et la stabilité, » dit-elle. « Après la guerre, j'ai vu beaucoup de choses épouvantables, des roquettes et des bombes. Nous avons été déplacés à l’intérieur du gouvernorat et c'est là que la peur et l'anxiété ont commencé. »
La famille a déménagé de quartier en quartier en quête de sécurité et y a laissé l'intégralité de ses économies, donnant à Noor le sentiment de sombrer dans l'indigence. Elle est arrivée au camp de Zaatari en 2013, seule avec ses trois enfants après avoir été séparée de son mari en Syrie et que celui-ci fuit vers le Liban.
Au camp, elle a lutté pour s'en sortir pendant plus d'un an avant l'accident qui l'a finalement amenée à solliciter le traitement dont elle avait besoin. Après avoir été orientée vers le centre de santé mentale de l’International Medical Corps (IMC) établi dans le camp appuyé par le HCR, Noor a été orientée vers un employé qui a supervisé sa prise en charge.
« La dépression pèse lourdement sur les réfugiés, autant sur leur santé mentale que sur leur fonctionnement au quotidien. »
Une fois la dépression diagnostiquée par un professionnel de la santé mentale, Noor s'est vu prescrire des antidépresseurs et a également suivi des sessions de thérapie individuelle pour lui permettre d’accompagner son traitement. Durant ces sessions, elle a appris des stratégies d'adaptation et d'amélioration de sa communication et de ses compétences sociales qui lui ont permis de nourrir ses relations humaines.
Elle se dit aussi très reconnaissante car, grâce au système d'orientation du camp, elle a pu avoir accès à un traitement professionnel dès que l'infirmière de l'hôpital a repéré ses symptômes. Noor est cependant convaincue que de nombreuses personnes ne reçoivent pas les soins dont ils auraient besoin.
« La crise a précipité les gens face à la maladie mentale, mais c'est un sujet qui reste très mal vu. Beaucoup préfèrent vivre sans traitement plutôt que d'aller demander de l'aide », constate-t-elle.
Aujourd'hui, Noor dit avoir une vision plus positive de la vie, une évolution qui a été facilitée par un emploi de nettoyage dans le camp et un jardin qu'elle a créé à côté de l’abri qu'elle partage avec ses enfants et son époux, de nouveau à ses côtés.
« Le jardin est superbe et j'ai sept poulets et un canard. J'aime faire le jardin et ça améliore mon humeur. Je me suis aussi lancée dans des activités communautaires comme la couture. Ce n'est pas ma vie d'autrefois, mais j'essaie de faire pour le mieux avec ce que j'ai. »
Plus d'informations sur la santé mentale et les déplacements de populations ici.
* Noms fictifs pour des raisons de protection