Défiant cris et fusillades, une famille sud-soudanaise fuit vers la sécurité

Quand les soldats ont pris son mari, Milly Lagu s'est dit qu'ils reviendraient pour ses fils.

Millie Lagu, 47 ans, réfugiée sud-soudanaise et responsable communautaire.
© HCR/Susan Hopper

Quatre jours durant, Milly Lagu a vécu au son terrifiant des fusillades, face au spectacle des villages incendiés autour de chez elle. Quand les soldats ont emmené son mari le cinquième jour, la peur était devenue insupportable.


Consciente que les soldats reviendraient vite pour prendre ses deux fils aînés, Milly et ses enfants ont fui Opari, son village du Soudan du Sud, en décembre 2013, la tête pleine des hurlements des voisins et des fusillades.

« Je me disais qu’ils viendraient les enlever, ou qu’ils les tueraient s’ils résistaient, » se souvient-elle. C’est avec horreur qu’elle s’est retrouvée séparée d’eux durant leur fuite.

Milly, 47 ans, s’est ainsi retrouvée à la tête d’un groupe de 30 femmes et enfants en fuite qu’elle a guidés loin des violences jusqu’à la frontière ougandaise, une expérience qui l’a conduite à prononcer un émouvant discours sur l’impérieuse nécessité de mettre fin au conflit au Soudan du Sud devant le Comité exécutif du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, réuni à Genève du 2 au 6 octobre.

Le groupe a cheminé pendant des jours. À chaque instant, Milly – mère de six enfants – priait pour la sécurité de ses deux fils aînés. « Le soir du quatrième jour, je les ai retrouvés. Ils sont arrivés les jambes gonflés d’avoir tant marché et couru. J’ai pleuré parce que je ne pensais jamais les revoir vivants. »

« J’ai pleuré parce que je ne pensais jamais les revoir vivants. »

Accompagnés d’un groupe toujours plus important de fuyards, Milly et ses enfants ont fini par passer la frontière vers l’Ouganda où le chauffeur d’un camion d’ordures leur a proposé de les conduire jusqu’au centre de réception de Kiriandongu, dans l’ouest du pays. À ce stade, ils étaient si affamés et épuisés qu'ils n'avaient guère le choix. « C'était dégoûtant, mais que faire d'autre ? » dit Milly.

À Kiriandongu, Milly et ses enfants ont été enregistrés comme réfugiés et ont obtenu un lopin de terre à cultiver et où s'installer. Même aujourd'hui, leurs soucis sont loin de s'être dissipés. Lorsqu'il pleut, le toit de leur case fuit et la boue s'infiltre à travers les fissures. Ses deux aînés ne sont pas scolarisés parce que Milly ne peut pas payer les frais de scolarité de 300 000 shillings (environ 80 dollars) par trimestre. C'est déjà bien assez difficile de faire en sorte que les plus jeunes aient assez à manger chaque jour.

« La vie n'est pas simple, c'est difficile, » dit-elle les larmes aux yeux. « Comme le nombre de réfugiés ne cesse de grossir, les rations alimentaires et les terres ont dû être divisées par deux. Mais tous sont des réfugiés et des êtres humains, alors ils doivent également manger. Ils ne sont pas venus de leur plein gré, ils ont fui la guerre tout comme nous. »

Pour ajouter à ses tourments, un ami lui a annoncé en 2014 la dure nouvelle que son mari avait été abattu.

« C’est assez maintenant. »

 

Lors d'une discussion sur Facebook Live, Arnauld Akodjenou, coordonnateur régional du HCR pour la situation au Soudan du Sud et conseiller spécial du Haut Commissaire, a appelé hier à la prise en compte de la sécurité et de la dignité de millions d'êtres humains tels que Milly. « C'est assez maintenant, » a-t-il déclaré. « D'abord pour ceux qui vivent en Soudan du Sud. C'est tout aussi vrai pour ceux qui ont fui et sont devenus des réfugiés. Et ça l'est encore pour les ressortissants des six pays hôtes qui ont accueilli des réfugiés sud-soudanais sans recevoir le soutien de la communauté internationale.

Les combats au Soudan du Sud ont coûté des millions de vies et déraciné 4 millions de personnes. On compte plus d'un million de réfugiés sud-soudanais en Ouganda seulement, dont plus de 85 pour cent de femmes et d'enfants. Malgré tout, le HCR n'a reçu que 21 pour cent des 674 millions de dollars nécessaires pour leur venir en aide pendant 2017.

« Nous devons nous concentrer sur la prévention des conflits et nous assurer que toutes les voies et modalités ont été mises en œuvre pour permettre un dialogue inclusif qui devient impératif au Soudan du Sud, » a déclaré M. Akodjenou. « Cette crise ne doit pas sombrer dans l'oubli. »

Milly est à ce point déterminée à améliorer les vies des femmes et des enfants sud-soudanais qu'elle est devenue présidente du comité de protection des enfants et représentante aux affaires féminines. À ce titre, elle se déplace de village en village pour conseiller les femmes et les enfants qui souffrent de dépression et de traumatismes. Elle participe également aux réunions interagences.

« Les femmes et les enfants souffrent et je crains qu'ils ne continuent de souffrir sans l'aide de la communauté internationale, » dit-elle. « Être un réfugié, ce n'est pas un statut permanent. Un jour arrivera où nous retournerons chez nous. Ils doivent rester eux-mêmes parce qu’ils sont l'avenir de notre pays. »

Milly espère qu'un jour, elle rentrera chez elle avec sa famille.

« Mon seul espoir c'est que la paix revienne au Soudan du Sud pour que nous puissions rentrer chez nous. Comme vous le savez, on n’est jamais aussi bien que chez soi. »