Après avoir été agressée chez elle par des soldats, une adolescente syrienne fuit vers la Turquie et un avenir meilleur
Rawan Batal qui veut faire des études d'ingénierie chimique a rapidement appris le turc et obtenu une place à l'université de Konya à l'est du pays, pour y étudier son sujet favori.
ANKARA, Turquie – Les hommes armés qui ont frappé à la porte disaient qu’ils voulaient simplement parler d’un problème. Rawan Batal avait 16 ans à l’époque. Hésitante, elle a ouvert la porte. Ils ont forcé le passage et, une fois à l'intérieur, ils sont devenus agressifs.
Ils l’accusaient de vol. Elle a nié ce qui les a fâchés encore plus et ils l’ont frappé au visage. Ils exigeaient 1 000 dollars.
Rawan qui est petite et parle doucement peut paraître fragile au premier abord. Mais quand elle raconte son histoire, elle reste droite et décrit ces moments de terreur sans laisser filtrer d’émotion.
Avec l’aide de sa mère, elle a réuni l'argent qu'ils exigeaient et le leur a remis. Elles ont regardé partir les soldats. Convaincues que ces hommes allaient revenir, Rawan, sa mère et ses deux jeunes frère et sœur ont fui leur maison d’Alep.
« Nous avons tout abandonné », raconte Rawan. « Nous n’avions pas le temps de prendre quoi que ce soit.
Nous sommes simplement partis avec les vêtements que nous portions. »
C’est ce 20 août 2013 qu’a commencé la vie de Rawan en tant que réfugiée. Son père et son grand frère avaient échappé au service militaire et avaient déjà fui en se rendant dans une province voisine. Une fois réunie, la famille a mis plusieurs jours pour arriver à pied jusqu’à la frontière du sud-est de la Turquie et la traverser. Toute la famille habite maintenant à Konya, une ville de la steppe anatolienne.
Rawan voulait absolument retrouver un sentiment de normalité et retourner à l'école. Elle était bonne en maths et en sciences. Depuis son enfance, elle rêvait de devenir ingénieure chimiste. Ses amies lui manquaient, mais elle ne parlait ni turc ni anglais. Il n’y avait pas d’école où on parlait l’arabe à Konya.
Mais Rawan n’allait pas s’avouer battue. Elle a trouvé des livres du programme scolaire syrien en ligne et elle passait chaque jour des heures à étudier.
« Beaucoup de gens me disaient que je n'y parviendrais pas sans aide. Mais je voulais étudier et je me suis débrouillée toute seule. »
Au cours des cinq dernières années, un nombre énorme de réfugiés syriens fuyant la guerre est arrivé en Turquie, plus de 2,7 millions selon les autorités turques. Leur arrivée a bien évidemment eu un impact sur l’éducation.
En 2014, Rawan s’est rendue à Ankara, la capitale de la Turquie, pour y passer et réussir ses examens de fin de secondaire. Alors que le gouvernement turc dispense de frais d’inscription les réfugiés syriens qui veulent faire des études dans les universités d’état, seuls 2,2 pour cent des jeunes réfugiés syriens se sont inscrits jusqu’à présent.
De nombreux réfugiés doivent travailler pour aider financièrement leurs familles et, comme pour de nombreux réfugiés, la langue était le défi le plus important pour Rawan. Elle a dû apprendre la langue et passer un examen d’aptitude en turc. Elle est donc retournée sur internet.
« Sans parler turc, c’est difficile de faire des études et c’est encore plus difficile de trouver un emploi », explique-t-elle. « Dès le début, j’ai travaillé toute seule. « Beaucoup de gens me disaient que je n'y parviendrais pas sans aide. Mais je voulais étudier et je me suis débrouillée toute seule. »
Elle a trouvé du matériel didactique en ligne et a commencé à étudier le turc ainsi que l’ingénierie chimique. Son frère qui avait dû renoncer aux études pour travailler ne croyait pas qu’elle y parviendrait. Mais sa passion pour le sujet est évidente.
« L’alimentation, la médecine, l’industrie - tout commence par la chimie. »
« Dans la vie, tout est lié à la chimie », explique-t-elle. « L’alimentation, la médecine, l’industrie - tout commence par la chimie. »
Après avoir posé sa candidature en 2015, elle a obtenu une bourse du HCR pour pouvoir suivre un stage intensif d'un an d’apprentissage du turc, certifié par le TOMER turc et reconnu dans tout le pays.
Ce programme est mis en place par la Présidence pour les Turques de l’étranger et les communautés apparentées (YTB). Il aide les jeunes diplômés du secondaire à acquérir la maîtrise du turc, nécessaire pour être admis dans les universités turques. Maintenant elle parle le turc avec une aisance toute naturelle. Elle l’a mis en pratique en servant d’interprète bénévole aux réfugiés syriens dans les hôpitaux et les centres d’enregistrement.
Ensuite, Rawan a présenté une demande d'admission à l'université Selcuk de Konya. Ses amis doutaient encore. Son père, un ingénieur en électronique qui avait autrefois sa propre entreprise en Syrie et qui travaille maintenant dans une usine ne croyait pas à son admission. Et pourtant, elle a été admise.
« Mon père était si heureux », dit-elle. « Ce jour-là il est allé au travail et se vantait en disant à tout le monde ‘ma fille va faire des études d’ingénieur chimiste ! ’ »
Un rapport (en anglais) publié le mois dernier par le HCR a mis en lumière la crise de l’éducation des réfugiés, indiquant que plus de la moitié des six millions d’enfants en âge scolaire et relevant du mandat du HCR n’ont pas d’écoles où aller.
Cela fait maintenant trois ans que ces voyous armés ont frappé Rawan au visage. Aujourd’hui, elle a 19 ans. Elle figure parmi les 6598 jeunes Syriens qui ont présenté une demande de bourse auprès de l’initiative allemande Albert Einstein pour les réfugiés (DAFI), un programme financé par l’Allemagne et géré par le HCR. Rawan a été invitée à une entrevue, mais la concurrence est rude.
En 2015, il y a eu 5800 candidats syriens. La bourse couvre les frais d’inscription et une indemnité mensuelle. Face à l’énorme besoin et au grand désir des réfugiés syriens d’accéder à des programmes d’éducation supérieure en Turquie, l’initiative DAFI a offert 820 bourses en Turquie cette année. Rawan n’a pas peur de l’avenir.
« Je le voulais tant », dit-elle. « C’est mon objectif ».