« Un travail important est ignoré, celui de dédier un programme d’appui technique aux autorités Nationales et Régionales pour l’exercice de leur rôle »

En Novembre 2016, MSF a publié une étude de cas sur la réponse du système humanitaire dans la région de Diffa. Cette étude réalisée entre Janvier 2015 et août 2016, soit probablement dans la période la plus complexe de la crise, offre une analyse rétrospective sur le système humanitaire et son adéquation avec les besoins en termes de réponses. Trois ans après les premières arrivées des déplacés en provenance du Nigeria, l’étude de cas de MSF est la première du genre. Diffa est un contexte où le fonctionnement du système humanitaire reste très peu analysé malgré un besoin réel. Le débat est ouvert.

Dans la gestion quotidienne de la crise de Diffa et du fait d’une situation mixte et majoritairement hors-camp, le système humanitaire a glissé d’une coordination « UN centrique » tel que vous la nommez vers un système hybride à la fois décentralisé et sous le lead des autorités. Ne pensez-vous pas que le système humanitaire au Niger a su montrer une réelle aptitude de décentrement en sortant de sa zone de confort ?
Je ne sais pas ce que vous appelez zone de confort pour les UN, mais en strict lien avec la situation à Diffa, le modèle « camp » de réfugiés /déplacés n’a pas marché. D’abord nous avons plus de sites de déplacés éparpillés et mobiles que de camps aménagés par le HCR et les autorités. Il est aussi évident qu’aucun système n’est en place pour l’organisation des sites de déplacés. Si cela devrait être le rôle des autorités nous pouvons souligner qu’a l’état actuel, elles ne disposent ni de moyens ni de l’expertise pour cet exercice. L’autre constat concerne l’orientation de l’aide et son organisation qui sont aussi restées sans réelle coordination. Vous pouvez aussi dire que c’est le rôle de l’Etat mais tout ce que les humanitaires font est le rôle de l’Etat. Je n’ai pas vu dans la gestion de la crise un système de centralisation – décentralisation en tant que tel, il y a eu des essais de monopolisation ou de centralisation qui montraient leurs faiblesses sur tout le processus. Ceux qui financent avaient une certaine conduite pour leurs partenaires opérationnels qui ne tiennent pas compte des autres acteurs, raison pour laquelle il m’est difficile de parler de décentralisation organisée.

Vous mentionnez peu ou presque pas la place des autorités régionales dans la gestion de la crise, alors que cela peut apparaitre comme un élément central dans l’analyse du système humanitaire. Pourquoi ce choix ?
L’Etat s’est bien impliqué dans la gestion de la crise, mais il faut reconnaitre que la complexité énorme de cette crise n’a pas facilité sa gestion. Il y a des tentatives/initiatives telle que la CCH (Cellule de Crise Humanitaire) et son représentant au niveau Région qui travaille directement avec le Gouverneur mais la limite est grande. Il manque l’implication responsable de toutes les directions régionales concernées. Et les partenaires en action sur le terrain préfèrent souvent profiter du vide pour satisfaire leur principe d’indépendance. Il y a un travail important qui est ignoré, celui de dédier un programme d’appui technique aux autorités Nationales et Régionales pour l’exercice de leur rôle dans la gestion de la crise à Diffa. Pourtant il y a les UN et les ONG orientés vers le développement, mais chacun se focalisait plus sur sa visibilité.

Pour les structures comme MSF, est ce que cette nouvelle donne, et ce modèle de coordination hybride, a amené son lot de questionnements internes par rapport au positionnement à avoir dans le système humanitaire ?
La particularité pour MSF était la fréquence des déplacements et la mobilité des sites de déplacement. L’adaptation à cela et la cohabitation avec les systèmes d’intervention des autres partenaires humanitaires suscitent bien des questionnements dont MSF est en quête de réponse.

Le problème d’accès aux personnes affectées et souvent mentionné comme une contrainte dans la réponse d’urgence. Pour autant, tel que vous le relevez dans votre document, le problème d’accès est plus dut aux propres normes des acteurs humanitaires, UN et ONG, qu’aux limites imposées par les autorités. Pensez-vous que cette situation s’explique par un manque d’expérience de la communauté humanitaire au Niger a travaillé dans des contextes sécuritaires complexes ou est-ce une observation qui peut s’étendre sur d’autres pays ?
Je dirais les deux à la fois : la maîtrise du contexte actuel tout à fait nouveau avec ses enjeux sécuritaires et les risques qui en découlent peuvent faire l’objet d’une bonne étude mais l’expérience des acteurs et partenaires à intervenir en urgence dans de pareilles circonstances est aussi une limite importante à souligner.

Dans la conclusion de l’étude de cas, il est écrit « The current humanitarian system will continue to be tested in Niger » notamment à travers la capacité des acteurs de passer la réponse d’urgence à une situation de déplacement prolongé. Nous sommes effectivement déjà dans cette situation et sur certains secteurs tels que la santé, les portes de sortie sont rares, de par les déficits structurels du système public nigérien au niveau national, déficits d’autant plus marqués à Diffa. Quelle marge de manœuvre reste-t-il d’après vous ?
Il n’y a pas de porte de sortie à Diffa. La situation demande une grande flexibilité à la fois dans la définition des stratégies et aussi dans leur mise en œuvre. Il y a là où le système public a besoin d’une réorientation pour l’adapter aux besoins du moment. Il y a aussi des situations de crise et de besoins énormes qui se constituent en l’absence de tout système. Parlant de santé, nous continuons à déplorer l’usage des systèmes ou politiques préexistantes pour justifier que l’accès aux soins pour des populations déplacées forcées soit payant. Du moment où des populations déplacées forcées s’établissent des sites de plus de 20.000 personnes, et s’y installent progressivement, il va de soi que les partenaires puissent les accompagner sans occulter par conséquent un plaidoyer et un appui aux structures étatiques, pour prendre le relais.
Il faut adapter la réponse aux besoins et ne pas s’engouffrer dans de lourds systèmes et politiques établis en général pour le moyen et long terme « développement ». Il y a une situation de crise et il faut une politique de gestion de la crise. La crise à un début et une fin, il faut l’envisager dans sa différence entre le moment de son éclatement et la pente vers sa fin.


Pour lire l’intégralité de l’étude : http://reliefweb.int/report/niger/case-study-niger-jan-2015-aug-2016

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