Luz: Symbole du courage grâce au réseau des Papillons

 

A

Luz Dary Santiesteban. Photo de UNHCR/J. Arredondo/2014

La nuit tombait quand Luz Dary Santiesteban a entendu des coups de feu et a vu de la fumée s’échapper des maisons en feu lors de l’attaque de son village par des rebelles dans la forêt tropicale de la province colombienne de Choco en novembre 1995. “Tout le monde s’est enfui en courant pour sauver sa vie. On a laissé derrière nous un village fantôme”, se souvient-elle après l’attaque de Punta Ardita et d’autres villages de la côte pacifique. Elle a trouvé refuge dans la ville portuaire de Buenaventura où elle avait auparavant envoyé ses quatre enfants pour les mettre en sécurité chez des proches.

“Ma vie entière a basculé en un rien de temps. Juste comme ça”, explique Luz Dary, en claquant des doigts. “C’était très difficile d’abandonner tout mon travail, ma maison”, ajoute-t-elle, se remémorant sa vie antérieure comme femme pêcheur et le lopin de terre sur lequel elle cultivait des produits agricoles.” Je suis arrivée à Buenaventura avec des vêtements mouillés et rien d’autre. Le déplacement m’a arrachée de mes racines et de la seule vie que je connaissais et que j’aimais”.

Au début, Luz Dary élevait et vendait des poulets à La Gloria, un quartier afro-colombien avec des cabanes en bois et pas d’eau courante dans la banlieue de la ville délabrée de Buenaventura, le principal port de Colombie. Elle est devenue une chef communautaire locale et a rejoint le groupe de défense des droits Mothers for Life qui apporte un soutien aux femmes dont les maris, les enfants et les proches ont disparu ou ont été assassinés pendant le long conflit colombien.

Ce groupe de défense des droits compte parmi les 23 organisations populaires de femmes œuvrant dans les zones urbaines et rurales autour de Buenaventura qui sont devenues membres du réseau des « Papillons » à partir de 2010. Luz Dary, comme beaucoup de chefs communautaires, s’est retrouvée coincée au milieu des guerres de territoires liées à la drogue. Des groupes armés issus des anciennes organisations paramilitaires luttent pour le contrôle des routes lucratives de trafic de drogue et d’extorsion de fonds et font régner la terreur sur des quartiers entiers de Buenaventura, provoquant le déplacement de nombreuses personnes à l’intérieur de la ville.

Un jour de 2014, quatre paramilitaires armés sont arrivés chez Luz Dary. Ce jour-là, sa vie a changé à jamais. “Ils ont pris une de mes filles, âgée de 10 ans à l’époque. Ils voulaient la violer. Je leur ai dit de faire ce qu’ils voulaient de moi, mais de ne pas toucher à ma fille. J’ai dû la défendre. Ils se sont mis à rire. Ils ont mis un pistolet sur ma tempe pendant qu’ils me violaient l’un après l’autre. Ils m’ont enlevé ma dignité. Je ne pouvais pas me défendre. Je me sentais totalement impuissante”, explique Luz Dary, des larmes coulant le long de ses joues.

“Ils m’ont dit que mon activité en tant que chef communautaire éveillait la conscience des gens de la communauté. Ils m’ont demandé de cesser et de me taire. Je n’ai pas été la seule à être violée à La Gloria. Ils ont utilisé nos corps pour marquer leur contrôle sur le territoire. C’était un moyen de montrer qu’ils dominaient et d’insuffler la peur en nous”, ajoute-t-elle.

Ce supplice a incité Luz Dary à fuir une fois de plus son foyer et elle n’est retournée à Buenaventura que l’année dernière. Elle est toujours hantée par ce qui est arrivé et elle et sa famille vivent encore sous la menace réelle de criminels liés aux anciens groupes paramilitaires. “En tant que personne déplacée, vous pouvez d’une certaine manière refaire votre vie. Mais vous n’oubliez jamais cet instant, le viol, et ce qui est arrivé. Vous vous en souvenez toute votre vie », dit-elle en hochant la tête. « J’ai aussi perdu mon mari après le viol. Il est parti. Je ne me suis plus jamais senti la même depuis. Mon grand sourire a disparu”.

Luz Dary est restée silencieuse pendant six ans par crainte des représailles ainsi que de la stigmatisation et du tabou entourant le viol. Mais depuis qu’elle a rejoint les Papillons et qu’elle a participé à des dizaines d’ateliers sur les droits de la femme et sur comment signaler les abus et demander de l’aide, elle a trouvé le courage de rompre les années de silence. “Grâce à ce réseau, je me sens plus forte et j’ai appris à m’estimer. Cela m’a donné le courage de m’exprimer”, déclare-t-elle, en ajoutant : “Signaler le crime a été comme extraire un cancer qui me consumait depuis des années.” Luz Dary s’est rendue au Bureau du médiateur et a signalé que des femmes à Buenaventura se faisaient violer et qu’il fallait constituer un dossier. “Nous devons sensibiliser sur ce qui arrive aux femmes ici”, affirme-t-elle, en serrant le poing.

En attendant que justice soit faite, elle apporte soutien et conseils à d’autres femmes survivantes de viol et déplacées internes dans le cadre du réseau Papillons. Elle a étudié les nouvelles lois adoptées pour protéger les femmes et elle affirme fièrement : “J’ai transmis mes connaissances à d’autres femmes à l’intérieur et à l’extérieur du réseau”. Et même si la plupart des crimes restent impunis à Buenaventura, Luz Dary déclare : “Je crois en la justice divine”.


1 seule famille déchirée par la guerre, c'est déjà trop

Découvrez notre travail pour aider les réfugiés sur UNHCR.org