La vie après le lac : comme des aveugles tirés par un bâton

Issa montrant sa carte d’enregistrement sur le site de N’Guigmi, Niger ©UNHCR/ B. Moreno

Retournés nigériens en provenance du Nigeria, réfugiés nigérians, pêcheurs étrangers, nigériens originaires du Lac Tchad: sur le site de Kime Gana à 2 km de la ville de N’Guigmi, les populations présentes sont hétérogènes. Mais elles ont trois points en communs : elles sont des personnes déplacées suite à l’ordre d’évacuation des îles du Lac Tchad, elles ont tout perdu ou presque, elles sont résilientes.
L’opération d’enregistrement de ces populations a commencé depuis le 26 mai. Pour l’instant il reste difficile d’estimer combien elles sont: de 12,000 à 18,000. Leurs rangs pourraient aussi grossir « artificiellement » car les possibilités de recevoir une assistance amènent à l’occasion des personnes non déplacées de N’Guigmi à se faire enregistrer. Rien de dramatique, ni d’étonnant, la vulnérabilité des populations autochtones est très élevée.
Plus important, quand on ajoute la population présente à Kime Gana à celle évacuée jusqu’au Nigeria par les autorités Nigériennes, à celle présente à Yébi au nord de Bosso, à celle éparpillée entre Bosso et N’Guigmi et ailleurs dans la région de Diffa ou encore partie vers le Tchad, il n’est pas exclu que l’évacuation des iles pourrait avoir affecté près de 50,000 personnes.
L’enregistrement est la première étape menant, pour ceux qui le souhaitent, à la relocalisation pour les réfugiés vers le camp Sayam Forage, et pour les déplacés internes et les retournés nigériens le camp de Kabelawa. « Souhaiter », dans ce contexte, se rapporte à des options limitées. Il faut avoir les moyens de son choix : quelques économies, un peu de bétail, des personnes pouvant appuyer.
Ceux qui viennent des iles toutes proches, et qui sont rattachés à la chefferie traditionnelle de N’Guigmi attendent un appui de sa part. C’est le cas notamment des éleveurs d’ethnie Boudouma tel que Kounouma « nous sommes des éleveurs sur le lit du Lac, nous avons laissé notre bétail, nous ne pouvons pas nous éloignés plus loin qu’ici. Nous faisons confiance à notre chef de canton car nous sommes ses administrés. C’est à lui de nous trouver une solution. Se rendre dans un camp ce n’est pas une solution pour nous ».
Les économies et le bétail ont souvent été utilisés pour survivre les premiers jours. Progressivement, chacun comprend aussi que le temps qui passe réduit les chances de retrouver ce qui a dû être abandonné. Mahamadou est nigérien : « Ici à Kime Gana, nous n’avons aucune activité pour vivre. Sur le lac, même si tu n’as rien quand tu te lèves, tu peux pécher ton poisson, le manger ou le vendre. Aujourd’hui, nous sommes déjà morts, notre vie a été écourtée depuis que nous sommes partis du lac. On ne sera pas heureux dans le camp mais nous n’avons pas le choix. Nous sommes prêts à aller là où déciderons nos autorités afin de nous sécuriser et nous prendre en charge. Celui qui n’a plus rien, ne peut pas faire de caprices ».
Issa et sa famille sont eux nigérians, de l’Etat Katsina. Travailleur précaire à Maiduguri, puis agriculteur sur les iles du Lac Tchad coté nigérian, il a regagné le Niger et l’ile de Karamga suite aux menaces de la secte. Il a de nouveau fuit Karamga, attaquée fin avril, et aujourd’hui se trouve à Kime Gana. Dans son malheur, Issa reconnait qu’il a eu de la chance. « Nous étions prêts à partir comme beaucoup de monde avec les camions affrétés par les autorités nigériennes pour nous amener jusqu’à Geidam au Nigéria. Le jour où nous devions partir, aucun camion n’est venu. Donc nous sommes toujours ici. C’est par la suite que nous avons compris que nous avions d’autres possibilités comme de se rendre dans un camp. A Geidam nous ne connaissons personnes et nous n’avons pas les moyens pour nous déplacer de nouveau ailleurs une fois au Nigéria. Pour l’instant on s’estime chanceux mais on ne sait pas ce que c’est de vivre dans un camp. On est comme des aveugles tirés par un bâton ».
Les premières relocalisations devraient se réaliser la semaine prochaine.