Augmentation des réfugiés au camp de Sayam Forage : quand la sortie du « tout humanitaire » devient un impératif à Diffa

Bakou et sa fille, réfugiés nigérianes, quelque minutes avant leur départ pour le camp de Sayam Forage

Depuis quelques temps, le camp de réfugiés de Sayam Forage enregistre un nombre inhabituel d’arrivées spontanées. Depuis février, la population a augmenté de 25%. Près de 9500 personnes y sont aujourd’hui présentes. Créé fin 2014, et seul camp de réfugiés formel, Sayam Forage n’a jamais été une destination de prédilection pour les réfugiés. Loin des villages d’origine et des zones fertiles (50 km de la frontière selon les standards internationaux), offrant peu d’opportunités économiques, le choix de s’y rendre apparaissait comme un choix de dernier recours. Pour l’opération de l’UNHCR au Niger, cette situation soutenait d’autant plus la nécessité de renforcer la stratégie d’alternative aux camps déjà en place avant la création de Sayam Forage.

Vivre de l’assistance représente un réel déclassement social pour les populations du bassin du Lac Tchad à l’orgueil fort et habituées à la pluriactivité. Diffa, « la région la plus pauvre dans le pays le plus pauvre ». Rhétorique facile et répandue, mais préjudiciable à cette région et à la façon dont elle est appréhendée. Avant la crise, les mouvements vers Diffa n’étaient pas ceux de personnes fuyant l’insécurité. Ils étaient ceux de personnes en quête d’activités économiques dans une région dynamique. Avant la crise, le bassin du Lac Tchad était la seule zone rurale sahélienne avec un solde migratoire positif. La crise sécuritaire a créé une crise économique profonde dans la région de Diffa. Les arrivées spontanées à Sayam Forage font échos aux difficultés des réfugiés pour subvenir à leurs besoins les plus basiques, à une forme de lassitude dans leur combat quotidien. Bakou est une réfugiée nigériane originaire de Malam Fatori. Bakou est veuve. Avec ses enfants, elle s’était installée dans un premier temps à Bosso. Suite à une attaque, ils se déplaçaient vers Toumour. Deuxième mouvement en laissant derrière eux le peu qui leur restait. Au dernier recensement, Toumour accueillait près de 33,000 déplacés forcés. Originellement, la ville ne comptait pas plus de 5000 habitants. Comme partout, à Toumour le volume de l’assistance ne permet de couvrir qu’une partie des besoins. Bakou explique : « la situation ne nous permettait pas de continuer à vivre à Toumour. Nous ne savions plus quoi faire car après plus d’un an passé là-bas nous n’avons reçu que très peu d’assistance alimentaire. Comment peut-on vivre sans activité et sans recevoir d’assistance ? Nous sommes fatigués». Troisième mouvement vers le camp.

En réponse à une demande croissante des réfugiés, une activité en cours prévoit d’ici à la mi-juin la relocalisation volontaire de près de 2500 personnes ayant exprimé le choix de se rendre à Sayam Forage. Il est attendu que d’autres candidats à la relocalisation se manifestent. Dans le camp, les réfugiés reçoivent une assistance pour l’ensemble de leurs besoins de base. Prenez le même nombre de personnes dans un camp et en dehors d’un camp, les moyens mis à la disposition pour les besoins des premiers seront automatiquement supérieurs à ceux mis à la disposition des seconds. C’est le principe des vases communicants, au détriment des seconds.

Trois ans déjà depuis l’arrivée des premiers réfugiés nigérians à Diffa, l’avenir reste incertain. La région n’est pas prête de tourner la page de Boko Haram, mais les populations sont résolues à aller vers l’avant. Au sein des autorités, de la communauté humanitaire et des bailleurs de fonds, les réflexions sont engagées. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de sortir du « tout humanitaire ». Récemment, l’UNHCR et les acteurs de protection menaient une évaluation sur les intentions de retour des déplacés internes et des réfugiés. Le résultat est sans appel : 93% de la population se voit rester là où elle est au cours des prochains mois. Ramener la sécurité le long de la frontière naturelle, la rivière Komadougou, semble complexe à court terme. Sur le Lac Tchad, la situation est d’autant plus délicate. La saison des pluies arrive, c’est une nouvelle production de perdue dans les zones fertiles abandonnées. Le nord du Nigeria n’étant pas guérit de ses maux, il y en aura surement d’autres.

La route nationale 1, zone de concentration des populations déplacées, était originellement une zone servant à écouler les produits du Lac et de la Komadougou. La route nationale 1 n’a jamais été une zone d’habitation mais elle l’est aujourd’hui. Diffa est aussi la région du Niger avec le taux de croissance annuel de la population le plus élevée. Il est de 4,7 % ce qui signifie qu’au rythme actuel la population de Diffa doublera tous les 15 ans. Les statistiques de l’UNHCR révèlent que la durée moyenne de l’exil d’un réfugié en Afrique est de 17 ans, soit une génération au Niger. La carte administrative de la région se redessine d’elle-même. Des hameaux sont devenus des villes faites de paille et de bâches plastiques, d’écoles d’urgence, de forages d’urgence, de centrés de santé d’urgence. Les services sont principalement fournis par les humanitaires.

Le temps est venu d’accélérer une nouvelle phase de développement tout en accompagnant une relation services publics – population qui n’était pas particulièrement forte avant la crise. Les investissements structurels doivent être réalisés là où sont les déplacés sans trop se poser l’éternelle question du risque de fixation des populations bien qu’analysant de près les capacités d’absorption des terroirs d’accueils en termes de ressources naturelles et de moyens de production. Les déplacés iront là où ils se sentiront bien et en sécurité. Les autorités approuvent. L’administration et les élus locaux ont fait preuve d’un engagement important dans la gestion de cette crise. Le terreau est favorable pour une vaste phase de concertation pour coupler les forces des uns et des autres. Continuer à trouver des alternatives aux camps est un impératif. Sur base d’un financement de Fonds fiduciaire pour l’Afrique, l’Union Européenne vient d’approuver à l’UNHCR un vaste programme d’urbanisation et de construction de 4000 logements sociaux