Les raisons du départ
Bora Riziki a fui vers l'Afrique du Sud en tant qu'adolescente. Après que son mari et son frère aient été tués, Bora a pu bénéficier, avec ses enfants, d'une réinstallation en France pour y recommencer une nouvelle vie.
Bora et ses enfants sont inquiets à la veille de leur départ.
© UNHCR/James Oatway
Après nous avoir fait entrer dans sa petite maison, Bora verrouille la porte et ferme les rideaux de l’unique fenêtre. Elle ne veut pas que les voisins remarquent notre présence.
D’une manière générale, cette jeune mère de deux enfants évite d’attirer l’attention sur elle. Dans le bidonville tristement célèbre de Delft à deux pas de Cape Town, mieux vaut faire profil bas, surtout quand on est étranger.
« Mon mari a été assassiné ici, puis mon frère… Je ne sais pas pourquoi ils ont fait ça. Depuis, quand je marche dans la rue, j’ai peur dès que quelqu’un me regarde », m’explique-t-elle en anglais.
La xénophobie est probablement la cause de ces deux agressions et de nombreuses autres en Afrique du Sud.
La semi-pénombre ne parvient pas à effacer l’éclat de la peinture rose défraichie, ni les fissures qui serpentent les quatre murs. Trois fauteuils élimés encadrent une grosse télévision, qui détonne un peu dans le décor. La petite Amina, 5 ans, nous accueille avec un grand sourire. Elle s’approche et tâte doucement nos visages avant de pousser un petit cri joyeux.
Amina est malentendante, elle a appris à communiquer autrement. Son frère aîné, Ibrahim, est sorti jouer dans la rue. Bora précise, qu’elle garde toujours la petite avec elle : « Si une voiture arrive ou un danger quelconque, elle ne peut pas l’entendre venir. »
Après quelques minutes, Bora se détend un peu. Son corps longiligne se relâche sur le fauteuil et elle étend ses jambes. Les yeux mi-clos, elle raconte. « Il y a un mois, le HCR m’a téléphoné pour m’annoncer que j’allais en France. Je ne m’y attendais pas du tout ! Jamais je n’aurais pu imaginer que cela m’arriverait ! »
« Mon mari a été assassiné ici, puis mon frère… »
Elle assure qu’elle est très heureuse, mais c’est surtout la fatigue, qui se lit sur son visage. L’espoir et la peur de l’inconnu se disputent avec une grande lassitude. Rien d’étonnant lorsqu’on découvre le parcours de vie de cette jeune Congolaise de 24 ans.
Une dizaine d’années plus tôt, ses parents sont victimes de la guerre. Dans la panique de la fuite, elle perd la trace de ses frères et sœurs. « Je suis restée un moment avec mon oncle, mais je ne pouvais plus vivre là-bas. C’était la guerre, ma mère était morte, mon père était mort, je n’avais plus personne… J’étais très angoissée, parfois, je n’avais même plus la force de manger. »
À quinze ans, Bora se lance seule dans un long et dangereux périple. Elle traverse la Tanzanie. « J’ai été arrêtée par la police, car je n’avais pas de papiers. Je suis restée en prison pendant un mois, puis ils m’ont relâchée. » Alors, elle reprend la route à pieds, en bateau, en train, elle fait escale au Malawi avant d’atteindre enfin l’Afrique du Sud. Son voyage dure 5 mois.
Amina, les cheveux en bataille, nous « écoute » en grignotant des chips. Elle participe activement à la conversation par des babillages sonores. Impassible ou habituée, Bora l’ignore et continue son récit : Arrivée en 2008 dans le bidonville de Philippi, en périphérie de la ville du Cap, elle rencontre un autre réfugié congolais, qui la prend sous son aile.
Rusiga l’aide à faire sa demande d’asile et à trouver un logement. Bientôt, ils tombent amoureux et se marient. Lui tient un petit salon de coiffure, mais il ouvre pour elle une épicerie de fortune. « Je vendais des sodas, des bonbons, ce genre de choses… mais dès qu’on a eu le magasin, les problèmes ont commencé. Il y avait toujours des voleurs chez nous ! »
Soudain, son regard devient fuyant, elle baisse la voix : « Un jour, on était dans la voiture, toute la famille. Amina était encore bébé, je la tenais dans mes bras. Ibrahim était derrière. Il avait 3 ans à l’époque. Tout d’un coup, trois hommes sont arrivés, ils ont encerclé la voiture, ils étaient armés… », elle s’interrompt et les bruits de la rue s’infiltrent sous la porte, le rire d’un enfant au loin, « … et alors ils ont tiré sur mon mari. Je me suis enfuie en courant avec le bébé, pendant qu’ils attrapaient Ibrahim dans la voiture. Ils l’ont battu. À ce moment-là, je ne sais pas très bien ce qu’il s’est passé, car j’ai fui, j’ai couru dans la maison. Je me suis cachée dans les toilettes. »
Heureusement, le petit garçon parvient à échapper à ses agresseurs et rejoint sa mère, tandis que les trois hommes s’enfuient avec la voiture. « Pendant ce temps, mon mari, blessé, avait réussi à se traîner jusqu’à quelqu’un dans la rue. Il lui a donné son téléphone pour qu’il appelle une ambulance, mais la personne a tout simplement volé le téléphone…
Elle n’a pas appelé l’ambulance. » Quand Bora retrouve Rusiga, il gît par terre dans la rue, couvert de sang et de boue. « Il m’a dit “Prends soin des enfants, parce que je crois que je vais mourir.” J’ai cherché quelqu’un pour m’aider, mais personne ne m’a aidée, personne ! »
Recroquevillée sur elle-même, la tête entre les mains, elle raconte la suite très vite : « Quand mon frère a appris la mort de mon mari, il est venu pour m’aider avec les enfants. Il vivait à Durban, il s’est installé avec nous. » Un an plus tard, les choses commençaient à s’arranger, Bora espérait pouvoir tourner la page, quand un nouveau drame frappe la famille. « Un jour on m’a téléphoné pour me prévenir que mon frère s’était fait tirer dessus. Quand je suis arrivée à l’hôpital, il était déjà à la morgue, dans un frigo… »
La mort de son frère est la tragédie de trop. Bora n’arrive plus à faire front. Elle tombe dans une profonde dépression. Une de ses amies lui conseille un centre de soins psychologiques. Le « trauma centre » de Cape Town aide les survivants de violences ou de tortures à se reconstruire.
« Parfois j’ai peur, mais je suis surtout très soulagée de partir. »
Ce sont eux, qui orientent Bora vers la permanence du HCR. Là-bas, on lui demande de raconter son histoire. « La première fois, je n’ai pas eu la force de parler, c’était trop dur. » Au second rendez-vous les mots parviennent à sortir. Bora explique qu’elle est seule, qu’elle a peur pour elle et pour ses enfants, qu’elle se sent très mal…
Puisqu’elle est réfugiée en Afrique du Sud et qu’elle correspond à plusieurs des critères de vulnérabilité du HCR, son cas est proposé à la réinstallation. Environ un mois plus tard, son dossier est accepté par la France.
« La procédure a été particulièrement rapide », précise Ilija Todorovic, responsable de la réinstallation pour la région de l’Afrique australe, « nous sommes très impressionnés ! » Un mois pour traiter le dossier, et un mois pour organiser le transfert. Bora ignore tout de la France : « Parfois j’ai peur, mais je suis surtout très soulagée de partir. »