Abou Dubaev & BuroBonus – quand sculpter insuffle un nouvel élan
A travers La Fabrique Nomade, une association qui favorise l'insertion professionnelle des artisans réfugiés en développant des collaborations avec des designers français et des entreprises, Abou Dubaev, un artisan tchétchène, et Bérengère Tabutin et Olivier Wagnies, deux architectes d'intérieur, créent une composition murale unique.
Abu Dubaev, réfugié tchéchène, est arrivé en France en 2014. Grâce à la Fabrique Nomade, il collabore avec Buro Bonus, une agence d'architecture et de design à Paris dirigée par Bérengère et Olivier.
© UNHCR/Benjamin Loyseau
Sitôt arrivé dans son atelier à Malakoff, une ville au sud de Paris, Abou Dubaev se met en bleu de travail, pressé de plonger ses mains dans le plâtre. Les mains de cet artisan tchéchène témoignent de ses 35 années d’expérience dans la sculpture et le moulage.
Donner forme à des matériaux malléables a insufflé un nouvel élan à ce réfugié arrivé en France en 2014 avec sa fille, Elisa, âgée de 21 ans.
Passionné d’art, l’homme aux multiples talents était staffeur et stucateur en Russie. Il décorait les intérieurs et ornait les plafonds en staff et en stuc – des matériaux décoratifs. De l’esquisse de dessin au design et à la fabrication de matériaux, l’artisan affirme pouvoir « faire n’importe quel détail d’architecture. Ce sont normalement différentes professions, » dit-il, avec fierté.
A 17 ans, Abou devient ébéniste et sculpteur. Il fait également ses premières armes en miroiterie. Il peaufine ensuite ses compétences de staffeur et stucateur. « Ma méthode de travail est très ancienne, » souligne-t-il. En France, elle se fait rare mais cette technique est assez répandue en Russie, » compare-t-il.
« Avant de rencontrer la Fabrique Nomade, je ne savais pas comment les Français travaillent, pensent ou même respirent. »
Très pudique pourtant, Abou espère gagner le cœur des Français.
« Avant de rencontrer la Fabrique Nomade, je ne savais pas comment les Français travaillent, pensent ou même respirent, » confie-t-il, avec humour. « Cette expérience m’a permis de tisser des liens avec des professionnels français, malgré mon déficit linguistique, » dit-il, en russe.
La Fabrique Nomade est une association française, soutenue par le HCR, qui vise à valoriser et promouvoir les compétences des artisans réfugiés, et initier des collaborations en vue de leur insertion professionnelle. Au cours de plusieurs mois, Abou a travaillé avec Bérengère Tabutin et Olivier Wagnies, deux architectes d’intérieur de l’agence BuroBonus à Paris.
Ensemble, ils ont créé des patères et une étagère en stuc moulé pour Traits d’union, la première collection d’objets de la Fabrique Nomade, qui a été exposée au festival de design de Paris, les D’Days, du 2 au 14 mai 2017. « C’était très intéressant de travailler avec eux car ils m’ont expliqué que les demandes ne sont pas les mêmes en Russie et en France. C’était, pour moi, une information extrêmement importante pour savoir dans quelle direction travailler, » souligne Abou.
« En France, on me dit toujours de faire les choses plus simplement, » dit-il, avant de rire aux éclats. « En Russie, c’est le contraire. Les Russes aiment le style baroque, Rococo, Napoléon, » énumère-t-il.
Quant au duo français, ils ont été séduits par la démarche humaine de la Fabrique Nomade.
« Abou a plusieurs cordes à son arc et sa technique est très particulière. Je n’avais jamais pratiqué ni vu du staff, » dit Olivier.
« C’est difficile de se réadapter mais je comprends que l’on doit changer. A partir du moment où je suis entouré d’un monde nouveau, il faut que je change aussi. »
Quand Abou a quitté la Russie, son entourage l’a prévenu « qu’en France, personne n’a besoin de son métier ». Aujourd’hui, il se sent reconnaissant de pouvoir faire ce qu’il aime dans un pays où il parle à peine la langue.
« Les bénévoles de l’association ont travaillé dur pour valoriser et exposer notre travail. En Tchétchénie, nous ne sommes pas habitués à une telle attitude : on est un peu réservé. Ça me gêne et je sens qu’il y a trop d’attention à mon égard, » dit-il, touché.
S’adapter à la culture française a été un défi pour Abou. « C’est difficile de se réadapter mais je comprends que l’on doit changer. A partir du moment où je suis entouré d’un monde nouveau, il faut que je change aussi, » dit-il.
Il exprime beaucoup d’affection envers Bérengère et Olivier, qui ont joué un rôle clé dans son intégration en France.
« Je suis content du rapport qui s’est établi entre nous, de la confiance et surtout de l’évolution d’Abou, » explique Olivier. « Il était, au tout début de notre collaboration, renfermé et triste. Le fait de se remettre au travail lui a redonné confiance en ce qu’il pouvait apporter au projet, » dit-il.
« Le lien intergénérationnel est fort pour les réfugiés qui ont des enfants car la position de leurs parents au sein de la société française va se transmettre et il est important de faire en sorte qu’ils ne rasent pas les murs en grandissant. »
« Le fait qu’il nous apprenne sa technique l’a permis d’être en position de connaisseur et il a acquis de l’estime de soi, » ajoute-t-il. Fort de son expérience, Abou animera à la rentrée des ateliers d’initiation à la technique du stuc pour les architectures, organisé par la Fabrique Nomade, en partenariat avec La Villette.
Cette estime de soi est cruciale pour le développement des réfugiés dans leur pays d’accueil, selon Inès Mesmar, la fondatrice de la Fabrique Nomade. « Ce processus de valorisation d’Abou et de son travail va aussi aider sa fille car voir son père animer des ateliers lui redonne de la fierté et cela va l’aider dans sa construction de soi, » dit-elle.
Le stage d’été qu’a fait la fille d’Abou à la Fabrique Nomade l’a enchanté. Elle souhaite désormais faire une école de design à Paris.
« Le lien intergénérationnel est fort pour les réfugiés qui ont des enfants car la position de leurs parents au sein de la société française va se transmettre et il est important de faire en sorte qu’ils ne rasent pas les murs en grandissant, » dit Inès.
Aujourd’hui, Abou a repris confiance en lui. « J’ai retrouvé le sourire et le sens de la vie. Je sens que je me remets en marche, » confie-t-il.