Vers une nouvelle vie
Bora Riziki a fui vers l'Afrique du Sud en tant qu'adolescente. Après que son mari et son frère aient été tués, Bora a pu bénéficier, avec ses enfants, d'une réinstallation en France pour y recommencer une nouvelle vie.
La réfugiée congolaise Bora Riziki laisse derrière elle la violence ayant touché ses proches près de la ville du Cap.
© UNHCR / James Oatway
Bora Riziki est une réfugiée congolaise de 24 ans. Originaire d’Uvira dans le Sud Kivu, sur les rives du lac Tanganyika, la guerre a emporté ses parents.
Rescapée, elle trouve refuge en Afrique du Sud où – après quelques années - elle fonde une famille à son tour. Mais sa situation dans le bidonville de Delft, à quelques kilomètres de la ville du Cap, se dégrade rapidement.
Suite au meurtre de son mari en 2013, puis de l’un de ses frères, Bora est repérée par l’antenne locale du HCR, qui propose son dossier à la France en vue d’une réinstallation. Constatant l’insécurité quotidienne dans laquelle vivent Bora et ses deux jeunes enfants, sa demande a est acceptée.
Une chance lorsqu’on sait que moins de 1% des réfugiés dans le monde accèdent à la réinstallation. Cette seconde chance, Bora aussi en a rêvé sans oser y croire. C’est aujourd’hui, le grand jour…
L’agitation est à son comble dans la petite maison de la famille Riziki. Il est encore tôt, mais Bora et ses enfants sont prêts et vêtus de leurs plus beaux atours. La jeune congolaise porte une superbe robe traditionnelle aux motifs bigarrés, qui met en valeur sa taille élancée. Son mari aurait été fier de sa beauté. La veille, elle a fait tresser ses cheveux, qu’elle a relevé ce matin en un chignon compliqué.
« Ce sont les clefs pour aller en France. »
À ses oreilles brillent deux clefs dorées, cadeau de Biramba, son dernier frère encore en vie, qui l’a rejointe à Delft il y a quelques années : « Ce sont les clefs pour aller en France », explique-t-elle en souriant. Les enfants aussi ont enfilé leurs habits du dimanche, des petits costumes européens et des baskets, qui semblent à peine sorties du carton. Biramba achève de couper les cheveux de son neveu, une dernière fois. Pour ce coiffeur, c’est un geste important et une façon de témoigner son affection.
Bientôt, les amis arrivent. Cinq ou six adultes et autant d’enfants qui vont et viennent. Ce sont surtout des femmes. L’une se déplace lentement sous le poids de son ventre arrondi. Elle se tourne vers nous : « Pourquoi vous ne m’emmenez pas moi aussi ? J’ai tant besoin d’aller en France ! », puis elle éclate d’un grand rire.
C’est le dernier petit-déjeuner, les convives trinquent au soda et partagent du pain de mie en une scène aux curieux accents bibliques. La maison est pleine de rires, l’émotion est palpable, déjà teintée d’une pointe de nervosité, même si l’heure est encore à la fête. On se tape sur l’épaule et on mange de bon appétit dans la chaleur moite.
Et puis, il faut partir. On sort les valises, offertes par des amis seulement quelques heures plus tôt (Bora n’avait pas les moyens d’investir dans cet achat coûteux. Hier encore, ses affaires étaient empaquetées dans des sacs poubelles, faute de mieux). On les soupèse. Font-elles plus de 23kg ? Il n’y a pas de balance, mais chacun y va de son avis sur la question.
« Oui, ça doit passer… » Le taxi, commandé par l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) entasse les bagages dans le coffre. Un véhicule du HCR accompagne le convoi, alors le frère et une poignée d’amies profitent des places disponibles pour accompagner la famille à l’aéroport.
La voiture démarre et Bora jette un dernier regard au bidonville, où elle a vécu tant de malheurs. « Je suis contente de quitter cet endroit, mais si triste de quitter mes amis… Et puis, mon frère qui reste ici ? Je n’aime pas ça… Je ne peux que prier pour que Dieu les aide. Un jour, je reviendrai les voir, mais pas à Delft. C’est trop dangereux ici, je ne reviendrai plus jamais ! »
À ses mots, le petit garçon se retourne : « On ne revient plus à Delft ? » Il sourit d’un air sceptique, comme si l’on essayait de se moquer de lui. La petite Amina, quant à elle, ne sait rien. La fillette de 5 ans est atteinte de surdité et se laisse conduire. « Elle n’entend pas. Comment pourrais-je lui expliquer ? » regrette Bora.
Étonnamment, Amina n’a pas l’air inquiète. Malicieuse, elle taquine les passagers de la voiture et leur pince les oreilles en riant. Bora se prend à rêver : « Peut-être qu’en France, elle pourra être opérée... Peut-être qu’un jour elle pourra entendre et parler… »
À l’aéroport
Dès l’entrée dans l’aéroport, c’est un nouveau monde pour la petite famille Riziki. Bora pose le pied avec hésitation sur les escalators et manque de perdre l’équilibre devant ses copines hilares. « Les gens préfèrent vraiment marcher là-dessus que prendre les escaliers ? » Les enfants de leur côté n’ont pas hésité une seconde avant de s’élancer en courant sur les marches mécaniques.
Le conducteur du taxi accompagne la famille jusqu’au terminal et la livre aux mains d’une responsable de l’OIM, Zoé, qui s’agace devant le monceau de bagages, évidemment supérieur aux limites autorisées. « C’est toujours comme ça… », soupire-t-elle, « Il va falloir laisser des affaires ici. »
Bientôt les valises éventrées déversent leurs entrailles sur le carrelage de l’aéroport. Chacun y met du sien, on trie, on sélectionne, on jette. « Il fait froid en France, il faut garder les manteaux. Et cette couverture ? Non, la couverture peut rester. »
« Il faut partir maintenant. »
Une heure plus tard, tout est prêt, les bagages allégés sont en soute, les cartes d’embarquement en main. Il est temps de faire ses adieux. On prend une ou deux dernières photos de groupe.
Pas de longues embrassades, mais une main qui serre une épaule, un furtif baiser sur le front. « Il faut partir maintenant », dit doucement Zoé. Alors Bora se dirige, sans se retourner, vers la porte d’embarquement.
Elle avance lentement, déterminée, les enfants sur les talons, qui lui jettent des regards inquiets. Enfin les larmes coulent, mais elle est partie déjà. Elle tourne le dos à son passé, et s’envole vers sa nouvelle vie.