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La religieuse et la boulangerie

Depuis près d’une décennie, la petite ville du Dungu, dans la République démocratique du Congo, a été l’objet d’attaques. Mais tandis que plusieurs femmes et jeunes filles dans la région ont été enlevées et terrorisées par l’Armée de résistance du Seigneur, certaines d’entre elles ont survécu et rebâtissent maintenant leurs vies. 

Pascaline tient des croissants frais dans son tablier à la nouvelle boulangerie de soeur Angélique.

Pascaline tient des croissants frais dans son tablier à la nouvelle boulangerie de soeur Angélique. ©UNHCR/Kate Holt

Sœur Angélique Namaika, la lauréate de la Médaille Nansen en 2013, habite à Dungu depuis 2003. Cela fait plus d’une décennie qu’elle aide environ 2 000 femmes à surmonter leur traumatisme, à lutter contre la stigmatisation du viol et apprend aux femmes à pouvoir vivre à nouveau. Avec la bourse de la Médaille Nansen, sœur Angélique a ouvert une boulangerie coopérative le 5 juin 2015. J’ai donc saisi l’opportunité d’y retourner et de la revoir.

Je suis allée à Dungu à maintes reprises dans les derniers cinq ans. Lors de mes visites, j’ai rencontré sœur Angélique et plusieurs femmes, filles et garçons qu’elle a aidés. J’ai témoigné de leur douleur, leur désespoir et, après un certain temps, de leur espoir. Ma dernière visite était la première fois que je les ai vus réellement heureux. Ils ne pouvaient pas cesser de me dire quelle grande différence nous avions fait pour eux, avec eux dès le début et les aidant encore à récupérer et rebâtir leurs vies. Des sourires avaient remplacé leurs larmes.

Voici les histoires respectives de sœur Angélique, de trois femmes et d’un jeune homme que j’ai rencontrés lors de mes séjours à Dungu, dont les vies ont changé grâce à cette petite entreprise prometteuse.

Nema, qui a été enlevé par l'Armée de résistance du Seigneur il y a quatre ans, est assise sur son lit avec son bébé dans l'abri fourni par soeur Angélique.

Nema, qui a été enlevé par l’Armée de résistance du Seigneur il y a quatre ans, est assise sur son lit avec son bébé dans l’abri fourni par soeur Angélique. ©UNHCR/Kate Holt

Nema, 18

Nema a été enlevée il y a quatre ans, lors d’une attaque qui a tué son père. Sa mère était morte d’une maladie quelques années auparavant. Sauvée par l’armée ougandaise en 2013, Nema a tenté de rebâtir sa vie à Dungu, mais l’an dernier elle est tombée enceinte, alourdissant ainsi son fardeau.

« Je n’avais nulle part où aller, » me dit-elle. « Les voisins m’ont aidée à me rendre à l’hôpital pour accoucher. »

Nema n’avait ni maison, ni famille pour la supporter, alors l’hôpital a appelé sœur Angélique pour lui demander de l’aide. Depuis, Nema habite chez sœur Angélique. Désormais mère d’un bébé de trois semaines, elle vend le pain de la boulangerie.

« Je vends du pain afin d’apprendre comment prendre soin de moi-même et de mon bébé », dit-elle. « Comme je suis encore faible d’avoir accouché, je ne peux pas trop travailler, mais une fois rétablie je travaillerai aussi dans le service de restauration. Quand je m’étends dans mon lit le soir, je pense toujours à ce que m’a dit sœur Angélique. Quand je serai plus forte, j’ouvrirai un restaurant. Et quand j’y pense, je suis heureuse. J’aimerais commencer bientôt. Maintenant, je suis bien. Il n’y a rien qui m’attriste ou me blesse. »

 Sous l’œil d’un de ses jeunes garçons, Pascaline allume un feu pour qu’elle puisse cuir un souper pour sa famille dans leur maison à Dungu.

Sous l’œil d’un de ses jeunes garçons, Pascaline allume un feu pour qu’elle puisse cuir un souper pour sa famille dans leur maison à Dungu. ©UNHCR/Kate Holt

Pascaline, 43

Pascaline fut obligée de fuir quand son village, Gbaga, a été attaqué en 2010. Elle a marché dans la forêt pendant deux jours avant d’arriver à Dungu. Lors de l’attaque, trois de ses 12 enfants furent enlevés : une fille de 12 ans, un fils de 14 ans et un fils de 16 ans. Sa fille a réussi à s’échapper peu après l’enlèvement, mais ses deux fils sont demeurés en captivité pendant plusieurs années. En 2013, l’un d’eux, alors âgé de 18 ans, a pu s’enfuir et a dit à sa mère que son frère avait été tué.

Pascaline travaille maintenant à la boulangerie de sœur Angélique, ainsi que dans les champs voisins. Son revenu signifie qu’elle est maintenant en mesure de prendre soin de sa famille.

« La boulangerie m’a beaucoup aidée, surtout à payer pour les frais de scolarité des enfants et les frais hospitaliers, » raconte Pascaline. « Quand mon époux est tombé malade, il n’avait aucune chance de survie, et c’est la boulangerie qui l’a sauvé. Il souffrait d’hypertension, de diabète et avait une hernie. C’est grâce à la boulangerie que nous avons pu payer les soins médicaux. » Pascaline rêve d’acheter un nouveau terrain en vendant le riz qu’elle récolte avec sa famille. Elle a aussi beaucoup d’espoir pour ses enfants.

« Je veux que mes enfants poursuivent des études, » dit-elle. « Je pense toujours à leur éducation parce que je n’ai pas pu obtenir un diplôme. Mon père avait de l’argent mais, étant la fille aînée, je devais prendre soin de mes frères et sœurs. Si j’avais poursuivi des études je pourrais mieux réussir aujourd’hui. En soirée, mes enfants me racontent ce qu’elles espèrent accomplir un jour. Je dois faire tout ce qui est dans mon pouvoir pour les encourager à poursuivre leurs rêves. »

Innocent et son ami déplacent l’embrayage du guidon droit au guidon gauche, le permettant ainsi de conduire et de changer de vitesse avec sa main gauche.

Innocent et son ami déplacent l’embrayage du guidon droit au guidon gauche, le permettant ainsi de conduire et de changer de vitesse avec sa main gauche. ©UNHCR/Kate Holt

Innocent, 19

Innocent, le fils de Pascaline, a été enlevé en 2010 et a passé trois ans en captivité dans la brousse. Il a réussi à s’échapper lors d’une attaque par les troupes congolaises en 2013, mais fut tiré dans la main droite, qui a dû être amputée. Après avoir reçu des soins médicaux, il retourna à l’école à Dungu, mais a abandonné parce qu’il n’était plus capable d’écrire. C’est grâce à sa mère, qui travaille à la boulangerie et dans les champs, qu’il a pu survivre avant de décrocher son emploi actuel.

« Je suis de retour depuis 2013, mais je n’ai qu’une seule main, » me raconte Innocent. « Je voulais aller à l’école, mais je n’étais pas capable d’écrire et c’était un problème. J’ai essayé de trouver quelque chose d’autre à faire. J’ai commencé à conduire une motocyclette. Je transporte des gens et des biens et voilà comment je me débrouille. Je pensais que conduire une moto pouvait être une solution puisque j’aimais bien les motocyclettes avant d’être enlevé. »

« Avec une main, c’est la seule chose que je puisse faire, » dit-il. « J’ai trouvé une façon de changer l’embrayage du guidon droit au guidon gauche de la motocyclette. »
Innocent transporte des gens et des biens de Dungu à Niangara avec la motocyclette de son oncle. Par contre, malgré avoir appris à conduire avec une main, c’est quand même problématique.

« Initialement quand je transporte des gens, ils ont des doutes, mais après quelques mètres, une fois qu’ils ont vu comment je conduis, ils me font confiance. Mais j’ai des problèmes avec la police. Quand ils me voient ils me disent que j’ai besoin d’une prothèse. J’aimerais bien en trouver une. Elle m’aiderait à être plus stable sur la moto. »

Marie prépare un souper à la maison de sœur Angélique à Dungu, à l’est de la République démocratique du Congo.

Marie prépare un souper à la maison de sœur Angélique à Dungu, à l’est de la République démocratique du Congo. ©UNHCR/Kate Holt

Marie, 20

Marie n’avait que 14 ans lorsqu’elle a été capturée par l’Armée de résistance du Seigneur dans son village de Duru. En captivité pendant trois ans, elle fut éventuellement libérée. Marie a rencontré sœur Angélique à un site à Nyanzava pour les personnes déplacées à l’intérieur, rejoint ses classes d’alphabétisation en 2012 et ses classes de cuisson et de couture peu après.

Grâce à son emploi à la boulangerie, Marie est maintenant capable de nourrir sa famille. L’an dernier, elle a rencontré quelqu’un, et ensemble ils ont une fille de trois mois.

« J’ai nommé ma fille Angélique, parce que sœur Angélique m’a tant appris, » dit Marie en souriant. « Elle m’a appris comment travailler et l’importance du travail. » La famille fait un peu d’agriculture et l’époux de Marie leur construit une maison de briques. « Il construit une grande maison, comme sœur Angélique lui a dit de faire, » dit Marie. « Maintenant, j’ai tout, » poursuit-elle. « Je ne pourrais demander pour rien de plus. Quand je termine le boulot dans les champs, je retourne à la maison et je continue ma journée de travail à la boulangerie, à cuire des beignets pour faire de l’argent et prendre soin de ma famille. Si quelqu’un tombe malade, j’ai l’argent qu’il faut pour l’amener à l’hôpital. Il n’y a rien d’autre que je puisse vouloir. Je ne veux que rester avec mon époux et vivre ma vie auprès de lui. Je l’aime tant. »

Sœur Angélique fait de la paperasserie dans le bureau de sa nouvelle boulangerie.

Sœur Angélique fait de la paperasserie dans le bureau de sa nouvelle boulangerie. . ©UNHCR/Kate Holt

Sœur Angélique, 48

En 2013, sœur Angélique, une religieuse catholique de 48 ans, a été le récipiendaire de la Médaille Nansen pour son courage exceptionnel et le support qu’elle a offert aux victimes de violence brutale dans la République démocratique du Congo. Avec la bourse du prix, elle a ouvert une boulangerie coopérative qui lui permet d’assister plus de femmes déplacées par le combat. Elle a aussi acheté un champ de 20 hectares où 80 femmes sont employées et ont cultivés 30 tonnes de riz cette année.

Sœur Angélique a aussi établi un orphelinat, une école primaire et une clinique de santé qui offre des soins gratuit aux enfants. Elle a également organisé des leçons de couture avec une couturière professionnelle.

« Je ne pleure plus comme je pleurais auparavant, » me dit-elle. « Avant, je ne pouvais pas acheter du lait pour les enfants parce que je n’avais pas d’argent. Maintenant quand je vais au magasin, ils m’offrent le lait même si je ne suis pas en mesure de payer immédiatement, parce qu’ils savent que je payerai. Désormais, je n’ai que des larmes de joie. Avant, c’était même difficile de se nourrir. Maintenant, avec les champs, nous pouvons manger à chaque fois que nous avons faim. »

« La communauté de Dungu est si heureuse, » raconte-elle en souriant. « Les hommes disent que c’est grâce à ses projets qu’ils sont maintenant capable d’amener leurs épouses à l’hôpital pour accoucher. Ils me disent que je ne peux m’imaginer combien de personnes que j’ai aidées ici à Dungu. Et je leur dis que c’est le HCR, c’est la médaille qu’ils m’ont allouée, qui a créé tout cela pour eux. C’est votre œuvre en action. »

Ce ne sont pas qu’à des orphelines ou à des victimes de l’Armée de résistance du Seigneur qu’Angélique vient en aide. Elle aide d’autres personnes de la communauté également. « Des parents envoient leurs enfants, me demandant de les entraîner, » explique sœur Angélique. « Grâce à cela, je peux garder espoir qu’une fois que je ne serai plus là, il y aura d’autres personnes qui pourront continuer le travail. »

 

Par : Céline Schmitt