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Cheung c. Canada ( Ministre de l'Emploi et de l'Immigration )

Publisher Canada: Federal Court of Appeal
Author Federal Court of Appeal of Canada
Publication Date 1 April 1993
Citation / Document Symbol [1993] 2 C.F. 314
Related Document(s) Cheung v. Canada (Minister of Employment and Immigration)
Cite as Cheung c. Canada ( Ministre de l'Emploi et de l'Immigration ), [1993] 2 C.F. 314, Canada: Federal Court of Appeal, 1 April 1993, available at: http://www.refworld.org/cases,CAN_FCA,3ae6b6e810.html [accessed 25 June 2017]
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Cheung c. Canada

A-785-91

Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et Linden, J.C.A.

Toronto, 26 mars; Ottawa, 1er avril 1993.

Citoyenneté et immigration – Statut au Canada – Réfugiés au sens de la Convention – Appel d'une décision de la Commission selon laquelle une femme et son second enfant n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention – L'appelante faisait face à la stérilisation forcée en application de la politique chinoise de l'enfant unique après la naissance de son second enfant – Ce dernier, qui s'est déjà vu refuser des soins médicaux, faisait face à une privation d'éducation, de chances d'emploi et de vivres s'il retournait en Chine – Appel accueilli – Les femmes en Chine ayant un enfant et faisant face à la stérilisation forcée constituent un groupe social – La stérilisation forcée des femmes constitue une violation des droits fondamentaux de la personne telle qu'elle constitue de la persécution – Le second enfant est personnellement un réfugié au sens de la Convention – Les seconds enfants constituent un groupe social faisant face à des privations qui équivalent à de la persécution.

Il est interjeté appel de la décision par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les appelantes n'avaient pas raison de craindre d'être persécutées, et ne pouvaient revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. La persécution alléguée est la stérilisation forcée en application de la politique chinoise de l'enfant unique. En 1984, l'appelante Ting Ting Cheung a eu un fils. Au cours des deux années suivantes, elle s'est fait avorter à trois reprises. En 1986, elle est allée vivre dans une autre province pour que les autorités locales n'apprennent sa nouvelle grossesse. Elle a donné naissance à une fille, qui s'est déjà vu refuser les soins médicaux normaux prodigués à de jeunes enfants et qui serait privée de vivres et de chances d'éducation et d'emploi si elle retournait en Chine. Au retour de l'appelante, les autorités locales l'ont emmenée en vue d'une stérilisation, mais la procédure devait être ajournée pour des raisons médicales. L'appelante a quitté la province avant qu'on n'entame de nouveau la procédure, et elle est en fin de compte venue au Canada. Il est reconnu que l'appelante serait stérilisée si elle retournait en Chine. La décision de la Commission s'est concentrée sur le but général visé par la politique de l'enfant unique, c'est-à-dire la modernisation de la Chine. La Commission a décidé qu'il n'existait aucune intention de persécution, et que cette politique était une règle d'application générale. La première question qui se pose est de savoir si la crainte fondée de stérilisation forcée en application de la politique chinoise de l'enfant unique constitue une crainte fondée de persécution du fait de l'appartenance à un groupe social. Pour trancher cette question, il faut déterminer si les femmes en Chine qui ont plus d'un enfant et qui font face à la stérilisation forcée constituent un groupe social selon la définition de réfugié au sens de la Convention, et si la stérilisation forcée constitue de la persécution. La seconde question est de savoir si un second enfant, né contrairement à la politique de l'enfant unique, peut obtenir le statut de réfugié.

Arrêt: les appels doivent être accueillis.

La Commission a mal interprété le droit en se concentrant sur le but général visé par la politique de l'enfant unique, plutôt que d'examiner les méthodes utilisées pour appliquer cette politique. La décision de la Commission n'a pas tenu compte de la mesure dans laquelle la stérilisation porte atteinte à l'intégrité mentale et physique d'une personne, et elle a eu tort d'exiger l'existence d'une «intention de persécution», alors qu'un effet de persécution suffit.

Les femmes en Chine qui ont un enfant et qui font face à la stérilisation forcée satisfont suffisamment aux critères dégagés dans l'affaire Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Mayers pour constituer un groupe social. Elles partagent le même statut social et ont un intérêt similaire que ne partage pas leur gouvernement. Elles ont en commun une fin si essentielle à leur dignité humaine qu'elles ne devraient pas être obligées de la modifier pour le motif que l'ingérence dans la liberté de procréation d'une femme est un droit fondamental «qui se situe en haut de notre échelle de valeurs».

La stérilisation forcée dans le contexte de la politique chinoise de l'enfant unique constitue de la persécution. La stérilisation forcée des femmes chinoises qui ont eu un enfant n'est pas une règle d'application générale. Il s'agit d'une pratique qui touche un groupe limité et bien défini de personnes et ne reçoit pas une application générale. La stérilisation forcée n'est pas universellement appliquée dans toute la Chine. Ce sont les autorités locales, plutôt que le gouvernement central, qui s'en occupent principalement, mais, même si l'État ne participe pas directement à la persécution d'un individu, la victime d'une telle persécution peut tout de même relever de la définition de réfugié au sens de la Convention. Même si la stérilisation forcée était acceptée comme une règle d'application générale, ce fait n'empêcherait pas une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention lorsque la règle s'applique de manière à constituer de la persécution. La crainte de l'appelante s'étend au-delà des conséquences de la règle d'application générale (c.-à-d. des pénalités économiques) pour inclure un traitement extraordinaire dans son cas (la stérilisation forcée). De plus, si la punition est si draconienne au point d'être complètement disproportionnée avec l'objectif de la règle, on peut y voir de la persécution et ce, indépendamment de la question de savoir si le but de la punition est la persécution. La stérilisation forcée des femmes est une violation essentielle des droits fondamentaux de la personne. Elle est une violation inacceptable de la sécurité de la personne et constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant. La pratique consistant à forcer les femmes à subir une stérilisation forcée viole à ce point leurs droits humains fondamentaux qu'elle constitue de la persécution, même si son objet était de promouvoir la modernisation de la Chine. L'appelante avait raison de craindre d'être persécutée.

Le second enfant de l'appelante peut personnellement revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. Elle est membre d'un groupe social, c'est-à-dire le groupe des seconds enfants, et, en tant que tel, elle ferait l'objet d'une discrimination si grave et si concertée qu'elle s'assimilerait à la persécution.

lois et règlements

Déclaration universelle des droits de l'homme, N.U. Ass. Gén. Rés. 217 A (III), 10 déc., 1948, Art. 3, 5.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 52c)(i) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 17).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Canada (Ministre de L'Emploi et de l'Immigration) c. Mayers, [1993] 1 C.F. 154 (C.A.); Padilla c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.); E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388; (1986), 31 D.L.R. (4th) 1; 185 A.P.R. 273; 61 Nfld. & P.E.I.R. 273; 8 C.H.R.R. D/3773; 13 C.P.C. (2d) 6; 71 N.R. 1.

distinction faite avec:

Canada (Procureur général) c. Ward, [1990] 2 C.F. 667; (1990), 67 D.L.R. (4th) 1; 10 Imm. L.R. (2d) 189; 108 N.R. 60 (C.A.).

décisions citées:

I. (R.R.) (Re), [1992] D.S.S.R. no 87 (Q.L.); H. (W.I.) (Re), [1989] D.S.S.R. no 15 (Q.L.); Surujpal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1985), 60 N.R. 73 (C.A.F.); Zalzali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.); T. (S.N.) (Re), [1989] D.S.S.R. no 30 (Q.L.); A. (W.R.) (Re), [1989] D.S.S.R. no 98 (Q.L.).

doctrine

Hathaway, James C. The Law of Refugee Status, Butterworths: Toronto, 1991.

APPELS de la décision par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a statué que les appelantes n'avaient pas raison de craindre d'être persécutées, et qu'elles n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Appels accueillis.

avocats:

M. Pia Zambelli pour les appelantes.

John Vaissi-Nagy pour l'intimé.

procureurs:

Hoppe, Jackman, Zambelli & Associés, Mont- réal, pour les appelantes.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A.: Dans le présent appel, il s'agit principalement de savoir si une crainte fondée de stérilisation forcée en application de la politique chinoise de l'enfant unique constitue une crainte fondée de persécution pour des motifs d'appartenance à un groupe social. Il s'agit également de déterminer si un second enfant, né contrairement à la politique de l'enfant unique, peut obtenir le statut de réfugié.

LES FAITS

Les appelantes Ting Ting Cheung et sa jeune fille, Karen Lee, sont venues au Canada et ont eu une audience sur le statut de réfugié tenue le 10 août 1990. En 1984, Mme Cheung avait donné naissance à un garçon. Après la naissance de son fils, elle a recouru au dispositif intra-utérin comme méthode de contrôle de naissance conformément à la politique de l'enfant unique de la Chine. En raison de complications donnant lieu à une hémorragie extrême au cours de son cycle menstruel, Mme Cheung a dû renoncer au D.I.U. Au cours des deux années suivantes, l'appelante est devenue enceinte et s'est fait avorter à trois reprises. Bien que son médecin ait insisté pour qu'elle se fasse stériliser, l'appelante n'a pas adopté cette solution. Il semble que son mari, qui vivait et travaillait à Hong Kong, s'est opposé à sa stérilisation.

En 1986, Mme Cheung est encore une fois devenue enceinte. Cette fois, elle a décidé de ne pas se faire avorter de nouveau. Au lieu d'un avortement, elle est allée vivre chez ses beaux-parents à Pun Yu, pour que les autorités du lieu où elle vivait à Guangzhou n'apprennent pas sa grossesse. Si on avait découvert qu'elle était enceinte, on l'aurait forcée à se faire avorter de nouveau.

Après avoir donné naissance à son second enfant, Karen Lee, Mme Cheung est retournée à Guangzhou. Elle n'a pu emmener avec elle sa fille nouveau-née. Le second enfant de Mme Cheung n'est pas né dans un hôpital et s'est vu refuser les soins médicaux normaux prodigués à de jeunes enfants. L'appelante a fait savoir que, en tant que second enfant, Karen Lee n'aurait pas droit à des vivres, recevrait une éducation de catégorie inférieure, à supposer qu'elle puisse s'inscrire à l'école. Cela a été confirmé dans la preuve documentaire.

Peu de temps après le retour de Mme Cheung à Guangzhou, le Bureau de la planification familiale est venu chez elle et il l'a emmenée en vue d'une stérilisation. Toutefois, étant donné qu'elle souffrait d'une infection, le médecin a décidé qu'il ne pourrait procéder à l'opération avant six mois. Avant la fin de cette période de six mois, l'appelante a fui Guangzhou afin d'éviter d'être stérilisée. Elle a encore déménagé à Pun Yu pour vivre avec ses beaux-parents. Elle est de nouveau devenue enceinte, mais elle a eu un autre avortement à Pun Yu.

Au cours des trois années suivantes, Mme Cheung est retournée périodiquement à Guangzhou pour voir son fils qui y est resté avec ses grands-parents. En 1989, alors qu'elle était en visite à Guangzhou, l'appelante a participé à trois manifestations pour appuyer le mouvement pro-démocratique. Peu de temps après, par suite de la répression en Chine, le Bureau de la sécurité publique s'est rendu chez ses parents un certain nombre de fois. On ne sait pas si ces visites se rapportaient à Mme Cheung ou à la participation de son frère aux manifestations organisées à Beijing. Quoi qu'il en soit, c'est peu de temps après que l'appelante est venue au Canada.

La Commission a accepté le fait que l'appelante serait stérilisée si elle était forcée à retourner en Chine. Les peines additionnelles auxquelles ferait face Mme Cheung si on la renvoyait en Chine pourraient comprendre l'emprisonnement, peut-être dans un camp de rééducation idéologique.

LES MOTIFS DE LA COMMISSION

Se fondant sur ces faits, la Commission a décidé que Ting Ting Cheung n'avait pas une crainte fondée de persécution et ne pouvait donc revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. Voici l'essentiel des motifs de la Commission:

[traduction] Je ne vois dans la preuve aucune intention de persécution de la part du gouvernement chinois, mais simplement le désir désespéré de venir à bout de la situation qui compromet beaucoup ses plans de modernisation. Il ne s'agit pas d'une politique née d'un caprice, mais d'une logique économique.

Bien que l'approche déclarée du gouvernement central soit une approche de persuasion, il ressort de la preuve que les autorités locales, qui sont chargées de l'application de cette politique, ont recouru à la coercition. Cette coercition a pris la forme de fortes amendes, d'atteintes à la carrière, de privation de certains privilèges, d'avortement et de stérilisation forcés. Ces mesures de dissuasion, qui varient de province en province, se réalisent à l'aide de primes d'encouragement destinées aux couples qui adhèrent aux lignes directrices gouvernementales. La possibilité de coercition dans la mise en oeuvre de cette politique ne suffit pas, à mon avis, à en faire une politique de persécution.

Il s'agit d'une politique qui équivaut à une règle d'application générale dont l'objectif clair est, non pas la persécution, mais le contrôle général de la population . . .

Je ne perçois pas la politique chinoise de l'enfant unique comme un subterfuge en vue d'une persécution quelconque, et, bien que je comprenne le point de vue de ceux qui doivent s'y soumettre, j'estime qu'il ne m'appartient pas de dire au gouvernement chinois la façon dont il doit gérer ses affaires économiques. Lors même que la demanderesse pourrait être stérilisée si elle retournait en Chine, puisque cette violation de son intégrité personnelle est simplement la mise en oeuvre d'une règle d'application générale et ne saurait se rapporter à l'un des cinq motifs prévus par la Convention, je ne crois pas que cela relève de la section du statut de réfugié.

À mon avis, la Commission a, dans sa décision, mal interprété le droit en se concentrant sur le but général visé par la politique gouvernementale de l'enfant unique, qui peut très bien se comprendre en Chine, plutôt que d'examiner les méthodes utilisées pour appliquer cette politique. En agissant de la sorte, la Commission n'a pas tenu compte de la mesure dans laquelle la stérilisation porte atteinte à l'intégrité mentale et physique d'une personne. Elle a également eu tort d'exiger l'existence d'une [traduction] «intention de persécution», alors qu'un effet de persécution suffit (voir Hathaway, The Law of Refugee Status, à la page 125).

DÉCISION

Le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1] définit en ces termes l'expression "réfugié au sens de la Convention":

2. (1)    Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

. . .

«réfugié au sens de la convention» Toute personne:

a) qui, craignant avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

(i)  soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

La Cour a principalement à trancher la question de savoir si la crainte fondée de stérilisation forcée, en application de la politique chinoise de l'enfant unique, constitue une crainte fondée de persécution du fait de l'appartenance à un groupe social. Cette question peut se diviser en deux sous-questions, la première étant de savoir si les femmes en Chine qui ont plus d'un enfant et qui font face à une stérilisation forcée, constituent un groupe social selon la définition de réfugié au sens de la Convention. La seconde sous-question consiste à savoir si la stérilisation forcée ou contrainte constitue de la persécution.

a)         Appartenance à un groupe social

J'aborde tout d'abord la question de savoir si les femmes en Chine qui ont plus d'un enfant et qui font face à la stérilisation forcée, constituent un groupe social selon la définition de réfugié au sens de la Convention. Il existe très peu de décisions portant sur le sens de l'expression «appartenance à un groupe social». Les deux seules décisions de la Cour d'appel fédérale abordant ce sujet sont Canada (Procureur général) c. Ward, [1990] 2 C.F. 667 (autorisation de pourvoi devant la Cour suprême accordée) et Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Mayers, [1993] 1 C.F. 154. Les faits de l'espèce correspondent plus directement à ceux de l'affaire Mayers précitée. En fait, ainsi qu'il a été décidé dans l'affaire Mayers précitée, à la page 162, les faits sur lesquels la décision Ward reposait «diffèrent des faits de l'espèce au point de rendre les conclusions particulières et les remarques incidentes tout à fait non pertinentes». En conséquence, la décision Ward n'aide guère à trancher l'appel de Mme Cheung.

L'affaire Mayers nous est effectivement utile. Le juge Mahoney, J.C.A., s'y est prononcé en ces termes (le juge Heald, J.C.A., souscrivant aux motifs) [aux pages 169 et 170]:

En conclusion, selon moi, on ne peut pas dire que l'arbitre a commis une erreur de droit en concluant implicitement que la section du statut de réfugié pouvait estimer que les «Trinidadiennes victimes de violence conjugale» constituaient un groupe social et que la crainte de mauvais traitements, vu l'indifférence des autorités, constituait de la persécution.

Le juge Mahoney, J.C.A., n'est pas allé jusqu'à conclure que les Trinidadiennes victimes de violence conjugale constituent un groupe social qui craint avec raison d'être persécuté, puisqu'on ne lui a pas demandé de rendre une telle décision. Dans ses motifs concourants, le juge en chef Isaac s'est dit d'accord avec la majorité sur la question de savoir si les Trinidadiennes se trouvant dans les circonstances décrites peuvent constituer un groupe social qui craint avec raison d'être persécuté selon la définition de réfugié au sens de la Convention. Le juge en chef a déclaré [à la page 157]:

Je conviens avec mon collègue que l'on ne peut pas dire que l'arbitre a commis une erreur de droit en concluant que la section du statut de réfugié pouvait estimer que les «Trinidadiennes victimes de violence conjugale» constituaient un groupe social et que la crainte de mauvais traitements, vu l'indifférence des autorités, constituait de la persécution.

Dans l'affaire Mayers précitée, le juge Mahoney, J.C.A., a indiqué [à la page 165] que les critères suivants aident à formuler les conditions essentielles à la constitution d'un groupe social:

(1)  groupe naturel ou non de personnes (2) qui partagent des antécédents, des habitudes, un statut social, des vues politiques, une instruction, des valeurs, des aspirations, une histoire, des activités ou des intérêts économiques similaires, souvent des intérêts contraires à ceux du gouvernement au pouvoir et (3) qui partagent des caractéristiques, une conscience et une solidarité inaltérables, innées et fondamentales ou (4) qui partagent un statut temporaire mais volontaire, afin que leur association soit si essentielle à leur dignité humaine qu'elles ne devraient pas être obligées de la modifier.

Il est clair que les femmes en Chine qui ont un enfant et qui font face à la stérilisation forcée satisfont suffisamment aux critères ci-dessus pour être considérées comme formant un groupe social. Elles forment un groupe partageant le même statut social et ont un intérêt similaire que ne partage pas leur gouvernement. Elles ont en commun certaines caractéristiques fondamentales. Toutes celles qui entrent dans ce groupe poursuivent ou ont en commun une fin si essentielle à leur dignité humaine qu'elles ne devraient pas être obligées de la modifier pour le motif que l'ingérence dans la liberté de procréation d'une femme est un droit fondamental qui «se situe en haut dans notre échelle de valeurs» (E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388 [à la page 434]).

Je conclus donc que les femmes en Chine qui ont plus d'un enfant et qui, de ce fait, font face à la stérilisation forcée forment un groupe social, de manière à être visées par la définition de réfugié au sens de la Convention (I. (R.R.) (Re), [1992] D.S.S.R. no 87 (Q.L.)). Bien entendu, cela ne veut pas dire que toutes les femmes en Chine qui ont plus d'un enfant peuvent automatiquement réclamer le statut de réfugié au sens de la Convention. Seules les femmes qui craignent également avec raison d'être persécutées par suite de cette situation qui peuvent revendiquer un tel statut.

b)         Persécution

Ayant conclu que la demanderesse relève d'une catégorie énumérée dans la définition de réfugié au sens de la Convention, c'est-à-dire qu'elle appartient à un groupe social, il reste à déterminer si Mme Cheung craint avec raison d'être persécutée de ce fait. La question en l'espèce est de savoir si la stérilisation forcée ou fermement imposée, dans le contexte de la politique chinoise de l'enfant unique, constitue de la persécution. La Commission a conclu que la stérilisation forcée, dans ce contexte, n'était pas de la persécution. Je ne suis pas d'accord et ce, pour plusieurs raisons.

Bien que la politique de l'enfant unique s'applique généralement en Chine, la stérilisation forcée de femmes chinoises qui ont eu un enfant n'est pas une règle d'application générale (H. (W.I.) (Re), [1989] D.S.S.R. no 15 (Q.L.)). Il s'agit d'une pratique qui touche un groupe limité et bien défini de personnes et ne reçoit pas une application générale. Qui plus est, il ressort de la preuve documentaire que la stérilisation forcée n'est pas universellement appliquée dans toute la Chine. Il existe beaucoup d'exceptions. Ce sont les autorités locales, plutôt que le gouvernement central, qui s'occupent principalement de la stérilisation et des avortements forcés. En fait, ces pratiques peuvent entrer en conflit même avec les politiques officielles du gouvernement chinois. Quoi qu'il en soit, même si l'État ne participe pas directement à la persécution d'un individu, celle dont il est victime peut tout de même relever de la définition de réfugié au sens de la Convention (Surujpal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1985), 60 N.R. 73 (C.A.F.); Zalzali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.)).

Même si la stérilisation forcée était acceptée comme une règle d'application générale, ce fait n'empêcherait pas nécessairement une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Dans certains cas, l'effet d'une règle d'application générale peut constituer de la persécution. Dans l'affaire Padilla c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.), la Cour a statué que même lorsqu'il y a une règle d'application générale, son mode d'application peut constituer de la persécution. Dans l'affaire Padilla, la Cour a décidé qu'une commission doit examiner les pénalités extra judiciaires qui pourraient être imposées. De même, en l'espèce, la crainte de l'appelante ne réside pas simplement dans le fait qu'elle peut s'exposer aux pénalités économiques autorisées par la politique chinoise de l'enfant unique. Cela peut très bien être acceptable. Plus exactement, l'appelante à l'instance craint vraiment la stérilisation forcée; sa crainte s'étend au-delà des conséquences de la règle d'application générale pour inclure un traitement extraordinaire dans son cas qui ne découle normalement pas de cette règle (I. (R.R.) (Re), [1992] D.S.S.R. no 87 (Q.L.)). De plus, si la punition ou le traitement imposés en vertu d'une règle d'application générale sont si draconiens au point d'être complètement disproportionnés avec l'objectif de la règle, on peut y voir de la persécution, et ce, indépendamment de la question de savoir si le but de la punition ou du traitement est la persécution. Camoufler la persécution sous un vernis de légalité ne modifie pas son caractère. La brutalité visant une fin légitime reste toujours de la brutalité.

La stérilisation forcée des femmes est une violation essentielle des droits fondamentaux de la personne. Elle va à l'encontre des articles 3 et 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies. Cette déclaration a été adoptée et proclamée par l'Assemblée générale dans sa résolution 217 A(III) du 10 décembre 1948. Ces articles 3 et 5 sont ainsi rédigés:

Article 3

Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de la personne.

. . .

Article 5

Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

La stérilisation forcée d'une femme est une violation grave et totalement inacceptable de la sécurité de sa personne. La stérilisation forcée soumet une femme à des traitements cruels, inhumains et dégradants. Dans un arrêt rédigé en termes énergiques où il s'agissait d'une personne handicapée, la Cour suprême du Canada a récemment interdit la stérilisation non thérapeutique parce qu'elle constitue une «atteinte . . .  grave des droits fondamentaux d'une personne» [à la page 432], «dans chaque cas, une grave atteinte à l'intégrité physique et mentale de la personne» [à la page 434], et une «grave atteinte au droit d'une personne [conduisant au] préjudice physique certain» [à la page 431] (E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388). Il existe peu de pratiques qui pourraient être plus abusives et plus brutales que la stérilisation forcée. Je suis donc certain que la menace de stérilisation forcée peut engendrer une crainte de persécution selon la définition de réfugié au sens de la Convention figurant dans la Loi sur l'immigration (T. (S.N.) (Re), [1989] D.S.S.R. no 30 (Q.L.); H. (W.I.) (Re), [1989] D.S.S.R. no 15 (Q.L.); I. (R.R.) (Re), [1992] D.S.S.R. no 87 (Q.L.); A. (W.R.) (Re), [1989] D.S.S.R. no 98) (Q.L.)). Si, par exemple, au lieu de la stérilisation forcée, la politique consistait à mettre à mort tous les cadets, personne ne nierait que la règle ait un caractère de persécution. Il y a un seuil au-delà duquel un traitement cruel devient de la persécution, indépendamment de la question de savoir s'il est sanctionné par la loi; la stérilisation forcée des femmes est si abusive qu'elle dépasse ce seuil. Il ne s'agit simplement pas d'une [traduction] «affaire économique» comme l'a prétendu la Commission dans ses motifs, ni d'une question [traduction] «purement réglementaire» comme l'a soutenu l'avocat du ministre. La pratique consistant à forcer les femmes à subir une stérilisation viole à ce point leurs droits humains fondamentaux qu'elle constitue de la persécution, même si son objet était de promouvoir la modernisation de la Chine.

KAREN LEE CHEUNG

La Commission a également eu tort dans le traitement qu'elle a réservé à l'appelante mineure. En tant qu'enfant mineure à la charge de Mme Cheung, Karen Lee peut également prétendre à un tel statut compte tenu du principe de l'unité familiale. De plus, si on renvoyait Karen Lee en Chine, elle ferait l'objet, personnellement, d'une discrimination si concertée et si grave, dont la privation de soins médicaux, d'instruction et de chances d'emploi et même de nourriture, qu'elle s'assimilerait à la persécution. On l'a décrite de façon poignante comme une [traduction] «personne du marché noir» qui se voit refuser les droits ordinaires dont bénéficient les enfants chinois. En tant que telle, elle est membre d'un groupe social, c'est-à-dire le groupe des seconds enfants. Karen Lee a déjà connu certaines privations, et elle pourrait être persécutée de nouveau si on la renvoyait en Chine.

CONCLUSION

Compte tenu de ces conclusions, l'appel interjeté par Ting Ting Cheung et par sa fille mineure Karen Lee devrait être accueilli. La Commission a eu tort de décider que Mme Cheung n'avait pas une crainte de persécution fondée du fait de son appartenance à un groupe social. J'estime qu'elle aurait dû conlure que Mme Cheung était une réfugiée. Je conclus également que Karen Lee, comme sa mère, craint avec raison d'être persécutée et aurait dû être autorisée à rester, de son propre chef, au Canada en tant que réfugiée au sens de la Convention.

Par ces motifs, l'appel sera accueilli. Comme la crédibilité de la demanderesse adulte ne soulève pas de problèmes et que la Commission n'a aucune question factuelle à trancher, la Cour exerce le pouvoir discrétionnaire qu'elle tient du sous-alinéa 52c)(i) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7) pour déclarer les deux appelantes réfugiées au sens de la Convention.

Le juge Mahoney, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge Stone, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

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