Last Updated: Wednesday, 11 October 2017, 08:46 GMT

Faustina Annan c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada

Publisher Canada: Federal Court
Author Federal Court of Canada
Publication Date 6 July 1995
Type of Decision IMM-215-95
Related Document(s) Faustina Annan v. Minister of Citizenship and Immigration of Canada
Cite as Faustina Annan c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada, Canada: Federal Court, 6 July 1995, available at: http://www.refworld.org/cases,CAN_FC,3ae6b6e3c.html [accessed 11 October 2017]
DisclaimerThis is not a UNHCR publication. UNHCR is not responsible for, nor does it necessarily endorse, its content. Any views expressed are solely those of the author or publisher and do not necessarily reflect those of UNHCR, the United Nations or its Member States.

Répertorié: Annan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Dubé-Montréal, 28 juin; Ottawa, 6 juillet 1995.

Citoyenneté et Immigration - Statut au Canada - Réfugiés au sens de la Convention - Femme catholique romaine ayant fui le Ghana pour échapper à des musulmans voulant pratiquer l'excision du clitoris - Pratique officiellement condamnée, mais tolérée - Volonté de l'État d'agir, facteur important pour déterminer si la protection de l'État existe - Requérante réfugiée au sens de la Loi.

La requérante, catholique romaine originaire du Ghana et âgée de 23 ans, a fui son pays quand un chef religieux musulman a décidé qu'elle devait faire l'objet d'une excision (ablation sommaire du clitoris, avec les moyens du bord, sans précaution sanitaire, ceci dans le but d'enlever toute jouissance sexuelle à la femme musulmane) afin de la purifier. Le chef religieux agissait à l'instigation du fils d'un inspecteur de police local qui, n'ayant pu la convaincre de l'épouser, avait enlevé la requérante et, avec quelques amis, l'avait violée à tour de rôle.

La section du statut de réfugié a rejeté la revendication de la requérante du statut de refugié au sens de la Convention au motif que le Ghana n'était pas un pays musulman, que la pratique de l'excision du clitoris se retrouvait uniquement dans certaines parties du nord, que le gouvernement n'en avait pas approuvé la pratique et qu'il était sur le point de la déclarer illégale. Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision.

Jugement: la demande doit être accueillie.

Les faits démontrent clairement que la crainte de la requérante était bien fondée. Puisqu'il a été établi que, bien qu'officiellement condamnée, cette pratique était encore tolérée au Ghana, il n'y a pas lieu de conclure que si la requérante devait retourner dans son pays, elle pourrait compter sur la protection de l'État. Il faut non seulement considérer la capacité de protection de l'État, mais aussi sa volonté d'agir.

En outre, la requérante ne pouvait trouver refuge ailleurs au Ghana. Il s'agit d'un petit pays dont les fondements culturels reposent encore pour beaucoup sur les tribus et il n'était pas déraisonnable de croire que l'inspecteur de police avait à sa disposition les ressources nécessaires pour obtenir des renseignements de la part de ses collègues ailleurs au pays et trouver l'endroit où elle pourrait s'installer. La requérante craint par conséquent, à juste titre, que ses persécuteurs apprennent son retour et continuent de la pourchasser.

lois et règlements

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) «réfugié au sens de la Convention» (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1).

Jurisprudence

Décisions appliquées:

Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; (1993), 103 D.L.R. (4th) 1; 153 N.R. 321; Mendivil c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 167 N.R. 91 (C.A.F.); Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706; (1991), 140 N.R. 138 (C.A.); Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589; (1993), 109 D.L.R. (4th) 682; 22 Imm. L.R. (2d) 241: 163 N.R. 232 (C.A.).

Décision citée:

Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130; 150 N.R. 232 (C.A.F.).

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de réfugié rejetant la revendication de la requérante du statut de réfugié au sens de la Convention. Demande accueillie.

Avocats:

Jean-François Fiset pour la requérante.

Michèle Joubert pour l'intimé.

Procureurs:

Blain, Fiset et Associés, Montréal, pour la requérante.

Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimé.

Voici les motifs de l'ordonnance rendus en français par

Le juge Dubé: La requérante, une citoyenne du Ghana âgée de 23 ans, arrivée au Canada le 6 juin 1994, revendique le statut de réfugié en raison d'une crainte bien fondée de persécution basée sur ses croyances religieuses.

1.         Les faits pertinents

Le père de la requérante est né à Tamale dans la région du nord du Ghana alors que sa mère est native de Suyani, une région plus au sud. Avant son mariage, la mère de la requérante a été forcée par la famille de son mari de se faire exciser selon la coutume musulmane. Cette famille a également exigé que leur premier enfant, une fille, soit excisée et l'enfant est morte après avoir saigné au bout de son sang. Par après, les parents se sont convertis au christianisme et se sont enfuis à Suyani pour éviter que leur deuxième fille, en l'espèce la requérante, ne soit excisée.

Par la suite, le père est devenu un commerçant prospère qui utilisa son influence et ses moyens financiers pour contribuer à la construction d'églises catholiques dans sa région. Il a été menacé de mort s'il refusait de se reconvertir à la religion islamique et ne procédait pas à l'excision de la requérante. Le père a porté plainte aux officiers de police de sa région mais ceux-ci se sont dits incapables de le protéger et l'ont même accusé d'être un fanatique religieux.

En janvier 1994, le fils d'un inspecteur de police de Kintampo a commencé à harceler la requérante pour qu'elle l'épouse. Attendu qu'elle refusait sa proposition, le jeune homme l'a pourchassée, l'a menacée de viol pour finalement l'enlever, la séquestrer, puis la violer à tour de rôle avec ses amis pendant plusieurs heures. Le fils de l'inspecteur a par après fait venir un leader religieux musulman afin de constater si elle avait été excisée. Dans le but de la purifier, ce dernier a décidé qu'elle serait excisée le lendemain.

Il faut retenir qu'avant son enlèvement elle avait vu ses parents se faire battre devant le domicile familial. Elle réussit à s'échapper et à s'enfuir du Ghana grâce à l'aide d'un pasteur catholique.

Évidemment, la requérante craint un retour au Ghana de peur d'être forcée par des fanatiques musulmans à subir l'excision, d'autant plus qu'elle ne peut compter sur la protection de la police puisque c'est le fils de l'inspecteur qui la pourchasse toujours pour la marier et l'obliger à se conformer aux pratiques musulmanes.

2.         La décision de la section du statut

La section du statut (la section) a conclu que la requérante n'avait pas une crainte bien fondée d'être persécutée si elle retournait dans son pays. Dans un premier temps, elle a noté que le Ghana n'est pas un pays musulman et ne favorise pas une religion plutôt qu'une autre. La pratique de l'excision se retrouve uniquement dans certaines parties du nord où l'opération est pratiquée à un jeune âge. De plus, le gouvernement ghanéen n'approuve pas cette pratique et est sur le point de la déclarer illégale. Elle a conclu à ce chef que la crainte exprimée par la requérante à l'effet qu'un de ses agresseurs du nord puisse la reconnaître et décide de la poursuivre n'était qu'une possibilité lointaine, non fondée.

La section a conclu également que rien ne démontrait que les autorités du Ghana seraient incapables ou refuseraient de protéger la requérante des fanatiques musulmans, même si ses tentatives d'obtenir la protection des autorités locales se sont avérées infructueuses: le père de son principal agresseur est inspecteur de police à Kintampo.

Finalement, la section a pris en considération le rapport psychologique à l'effet que la requérante à la suite de ses expériences au Ghana souffre d'un choc post-traumatique, est déprimée, renfermée et montre des tendances au suicide, mais elle a conclu que ces constatations ne constituent pas un élément déterminant dans sa décision.

3.         Analyse

En vertu des dispositions de l'alinéa 2(1)a) de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1)] (la Loi), le terme «réfugié au sens de la Convention» se définit comme suit: «[t]oute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques».

Il n'y a aucun doute que la requérante éprouve une crainte subjective d'être persécutée par les fanatiques musulmans qui veulent lui imposer à elle, une catholique, la pratique cruelle et barbare de l'excision. L'excision est une ablation sommaire du clitoris, avec les moyens du bord, sans précaution sanitaire, ceci dans le but d'enlever toute jouissance sexuelle à la femme musulmane. D'ailleurs, la section ne met pas en doute la crédibilité de la requérante quant aux faits précités et à la crainte qu'elle ressent. À mon sens, les événements déjà décrits établissent clairement que cette crainte est bien fondée.

Par ailleurs, la jurisprudence en la matière a établi deux autres critères pour satisfaire à la définition de "réfugié au sens de la Convention". Premièrement, la requérante doit démontrer l'absence de protection de la part de l'État et deuxièmement, l'impossibilité de trouver un refuge interne ailleurs dans son pays. Ce sont les deux critères que j'ai soulevés à l'audition de cette affaire tenue à Montréal, Québec, le 28 juin 1995.

a)         L'absence de protection de l'État

Dans un premier temps, l'affaire Canada (Procureur Général) c. Ward[1], a définitivement établi que l'incapacité de l'État de protéger les citoyens est une partie intégrante de la notion de "réfugié au sens de la Convention" et c'est au requérant qu'il incombe de prouver cette incapacité. Le juge La Forest de la Cour suprême du Canada a souligné dans Ward (à la page 725) qu'"en l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur".

En outre, dans l'arrêt Mendivil c. Canada (Secrétaire d'État)[2], la Cour d'appel fédérale s'appuyant sur l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca[3], a repris le principe qu'aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de ses citoyens en tout temps.

En l'espèce, la preuve documentaire révèle que le Ghana n'est pas un état islamique (12 % de la population est de religion musulmane). L'intimé soumet que le fait que la police n'a pas donné suite à la plainte de la requérante en janvier 1994 n'est pas une preuve de l'incapacité du Ghana à protéger la requérante, mais est plutôt dû au fait que le père de l'accusé a choisi de protéger son fils.

Il faut retenir cependant que même s'il n'y a pas effondrement complet de l'appareil gouvernemental au Ghana, le gouvernement de ce pays, toujours selon la preuve documentaire, omet de démontrer sa volonté de protéger ses citoyennes contre l'affreuse torture de l'excision pratiquée un peu partout à travers le pays. En d'autres mots, il faut considérer non seulement la capacité de protection de l'État, mais aussi sa volonté d'agir.

Il appert que de temps à autre le gouvernement de ce pays manifeste l'intention de rendre cette pratique illégale mais il ne l'a pas encore fait. Alors comment penser que de tels voeux pieux puissent rassurer la requérante? Attendu que cette mutilation atroce est encore tolérée au Ghana, il n'y a sûrement pas lieu de conclure que si la requérante devait retourner dans ce pays, elle pourrait compter sur la protection de l'État.

b)         La possibilité d'un refuge interne

Quant au deuxième critère, la section a conclu que la requérante pouvait se réfugier ailleurs au Ghana. Elle s'est fondée surtout sur le fait que la requérante a vécu ailleurs au Ghana la majeure partie de sa vie. Comme l'a souligné la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[4], la possibilité d'un refuge interne fait partie intégrante de la définition de réfugié. Il est vrai qu'il incombe à la requérante de démontrer qu'elle ne peut trouver refuge ailleurs dans son pays[5]. Effectivement, la preuve documentaire est à l'effet que la pratique de l'excision est moins répandue dans le sud du Ghana.

Il faut tout de même tenir compte du fait que le Ghana est un petit pays et que les fondements culturels reposent encore pour beaucoup sur les tribus. La requérante craint, et à juste titre, que ses persécuteurs apprennent son retour et continuent de la pourchasser. Il n'est pas déraisonnable de croire que l'inspecteur de police de Kintampo ait à sa disposition les ressources nécessaires pour obtenir des renseignements de la part de ses collègues ailleurs au pays. Il faut retenir également qu'un rapport médical déposé lors de l'audition devant la section démontre que la requérante a été examinée par le Docteur Thomas Mensa suite au viol collectif dont elle a été victime. Elle a vu le médecin à trois reprises en prenant de multiples précautions pour que ses agresseurs ne sachent pas qu'elle était dans la région de Suyani. Malgré toutes ces précautions, elle dût manquer son rendez-vous le 18 mai 1994 étant donné qu'elle fut informée à ce moment que ses agresseurs étaient encore à ses trousses et avaient été informés de sa visite dans la région.

De plus, les démarches du pasteur catholique pour retrouver les parents de la requérante se sont avérées infructueuses, de sorte qu'elle devrait s'en retourner seule dans un pays où elle se sent partout menacée.

4.         Conclusion

Il est de jurisprudence constante que pour répondre à la définition de «réfugiée au sens de la Convention», une personne doit établir d'une façon cohérente et avec crédibilité qu'elle éprouve une crainte raisonnable d'être persécutée soit par les autorités de son pays d'origine soit par d'autres groupes alors que les autorités refusent ou encore sont incapables de lui offrir une protection efficace. À mon sens, la requérante a démontré qu'elle éprouvait une crainte bien fondée de persécution, ainsi que l'absence de protection de l'État et d'un refuge interne. Je crois, dans les circonstances, que la section a erré en concluant que la requérante n'est pas une réfugiée au sens de la Loi.

En conséquence, la décision de la section est cassée et l'affaire est retournée devant un panel différemment constitué pour décider selon les motifs précités.



[1] [1993] 2 R.C.S. 689.

[2] (1994), 167 N.R. 91 (C.A.F.).

[3] (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.).

[4] [1992] 1 C.F. 706.

[5] Voir Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.).

Search Refworld

Countries