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Nduwimana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

Publisher Canada: Federal Court
Author Federal Court of Canada, Trial Division
Publication Date 23 July 2002
Citation / Document Symbol [2002] A.C.F. no 1084; 2002 CFPI 812
Type of Decision IMM-1077-01
Cite as Nduwimana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1084; 2002 CFPI 812 , Canada: Federal Court, 23 July 2002, available at: https://www.refworld.org/cases,CAN_FC,4039f3d54.html [accessed 11 October 2022]
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Entre
Thierive Nduwimana, demanderesse, et
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration,
défendeur

[2002] A.C.F. no 1084
2002 CFPI 812
Dossier IMM-1077-01

Cour fédérale du Canada - Section de première instance
Toronto (Ontario)
Le juge en chef adjoint Lutfy

Entendu : le 5 juin 2002.
Rendu : le 23 juillet 2002.
(29 paras)

Avocats :

Micheal Crane, pour la demanderesse.
David Tyndale, pour le défendeur.

        


 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

1      LE JUGE EN CHEF ADJOINT LUTFY :—  La demanderesse, maintenant âgée de 25 ans, est une citoyenne du Burundi membre d'une famille qui a appartient à la minorité ethnique tutsie de ce pays. La Section du statut de réfugié (la SSR) a rejeté sa revendication fondée sur sa crainte d'être persécutée par les rebelles hutus.

2      La SSR n'a pas réussi à tirer de conclusion de fait décisive relativement à l'incident du 10 mai 2000, celui qui a finalement amené la demanderesse a fuir le Burundi. Toutefois, la SSR a estimé que  la demanderesse n'avait pas établi  l'incapacité de l'État à assurer sa protection et elle a donc conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

3      Jusqu'en juin 2000, quand elle a revendiqué le statut de réfugié au Canada, la demanderesse avait toujours vécu à Bujumbura, la capitale du Burundi, et ses parents et quatre de ses frères et soeurs y vivent encore.

4      Son père était un haut-responsable des forces armées avant de prendre sa retraite en 1996.  On le soupçonne d'avoir participé à l'assassinat du premier président hutu élu de façon démocratique au Burundi en 1993.

5      Immédiatement après cet assassinat, la famille de la demanderesse a été persécutée par des militants hutus. Son père a été blessé à l'occasion d'un incident survenu en février 1995. Entre les années 1993 à 1996, la famille de la demanderesse a reçu un certain nombre de téléphones et de lettres de menaces. En juin 1998, alors que la famille était en visite chez des parents, deux grenades ont été lancées sur sa résidence. Selon la preuve, la famille de la demanderesse n'a pas reçu de menaces depuis la fin de l'année 1999.

6      Durant les années 1994 et 1995, alors qu'ils étaient étudiants, la demanderesse, son frère et leurs camarades de classe ont fait l'objet de violentes attaques par les Hutus.

7      Au mois d'août 1999, après avoir terminé ses études, la demanderesse a obtenu une dispense de service militaire, ce qui, apparemment, reconnaissait le danger auquel elle pourrait être exposée en raison de son origine ethnique et des soupçons dont faisait l'objet son père.

8      En janvier 2000, elle a obtenu un emploi de journaliste à la Radio-télévision nationale du Burundi.

9      Le 10 mai 2000, dans la soirée, elle rentrait du travail dans la voiture de service, escortée par des militaires. Quand la voiture s'est arrêtée devant la maison de la demanderesse, juste au moment où celle-ci s'apprêtait à descendre, des coups de feu ont été tirés en direction du groupe. Un des collègues de la demanderesse a été grièvement blessé. Selon la demanderesse, des militaires en poste sur une base située à quelque 500 mètres de sa maison sont arrivés sur la scène et ont fait fuir les attaquants.  La demanderesse croit que cette attaque la visait personnellement.

10      Le 20 mai 2000, un ministère gouvernemental a autorisé la demanderesse à assister à une conférence tenue à New York au début juin. Elle a quitté le Burundi le 3 juin 2000, elle est arrivée à New York le lendemain, et elle s'est ensuite immédiatement rendue au Canada où elle a revendiqué le statut de réfugié.

11      Après avoir examiné la preuve documentaire, la SSR a conclu qu'il n'y avait pas une possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée en tant que membre de la minorité tutsie vivant dans la capitale Bujumbura :

         [...] Les attaques contre la capitale ont généralement frappé indistinctement la population.  Nous n'avons trouvé qu'un exemple dans la documentation qui relate le fait que des Tutsis ont déjà été visés par les rebelles dans la capitale et que d'autres Tutsis l'ont été à l'extérieur de la capitale.  Compte tenu de la population de Bujumbura et du nombre peu élevé de victimes relevé par la documentation, le tribunal considère que la revendicatrice ne fait pas face à une possibilité sérieuse de persécution et que par conséquent elle n'a pas rencontré le fardeau de preuve exigé concernant son allégation d'une possibilité sérieuse de persécution basée sur son appartenance au groupe ethnique des Tutsis.   

(Ni l'une ni l'autre partie n'a remis en question le contenu du dossier du tribunal déposé dans la présente affaire. Certains éléments de la preuve documentaire sur lesquels s'est fondée la SSR ne faisaient pas partie du dossier du tribunal.)

12      Dans l'examen de la revendication de la demanderesse en tant que fille d'un ancien chef des forces armées du Burundi, la SSR a noté que les menaces proférées contre la famille avaient pris fin en 1999.  Selon la SSR, ce manque d'intérêt apparent des rebelles hutus à l'endroit de la famille ne concorde pas avec l'allégation de la demanderesse selon laquelle elle craint avec raison d'être persécutée du fait de l'appartenance au groupe social de la famille.

13      La SSR s'est ensuite penchée sur l'attaque du 10 mai 2000, le seul incident récent soulevé par la demanderesse comme la visant. La SSR a mis en doute la vraisemblance du fait que des rebelles aient pris le risque de livrer une telle attaque dans un endroit si rapproché d'une base militaire, soit près de la résidence de la demanderesse. La SSR a expliqué en ces termes son incapacité à tirer une conclusion sans équivoque au sujet de l'incident :

         [...] Le tribunal considère qu'il est impossible de tirer une conclusion concernant la revendicatrice en rapport avec cet événement.                                                                                                                

         De toute façon, quelles qu'en soient les raisons, et qu'il existe ou non une possibilité sérieuse de persécution, le tribunal croit que la revendicatrice a eu dans le passé et pourrait continuer à avoir dans l'avenir la protection de son pays.          

Autrement dit, sans tirer une conclusion de fait relativement à l'incident du 10 mai 2000, la SSR s'est attachée à la question de la protection de l'État. Bien qu'elle ne se soit pas exprimée en ces termes, je crois comprendre que la SSR a tranché la revendication de la demanderesse en se fondant sur la capacité de l'État à assurer une protection, indépendamment du bien-fondé de la crainte subjective de persécution de la demanderesse.

14      Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse conteste la décision défavorable rendue sur sa revendication en invoquant deux moyens principaux : a) l'omission de la SSR de tirer une conclusion de fait claire relativement à l'incident du 10 mai 2000 et d'accorder à la demanderesse le bénéfice du doute quant à savoir si cet incident a réellement eu lieu; et b) la SSR a commis une erreur de fait et de droit dans son analyse de la question de la protection de l'État.

15      Il est bien établi que la demanderesse avait le fardeau d'établir qu'elle craignait avec raison, subjectivement et objectivement, d'être persécutée.

16      Pour ce qui est de l'incident du 10 mai 2000, la SSR s'est demandé pourquoi les rebelles auraient lancé cette attaque dans un endroit aussi rapproché d'une base militaire et si l'attaque visait l'employeur de la demanderesse plutôt que la demanderesse elle-même. La SSR n'a pas tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité, mais l'explication qu'a donnée la demanderesse à l'égard de cette attaque et de ses motifs ne l'a pas convaincue.

17      À mon avis, il était loisible à la SSR de soulever la question de la vraisemblance pour conclure que la preuve ne lui permettait pas de tirer une conclusion définitive relativement à l'incident du 10 mai 2000, et de trancher la revendication sur la base de son analyse de la question de la protection de l'État.

18      De même, c'est à tort que la demanderesse invoque l'arrêt Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, à l'appui de son argument selon lequel la SSR, dans les circonstances, était tenue de lui accorder le bénéfice du doute. J'accepte les observations du défendeur portant que les extraits de l'arrêt Chan invoqués par la demanderesse, en particulier les paragraphes 137 et 142, ne font rien de plus que répéter le principe que la SSR peut appliquer des règles informelles de présentation de la preuve : paragraphe 68(3) de la Loi sur l'immigration.

19      Le juge Major, au nom de la majorité dans l'arrêt Chan, a noté que la SSR n'avait tiré aucune conclusion expresse quant à la crainte subjective de persécution du demandeur. À son avis, toutefois, même si le demandeur se voit accorder le bénéfice du doute sur la question de la crainte subjective, il faut néanmoins se pencher sur l'élément objectif du critère :

133.            [...] [I]l appartient au demandeur, à l'audition de sa revendication du statut de réfugié, de présenter des éléments de preuve permettant à la Commission de conclure que non seulement la crainte existe dans l'esprit du demandeur, mais également qu'elle est fondée sur le plan objectif.                                                         

La SSR a décidé en l'espèce de trancher la revendication de la demanderesse en se fondant sur son analyse de la question de la protection de l'État, indépendamment de la question de savoir si la crainte subjective avait été établie. Une analyse similaire a été appliquée dans l'arrêt Chan.

20      Comme deuxième moyen, la demanderesse conteste les conclusions de fait et l'analyse juridique de la SSR sur la question de la protection de l'État.

21      La SSR a noté que l'appareil de sécurité du Burundi était contrôlé par les Tutsis. La famille de la demanderesse a reçu une protection militaire continue entre 1993 et 1996. Le seul autre incident visant la famille est survenu en juin 1998. La demanderesse et son frère ont obtenu une dispense de service militaire. Lorsqu'elle travaillait comme journaliste, la demanderesse se rendait au travail et revenait chez elle escortée par des militaires. Elle vivait à quelque 500 mètres d'une base militaire. À mon avis, la SSR n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a considéré ces faits pertinents et lorsqu'elle a conclu que la demanderesse bénéficiait d'une protection très importante compte tenu de la situation difficile au Burundi.

22      La demanderesse conteste également l'analyse juridique de la SSR sur la question de la protection de l'État. La SSR s'est exprimée comme suit :

         [...]  Cependant, le gouvernement est clairement en contrôle du pays dans son ensemble et définitivement en contrôle de la capitale, Bujumbura, là où la revendicatrice habite.  De plus, le gouvernement en place continue de lutter contre les rebelles armés et il existe une armée et une force policière efficace.  Dans le cas qui nous occupe, nous avons affaire à un pays dont les structures et les forces de sécurité sont contrôlées par la minorité ethnique du pays, soit celle de la revendicatrice.  Le Tribunal considère que l'arrêt Villafranca s'applique dans les circonstances.  

Précédemment dans ses motifs, la SSR s'est référée à l'extrait suivant de l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm.L.R. (2d) 130 (C.A.F.), à la page 133 :

         [...] lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection.                                                                                                                

23      L'avocat de la demanderesse soutient qu'en se fondant sur l'arrêt Villafranca, la SSR a omis de tenir compte des déclarations suivantes faites dans Mendivil c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 2021 (QL) (C.A.) :

11.              [...] Il appert qu'ils (les commissaires) n'ont pas envisagé la possibilité que des personnes spécialement visées et qui de ce fait peuvent être considérées comme membres d'un groupe social particulier, puissent toujours craindre avec raison d'être persécutées, dans les cas ou l'État peut protéger les citoyens ordinaires mais est dans l'incapacité de protéger les membres de ce groupe social. [...]                                                                             

 

         [...]                                                                                                                  

 

14.              [...] Cependant, la preuve d'une situation de troubles graves et d'un manque de protection effective pour le demandeur pourrait servir à la réfuter [la présomption].                                              

24      L'observation de l'avocat doit être rejetée dans les circonstances de l'espèce. La SSR s'est précisément penchée sur la question de la protection que l'État pouvait offrir à la demanderesse avant qu'elle quitte le Burundi, et a conclu que la présomption de la protection efficace de l'État énoncée dans l'arrêt Villafranca n'était pas réfutée sur le vu de la preuve relative à la situation de la demanderesse en tant que Tutsie dont le père est un membre important des forces armées et qui vit dans la capitale du Burundi où elle bénéficie d'une protection militaire.

25      Dans les derniers paragraphes de sa décision, la SSR a fait la déclaration suivante en ce qui a trait à l'efficacité de la protection de l'État :

         Si la protection de l'État ne peut être efficace à 100 pour-cent, elle doit à tout le moins être suffisamment efficace pour ramener le risque pour le revendicateur à une simple possibilité de persécution, c'est-à-dire une norme en deça de la possibilité sérieuse de persécution, ce qui est la situation dans le cas présent.              

La demanderesse qualifie ce passage de [TRADUCTION] "critère nouveau", de critère erroné justifiant l'intervention de la Cour.

26      À mon avis, cet extrait est tout simplement une autre façon de dire que l'évaluation de la capacité de l'État d'assurer une protection au revendicateur relève de l'élément objectif du critère applicable pour déterminer si le revendicateur craint avec raison d'être persécuté, comme l'affirme la Cour suprême dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 712 :

         Par conséquent, quelle que soit la catégorie dont le demandeur fait partie, il s'agit d'établir s'il craint "avec raison" d'être persécuté. C'est à ce stade que l'incapacité de l'État d'assurer la protection devrait être prise en considération. Le critère est en partie objectif; si un État est capable de protéger le demandeur, alors, objectivement, ce dernier ne craint pas avec raison d'être persécuté.                                                                                                        

Si le revendicateur ne réussit pas à réfuter la présomption de l'incapacité de l'État d'assurer la protection au moyen d'une preuve "claire et convaincante" (arrêt Ward, aux pages 724 et 726), il est loisible à la SSR de conclure qu'il n'y pas de risque sérieux de persécution.

27      D'autres auteurs ont utilisé des termes semblables à ceux utilisés par la SSR en l'espèce. Dans The Law of Refugee Status (Butterworths, 1991), le professeur James C. Hathaway écrit (à la page 133) : [TRADUCTION] "Personne ne peut prétendre craindre d'être persécuté s'il peut bénéficier d'une protection efficace quelque part dans son État d'origine". De même, dans Immigration Law and Practice (Markham : Butterworths, 1992), L. Waldman note au paragraphe 8.211 : [TRADUCTION] "S'il y a des éléments de preuve selon lesquels il existe une possibilité sérieuse que le revendicateur ne pourra obtenir la protection de l'État, il sera justifié de lui accorder le statut de réfugié".

28      À mon avis, la SSR n'a pas introduit de nouveau critère.  Ayant conclu que la demanderesse n'avait pas réfuté la présomption de la protection de l'État conformément aux principes établis dans l'arrêt Villafranca, la SSR a tout simplement noté que la protection de l'État, même si elle n'est pas "efficace à 100 pour-cent", doit être telle que le revendicateur ne sera pas exposé à un risque sérieux de persécution s'il est renvoyé dans son pays d'origine. Encore une fois, dans cette remarque incidente, la SSR n'a pas montré qu'elle comprenait mal les principes juridiques applicables à son analyse de la question de la protection de l'État et que la Cour était donc justifiée d'intervenir.

29      En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les avocats peuvent, dans les sept jours suivant la date des présents motifs, déposer des observations écrites sur le projet de certification d'une question grave.

Traduction certifiée conforme : Julie Boulanger, LL.M.

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