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La Transition à la Croisée des Chemins. Les Violations des Droits de l'Homme Commises sous le Gouvernement du Général Pinochet Demeurent un Problème Central

Publisher Amnesty International
Publication Date 1 March 1996
Citation / Document Symbol AMR/21/01/96
Cite as Amnesty International, La Transition à la Croisée des Chemins. Les Violations des Droits de l'Homme Commises sous le Gouvernement du Général Pinochet Demeurent un Problème Central, 1 March 1996, AMR/21/01/96, available at: https://www.refworld.org/docid/3ae6a9960.html [accessed 8 June 2023]
Comments La version originale en langue anglaise de ce document a été éditée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre : CHILE : Transition at the Crossroads. Human Rights Violations under Pinochet Rule Remain the Crux. Index AI : AMR 21/01/96. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat International par les ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - Service RAN - Mars 1996.
DisclaimerThis is not a UNHCR publication. UNHCR is not responsible for, nor does it necessarily endorse, its content. Any views expressed are solely those of the author or publisher and do not necessarily reflect those of UNHCR, the United Nations or its Member States.

Résumé

Le processus de transition du Chili vers la démocratie se trouve à la croisée des chemins. Bien que, depuis mars 1990, les divers gouvernements chiliens soient issus d'élections démocratiques, l'équipe actuellement au pouvoir a, ces derniers mois, fait publiquement état des obstacles qui restent à franchir pour mener à bien cette transition et reconnu ouvertement que celle-ci était toujours incomplète. Au centre des problèmes évoqués, et faisant l'objet de débats intenses au sein de la société chilienne, se trouve la question des violations des droits de l'homme perpétrées sous le gouvernement du général Augusto Pinochet (1973-1990), du devenir des enquêtes conduites à leur sujet et des poursuites engagées contre ceux qui en ont été responsables.

Amnesty International observe avec inquiétude certaines initiatives qui tendent à accélérer la clôture définitive de toutes les enquêtes judiciaires portant sur des atteintes aux droits de l'homme commises pendant la période de la dictature militaire. L'Organisation se préoccupe d'une part des propositions de lois qui, adoptées, auraient pour effet d'empêcher les poursuites et les enquêtes, d'autre part de la hâte manifestement excessive avec laquelle les tribunaux chiliens procèdent à la clôture des dossiers avant que toute la vérité ait été établie. Il est évident que ces initiatives résultent des pressions exercées par l'armée en vue d'assurer une impunité totale aux auteurs de violations des droits de l'homme.

L'attention générale a été attirée par l'arrêt de la Cour suprême de mai 1995 confirmant les condamnations à sept et six ans de prison respectivement prononcées contre le général Manuel Contreras et le général de brigade Pedro Espinoza pour l'assassinat de l'ancien ministre des Affaires étrangères Orlando Letelier et de la citoyenne américaine Ronnie Moffit à Washington en 1976. Cette décision a provoqué et continue de provoquer de vigoureuses protestations de la part des forces armées. Depuis juillet 1995, la Cour suprême a clos de manière définitive 14 procédures judiciaires dans des affaires de violation des droits de l'homme concernant 104 victimes, le rythme de ces décisions de clôture s'accélérant avec la présentation au Congrès des propositions de lois relatives à ces questions.

Trois propositions, essentiellement, ont été soumises à l'examen du Sénat chilien depuis le mois de juillet. La dernière en date, le projet de loi Figueroa-Otero, qui a été présenté en novembre, était issue de négociations entre le gouvernement et le parti d'opposition de droite Renovación Nacional (Rénovation nationale). Le projet a été examiné par la Commission sénatoriale chargée de la constitution, de la législation et de la justice et se trouve actuellement en cours d'examen devant la Commission sénatoriale des droits de l'homme. Il sera ultérieurement discuté en assemblée plénière par le Sénat et par la Chambre des députés. L'objet de ce projet de loi est d'empêcher les poursuites, de limiter les enquêtes judiciaires à la détermination du lieu où se trouvent les restes des "disparus", d'instituer un secret total sur ces enquêtes et de rendre possible la clôture de tous les dossiers avant que les restes aient été retrouvés et que l'on ait établi toute la vérité. Les organisations chiliennes de défense des droits de l'homme l'ont condamné sans réserves.

La coalition au pouvoir a présenté en août 1995 son propre projet législatif, qui comporte des dispositions en matière de droits de l'homme et une réforme constitutionnelle visant à étendre le pouvoir civil sur les nominations militaires et sur la Cour constitutionnelle, le Conseil national de sécurité et le Sénat. Ce projet est présenté comme indispensable à la poursuite de la transition vers la démocratie, et le gouvernement affirme que les concessions en matière de poursuites contre les individus responsables de violations des droits de l'homme ne seront pas consenties en l'absence de dispositions institutionnelles plus larges visant à supprimer les « enclaves autoritaires qui subsistent dans notre société ». Avant d'abandonner ses fonctions, en mars 1990, l'armée a imposé des limites au pouvoir des autorités civiles en s'assurant une représentation dans les institutions clés, en maintenant le général Pinochet au poste de chef des forces armées jusqu'en mars 1998 et en lui permettant de désigner neuf sénateurs pour siéger jusqu'à la même échéance. Ces propositions législatives n'ont pas cessé de faire l'objet de débats et de négotiations passionnés. Des amendements au projet Figueroa-Otero et aux propositions de réformes constitutionnelles seront probablement présentés lors des discussions devant le Sénat et devant la Chambre des députés.

Beaucoup de discussions ont tourné autour de la question de l'interprétation et de l'application de la loi d'amnistie de 1978 (dont l'affaire Letelier-Moffit était expressément exclue). Le présent rapport examine l'application qui a été faite de cette loi dans des centaines d'affaires portant sur des violations graves des droits de l'homme perpétrées durant la période où la répression a été la plus dure, de 1973 à 1978, et étudie un certain nombre de cas importants qui ont eu des répercissions particulières sur les tribunaux et sur la société chilienne.

Amnesty International considère que la loi d'amnistie en elle-même et la manière dont elle a été appliquée sont contraires aux normes internationales relatives aux droits de l'homme. Pour l'Organisation, la lumière n'a pas été entièrement faite sur les cas individuels de violations commises pendant la dictature militaire. Elle s'oppose donc vigoureusement à toute nouvelle limitation des enquêtes sur ces violations et à toute entrave aux poursuites exercées contre les coupables.

Ceci est le résumé d'un document de 29 pages (46 pages avec les annexes) intitulé Chili. La transition à la croisée des chemins. Les violations des droits de l'homme commises sous le gouvernement du général Pinochet demeurent un problème central (index AI : AMR 22/01/96 - ÉFAI 96 RN 036). Si vous désirez obtenir de plus amples informations ou souhaitez engager une action à ce sujet, veuillez consulter le document intégral.

Introduction

Le processus de transition du Chili vers la démocratie se trouve à la croisée des chemins. Bien que, depuis mars 1990, les divers gouvernements chiliens soient issus d'élections démocratiques, l'équipe actuellement au pouvoir a, ces derniers mois, fait publiquement état des obstacles qui restent à franchir pour mener à bien cette transition et reconnu ouvertement que celle-ci était toujours incomplète. Au centre des problèmes évoqués, et faisant l'objet de débats intenses au sein de la société chilienne, se trouve la question des violations des droits de l'homme perpétrées sous le gouvernement du général Augusto Pinochet (1973-1990), du devenir des enquêtes conduites à leur sujet et des poursuites engagées contre ceux qui en ont été responsables.

L'attention générale a été attirée par l'arrêt de la Cour suprême de mai 1995 confirmant les condamnations à sept et six ans de prison respectivement prononcées contre le général Manuel Contreras et le général de brigade Pedro Espinoza pour l'assassinat de l'ancien ministre des Affaires étrangères Orlando Letelier et de la citoyenne américaine Ronnie Moffit à Washington en 1976. Cette décision a provoqué et continue de provoquer de vigoureuses protestations de la part des forces armées. Amnesty International juge préoccupante les initiatives tendant à accélérer la clôture définitive de toutes les enquêtes judiciaires portant sur des atteintes aux droits de l'homme commises pendant la période de la dictature militaire.

Depuis juillet 1995, trois propositions, essentiellement, ont été soumises à l'examen du Sénat à propos de cette question :

•           La première, qui a été présentée en juillet par le parti de droite Renovación Nacional (RN, Rénovation nationale) et par la Unión Demócrata Independiente (UDI, Union démocratique indépendante), tous deux dans l'opposition, tend à la clôture définitive de toutes les enquêtes judiciaires relatives aux violations des droits de l'homme qui se trouvent couvertes par la loi d'amnistie de 1978 dans un délai de quatre-vingt-dix jours après l'adoption de la mesure préconisée, de même que des dossiers qui n'ont pas avancé depuis un an.

•           La seconde, présentée en août par le gouvernement, prévoit des réformes plus étendues, notamment la poursuite des enquêtes sur les "disparitions" sans que soient exercées de poursuites à l'encontre des coupables, des modifications de la Loi organique des forces armées et de la Constitution visant à étendre la représentation des civils au sein de la Cour constitutionnelle, du Conseil national de sécurité et du Sénat et à augmenter l'influence de l'autorité civile en matière de nominations militaires. Le gouvernement a présenté son projet comme un élément essentiel de la transition vers la démocratie.

•           Une troisième proposition, résultant de négociations entre le gouvernement et le parti de Rénovation nationale et présentée en novembre, ne concerne que les affaires judiciaires portant sur les atteintes aux droits de l'homme commises au cours de la période 1973-1978. Il s'agit du projet de loi Figueroa-Otero, dont l'objet est d'empêcher les poursuites, de limiter les investigations judiciaires à la détermination du lieu où se trouvent inhumés les restes des "disparus", d'assurer un total secret à ces enquêtes et de permettre la clôture de certains dossiers avant que les restes des victimes aient été retrouvés ou que toute la vérité ait été établie.

Le 5 décembre 1995, la Commission sénatoriale chargée de la constitution, de la législation et de la justice a décidé de transmettre le projet de loi Figueroa-Otero à l'assemblée plénière du Sénat pour discussion. Elle a fait de même le 7 décembre pour les propositions gouvernementales de réforme constitutionnelle. L'examen de ces propositions par le Congrès devait se poursuivre en janvier 1996.

La période de transition a commencé le 5 octobre 1988, date à laquelle les électeurs ont répondu par un "non" retentissant au plébiscite organisé en vue de confirmer le général Augusto Pinochet dans ses fonctions de président jusqu'en mars 1997. Les élections présidentielles, qui ont eu lieu en décembre 1989, ont été remportées par le candidat démocrate chrétien Patricio Aylwin, chef de la Concertación para la Democracia (Concertation pour la démocratie). Avant de céder la place, l'armée a imposé un certain nombre de limites au pouvoir civil en s'assurant une représentation au sein des institutions-clés, en imposant le maintien du général Pinochet au poste de commandant en chef de l'armée jusqu'en mars 1998 et en lui donnant le pouvoir de nommer neuf sénateurs devant siéger jusqu'à la même échéance. Sous l'administration Aylwin, un certain nombre de mesures ont été prises pour traiter les problèmes de droits de l'homme légués par la dictature militaire. Une de ces mesures a été la création d'une Comisión Nacional de Verdad y Reconciliación (Commission pour la vérité et la réconciliation). À la suite des nouvelles élections de 1993, le président Eduardo Frei Ruiz-Tagle a, en mars 1994, mis en place un second gouvernement de Concertation pour la démocratie.

L'actuel gouvernement ainsi que les partis qui composent sa coalition affirment que le projet gouvernemental d'août 1995 doit être pris dans sa globalité et que les concessions en matière de poursuites contre les individus responsables de violations des droits de l'homme ne seront pas consenties en l'absence de dispositions institutionnelles plus larges visant à supprimer « les enclaves autoritaires qui subsistent dans notre société ». Toutefois, la majorité simple suffit pour l'adoption par le Congrès de décisions en ce qui concerne la législation sur les droits de l'homme alors qu'une majorité des deux tiers, plus difficile à obtenir, est requise pour les modifications constitutionnelles concernant le statut des forces armées, de la Cour constitutionnelle et du Conseil national de sécurité. Dans l'intervalle, le projet de loi Figueroa-Otero reflète de nouvelles concessions accordées par le gouvernement aux partis de droite. Le contenu des propositions du gouvernement et de l'opposition n'ont pas cessé de faire l'objet de débats et de négociations passionnés. De nouveaux amendements au projet de loi Figueroa-Otero et aux propositions de réformes constitutionnelles seront probablement présentés lors des discussions devant le Sénat et devant la Chambre des députés.

Beaucoup des discussions concernant les enquêtes sur les violations des droits de l'homme ont porté sur l'interprétation et l'application de la loi d'amnistie de 1978 (dont l'affaire Letelier/Moffit était expressément exclue). Cette loi, imposée par un décret sous le gouvernement militaire, faisait obstacle aux poursuites contre les individus impliqués dans certains actes criminels perpétrés entre le 11 septembre 1973 et le 10 mars 1978, c'est-à-dire pendant la première période de la dictature d'Augusto Pinochet, quand l'état de siège était en vigueur et que la répression était la plus féroce. Le présent rapport examine l'application qui a été faite de cette loi dans des centaines d'affaires en rapport avec des violations graves des droits de l'homme commises pendant la période la plus répressive, de 1973 à 1978, et étudie un certain nombre de cas qui ont eu des répercussions particulières sur les tribunaux et sur la société chilienne.

Amnesty International considère que la loi d'amnistie en elle-même et la manière dont elle a été appliquée sont contraires aux normes internationales relatives aux droits de l'homme. Pour l'Organisation, la lumière n'a pas été entièrement faite sur les cas individuels de violations commises pendant la dictature militaire, et elle s'oppose par conséquent vigoureusement à toute nouvelle limitation des enquêtes sur les faits et à toute entrave aux poursuites exercées contre les coupables.

Les propositions de loi présentées par l'opposition

En juillet 1995, les sénateurs des partis d'opposition de droite ont saisi la Commission sénatoriale chargée de la constitution, de la législation et de la justice d'une proposition relative à l'interprétation de la loi d'amnistie de 1978 qui, si elle était adoptée, mettrait fin à toutes les enquêtes judiciaires sur les violations des droits de l'homme commises sous le gouvernement de Pinochet.

En effet, le texte présenté par l'Unión Demócrata Independiente (UDI, Union démocratique indépendante) et la Renovación Nacional (RN, Rénovation nationale), toutes deux dans l'opposition, qui donne une interprétation uniforme de cette loi, ouvrirait la voie à un classement de tous les dossiers relatifs aux atteintes aux droits de l'homme commises dans la période 1973-1978. Il prévoit les mesures suivantes :

•           la clôture définitive de tous les dossiers temporairement en suspens si aucun fait nouveau n'est apparu au cours de l'année écoulée,

•           la clôture, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, de tous les dossiers relatifs à des crimes couverts par la loi d'amnistie de 1978,

•           la limitation de toute enquête judiciaire supplémentaire sur les "disparitions" à la seule recherche de l'endroit où se trouvent les restes des victimes, avec une garantie d'anonymat pour les informateurs.

Selon les groupes de défense des droits de l'homme, ce projet concernerait près d'un millier d'affaires actuellement pendantes devant la justice : environ 800 dossiers sont provisoirement en suspens[1], et pourraient donc faire l'objet d'un classement définitif, et 180 autres, qui sont toujours en cours et concernent 550 victimes, pourraient être clos immédiatement en application de la loi de 1978. Ce projet de l'opposition, que ceux qui le critiquent qualifient de « Loi du point final à peine déguisée » (par référence à la loi argentine de décembre 1986 dite Ley de punto final, qui fixait un délai de soixante jours aux tribunaux pour engager des poursuites dans les affaires de violation des droits de l'homme[2] [3], a été condamné sans réserve par les groupes de défense des droits de l'homme, les associations de parents de victimes et des personnalités politiques de divers partis.

Les propositions de loi du gouvernement

Le 22 août, le président Frei a fait parvenir au Sénat un projet législatif qui avait pour objet, selon ses propres termes, d'apporter des réponses aux questions non résolues qui se posent dans le cadre de la transition vers la démocratie. Ce projet, désigné sous le nom de Proyecto Frey (projet Frei), comportait trois éléments distincts :

1)         Un projet de loi visant à la création de mécanismes destinés à permettre la poursuite des enquêtes sur les "disparitions" survenues pendant la dictature militaire, mais à empêcher toutes poursuites supplémentaires. Toutes les affaires pendantes devant les tribunaux militaires seraient transmises dans un délai de quinze jours aux juridictions civiles. Des magistrats de la Cour d'appel (Ministros de la Corte de Apelaciones) seraient désignés pour travailler exclusivement sur les affaires de "disparitions" en cours, ceci pour une période de deux ans. Ces magistrats, qui pourraient être jusqu'à quinze, auraient pour tâche de faire la lumière sur le sort des "disparus" et de retrouver leurs restes. À cette fin, ils seraient habilités à entreprendre des investigations dans les locaux militaires, mais ils ne seraient pas autorisés à rechercher les responsables des crimes ni à engager de poursuites. Il leur serait demandé d'annuler les ordres de détention délivrés à l'encontre des personnes attendant d'être jugées. Les suspects ne seraient pas requis d'assister aux audiences, et les dépositions pourraient être faites ailleurs que devant les tribunaux. Des procédures particulières seraient établies en vue d'assurer la confidentialité aux personnes procurant des informations sur le lieu d'inhumation des restes des "disparus". L'identité des informateurs et, d'ailleurs, tout élément susceptible de permettre leur identification seraient consignés dans un registre spécial. Lors de la clôture définitive de chaque dossier, ce registre serait détruit. Des sanctions pénales seraient prévues contre tous ceux, y compris les journalistes, qui viendraient à révéler ces informations. Les dossiers pourraient être définitivement clos lorsque le lieu d'inhumation des restes, ou les circonstances exactes du décès, auraient été établis. Les affaires dans lesquelles le sort de la victime n'aurait pas été éclairci dans le délai prescrit de deux ans demeureraient en instance ou seraient classées à titre provisoire. Elles resteraient de la compétence des magistrats de la Cour d'appel, mais ceux-ci reprendraient leurs fonctions ordinaires et cesseraient de travailler exclusivement sur ces dossiers.

2)         Un projet de loi modifiant la Ley Orgánica de las Fuerzas Armadas (Loi organique des forces armées) pour permettre au président de nommer les chefs des forces armées et de mettre à la retraite des officiers.

3)         Des amendements constitutionnels visant à modifier la composition du Consejo de Seguridad Nacional (Conseil national de sécurité) de manière à y créer une majorité civile en y faisant entrer le président de la Chambre fédérale des députés ; à donner au seul président de la République, et non pas à ses membres, le pouvoir de convoquer le Conseil ; à permettre au président de participer à la nomination des membres de la Cour constitutionnelle (laquelle statue sur la constitutionnalité des lois) ; et à mettre fin aux mandats des sénateurs désignés par Pinochet en 1996 au lieu de 1998 [4]

Le projet Figueroa-Otero

Le 1er novembre 1995, le gouvernement, après négociation avec les partis d'opposition, a présenté un projet de loi révisé portant sur la procédure judiciaire en matière d'affaires relatives aux droits de l'homme. La nouvelle proposition porte le nom de Projet de loi Figueroa-Otero, du nom du ministre de l'Intérieur Carlos Figueroa et du sénateur du parti de Rénovation nationale Miguel Otero. Elle concerne uniquement les affaires datant de la période 1973-1978 susceptibles d'être couvertes par la loi d'amnistie de 1978. Les dispositions de ce projet de loi prévoient la désignation par la Cour suprême d'un ou de plusieurs juges de juridictions pénales ordinaires (et non de 15 magistrats de cours d'appel), qui auraient mission de travailler exclusivement sur les affaires de "disparition" (mais non sur les cas d'exécutions extrajudiciaires) pendant une période d'une année, renouvelable. Il serait mis fin à toutes les poursuites en relation avec ces affaires. Le rôle des juges serait limité à des recherches tendant à la détermination du lieu où se trouvent les "disparus". Des dispositions particulières garantiraient le secret des témoignages, qui seraient reçus ailleurs que dans les tribunaux, et prévoieraient que les informations conduisant à la localisation des "disparus" seraient consignées dans des registres secrets destinés à être ultérieurement détruits. Les juges seraient informés qu'il leur est interdit de coucher par écrit - même sur le registre secret - une quelconque indication concernant les sources d'information ou les individus ayant pu être impliqués dans des "disparitions". Le projet de loi souligne qu'une fois définitivement clos, un dossier ne pourra en aucun cas être rouvert, même en cas d'apparition d'une nouvelle information.

Parmi les différences capitales qui existent entre le projet Figueroa-Otero et celui de Frei, on peut citer les suivantes :

•           Le nouveau projet ne comporte aucune disposition concernant le transfert de compétence des juridictions militaires aux juridictions civiles ;

•           Il ne définit pas les conditions devant exister pour qu'un dossier soit définitivement clos (le projet Frei prévoit, comme condition préalable, que les restes du "disparu" aient été retrouvés ou que son sort ait été dûment établi). Dans le projet Figueroa-Otero, le classement d'une affaire peut intervenir sans que la lumière ait été faite sur le sort de la victime ;

•           Les dossiers provisoirement classés ne peuvent être rouverts qu'à la demande expresse de la famille de la victime et lorsqu'une information nouvelle justifie cette réouverture.

Le Parti socialiste, qui participe à la coalition gouvernementale, s'est déclaré opposé au projet Figueroa-Otero et a présenté 16 amendements visant au transfert des dossiers des tribunaux militaires aux tribunaux civils et à empêcher le classement des dossiers aussi longtemps que la lumière n'a pas été faite sur le sort des victimes.

Le 5 décembre 1995, la Commission sénatoriale chargée de la constitution, de la législation et de la justice a approuvé le projet Figueroa-Otero par trois voix contre deux. Aucun des 16 amendements du Parti socialiste n'a été accepté. Le 7 décembre 1995, la même commission a décidé par trois voix contre deux que les propositions de réformes constitutionnelles du gouvernement seraient transmises au Sénat pour étude. Le projet de loi Figueroa-Otero a ensuite été renvoyé devant la Commission sénatoriale des droits de l'homme pour un autre examen et sera ensuite présenté au Sénat en assemblée plénière.

Pour devenir une loi, l'une et l'autre des propositions devra être discutée et approuvée en assemblée plénière par le Sénat et par la Chambre des députés. Les amendements importants qui pourront être présentés par les députés devront être examinés par une commission mixte composée de membres des deux assemblées. Toutefois, le projet Figueroa-Otero, qui est un texte de loi ordinaire, n'a besoin, pour être adopté, que de remporter la majorité simple au Congrès, alors que l'adoption du projet de modification constitutionnelle relative au statut des forces armées, de la Cour constitutionnelle et du Conseil national de sécurité exige une majorité des deux tiers, plus difficile à obtenir.

La coalition gouvernementale a, jusqu'à présent, soutenu que, si la réforme constitutionnelle n'est pas adoptée, elle retirera le projet Figueroa-Otero. De nombreux membres du parti de droite Renovación Nacional et de la Unión Demócrata Independiente, tous deux dans l'opposition, demeurent fortement opposés à la réforme constitutionnelle. Le Parti socialiste a, quant à lui, déclaré son intention de présenter une nouvelle fois ses amendements au projet Figueroa-Otero devant les deux assemblées.

Déclarations des autorités gouvernementales

Au cours des mois de juin et de juillet, la presse chilienne a rapporté un certain nombre de déclarations faites par le président de la Cour suprême, Marcos Aburto, dans lesquelles celui-ci attirait l'attention sur des décisions discordantes intervenues dans l'application de la loi d'amnistie de 1978 et suggérait qu'il était nécessaire que le Congrès légifère sur ce qu'il considérait, pour sa part, comme une question de caractère politique.

Le président Frei et des ministres de son gouvernement ont fait part à plusieurs reprises de leurs objections à la proposition de loi faite en juillet par l'opposition, qui visait à fournir une interprétation à la loi d'amnistie de 1978. Leur argumentation consistait à dire qu'une telle interprétation était l'affaire des tribunaux. Le 20 juillet 1995, José Joaquín Brunner, secrétaire général du gouvernement, a déclaré dans des interviews accordées à la presse : « Il n'est pas dans les intentions du gouvernement de promouvoir une loi qui interprèterait la loi d'amnistie de 1978 car il s'agit d'une tâche qui relève de la compétence exclusive des tribunaux » (« No es intención del gobierno propiciar una ley interpretativa de la amnistía por cuanto es una materia que corresponde exclusivamente hacer à los Tribunales de Justicia »). Le secrétaire général a ajouté : « Les droits de l'homme ne feront jamais l'objet de négociations » (« Jamás se va negociar con los derechos humanos »). Néanmoins, en présentant en novembre le projet de loi Figueroa-Otero, le gouvernement a donné son accord de fait à une interprétation de la loi d'amnistie et à une nouvelle restriction des pouvoirs des tribunaux. S'il était adopté, ce texte aggraverait par conséquent considérablement, en ce qui concerne les enquêtes et les poursuites en matière de violations des droits de l'homme, les effets négatifs de la mesure prise par les militaires en 1978 en promulguant leur loi d'amnistie.

Dans la présentation qu'il a faite de son projet au Sénat le 22 août, le président Frei écrivait :

« Je dois dire que cette occasion historique qui se présente aujourd'hui à nous tous, Chiliens, pourrait se trouver gravement mise en cause si, en tant que communauté nationale, nous n'apportons pas de solution aux deux problèmes graves qui se posent dans le cadre de la transition en cours : d'une part la question des violations des droits de l'homme commises dans le passé, d'autre part celle des évidentes déficiences de nos institutions démocratiques.

« Traiter à fond les questions posées par la transition...implique abattre le mur qui sépare encore les Chiliens. Un mur constitué, d'une part, par la question des droits de l'homme, mais aussi par les barrières institutionnelles défensives que les rédacteurs de la Constitution de 1980 ont dressées pour se protéger contre les majorités dans lesquelles ils voyaient une menace.

« Cette situation a engendré un problème qui empêche la cicatrisation des blessures laissées par le passé. D'un côté, un certain nombre de militaires se trouvent impliqués dans des procédures qui ne progressent pas, de l'autre, on voit des Chiliens, hommes et femmes, qui ne parviennent pas à savoir ce qu'il est advenu de personnes qui leur sont chères ou à leur assurer une sépulture digne. Décréter l'oubli du passé au moyen d'une "loi du point final" ne me paraît ni juste ni moralement acceptable.

Le gouvernement pense qu'au bout de vingt années, la recherche de la vérité est, dans l'âme de la nation, éthiquement supérieure à la volonté de châtier les coupables. Nous ne cherchons pas la vengeance ; ce que nous cherchons est une nouvelle occasion d'établir cette vérité à laquelle nous ne sommes pas encore parvenus. »

Le 20 août, Alejandro González, président de la Corporación de Reparación y Reconciliación (Comité de réparation et de réconciliation), organe gouvernemental qui a pris la suite de la Commission nationale pour la vérité et la réconciliation[5], a déclaré :

« Il est inacceptable que l'on prétende mettre un terme aux enquêtes et relever l'État de son obligation de rétablir la vérité. Le temps peut être un moyen d'atténuer la douleur, mais il ne saurait en aucun cas justifier que l'État abandonne les enquêtes. Cela reviendrait à admettre que plus d'un millier de crimes parfaits ont été commis, sans auteurs, dans un pays qui, comme le Chili, possède une tradition et des moyens en matière d'enquête.

« Dans notre histoire, rares ont été les crimes sans auteurs, si ce n'est pendant la dictature. Il serait extrêmement grave que l'État renonce. Il n'y a pas eu de guerre ici, mais seulement une politique de terrorisme d'État. C'est pourquoi il est essentiel, à mes yeux, de continuer de manifester la volonté d'enquêter. L'impunité est un signe très pernicieux d'un point de vue pédagogique. Et elle n'est pas saine. C'est une très dangereuse leçon pour les générations futures que de devoir garder dans leur mémoire qu'il ne s'est rien passé à la suite de ces crimes.

« On utilise l'expression "les problèmes de droits de l'homme en instance" presque comme un euphémisme. Les problèmes en instance sont des enlèvements et des meurtres commis par des agents de l'État. »

Déclarations de parents de personnes mortes et "disparues" et de membres d'organisations de défense des droits de l'homme

a)         Le 23 juillet, à la suite de la présentation par les partis d'opposition de leur projet visant à la clôture des dossiers et des propos du président de la Cour suprême préconisant une loi interprétative de la loi d'amnistie de 1978, l'Agrupación de Familiares de Detenidos Desaparecidos (Groupement de familles de détenus disparus) a fait la déclaration suivante :

« Les tribunaux ont pour raison d'être la mise en oeuvre des valeurs de justice.

« Dans notre pays, le coup d'État a brusquement placé les tribunaux dans une position de complaisance et de passivité à l'égard des abus et des crimes qui ont été perpétrés massivement et systématiquement par les agents de l'État...

« Néanmoins, même aux jours les plus sombres de la dictature, il s'est toujours trouvé un juge ou un autre membre du corps judiciaire pour nous accueillir comme des personnes et sympathiser avec notre douleur et notre besoin de justice...

« Le recurso de amparo[6] et le châtiment des coupables étaient les deux instruments essentiels dont disposait la justice pour empêcher ou réprimer les violations des droits de l'homme, et nous, les familles, y avons eu recours dès les premiers enlèvements, dès que nos proches ont commence de disparaître, parce que nous pensions que c'était l'institution judiciaire qui nous donnerait la réponse à la question : « où sont-ils ? » que nous posons maintenant depuis plus de vingt ans.

« Notre position vis-à-vis de la question des violations des droits de l'homme est essentiellement juridique, éthique et préventive. Aucune démocratie saine, solide et stable ne pourra se construire sur l'oubli des crimes les plus graves contre le droit à la vie, à l'intégrité physique et à la liberté jamais commis dans l'histoire du Chili, dans le cadre d'une politique de terrorisme d'État qui a déchaîné contre la société la violence politique la plus brutale. Nous réaffirmons qu'aucune raison morale ou juridique ne peut justifier l'impunité des crimes de violation des droits de l'homme.

« Nous demandons que les crimes contre l'humanité soient punis de la même manière que le sont les crimes de droit commun.

« Nos textes législatifs en vigueur et notre Constitution, dans lesquels, au prix de considérables efforts de la société civile, ont été incorporés les plus nobles fruits de d'évolution du droit international en matière de droits de l'homme - les traités relatifs à ces droits - fournissent à nos magistrats les instruments nécessaires pour rendre la justice. Le pays verra si nos juges permettent à leur conscience de se laisser influencer par un débat politique qui vise uniquement à couvrir les délinquants ou si, inspirés par une volonté perpétuelle et constante de rétablir chacun dans son droit, ils remplissent le devoir qui est le leur d'interpréter et d'appliquer la loi. C'est-à-dire de rendre la justice. Le dernier mot leur appartient. »

b)         Déclaration publique concernant le projet de loi Frei faite par l'Equipo Jurídico de la Fundación de Ayuda Social de las Iglesias Cristianas (Commission juridique de la Fondation d'aide sociale des Églises chrétiennes (FASIC)), dont les avocats ont présenté devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme un certain nombre de requêtes actuellement examinées par cet organe et dont la liste figure à l'annexe 1.

« Dans ce contexte et pour la première fois depuis le début de la transition, la plus haute autorité de la République a reconnu que la « la société chilienne n'est pas parvenue à une complète réconciliation nationale ».

« Nous apprécions la reconnaissance explicite de cette situation et [pensons] qu'elle peut ouvrir aux Chiliens la voie de la réconciliation.

« Mais...il est absolument nécessaire de connaître la vérité sur chaque cas de détenu disparu.

Il faut que cette vérité soit établie de manière claire et précise. Ceci implique que l'on doit savoir :

            Où les "disparus" ont été arrêtés ou enlevés,

            Où ils ont été emmenés,
            Où ils ont été tués,
            Où ils ont été cachés,
            Qui l'a fait et
            Pourquoi on l'a fait.

« Inhérente à une vérité de cette nature est la question de la Justice, qui nécessite d'établir les responsabilités de caractère pénal, institutionnel et éthique.

« À présent, c'est à la lumière de ces principes que le projet doit être examiné d'une manière approfondie : or un tel projet législatif bafoue la justice. Il vise seulement à atteindre une infime part de vérité par le moyen de mécanismes d'une efficacité hypothétique et en garantissant un degré intolérable d'impunité aux responsables.

« Il constitue une base précaire pour la réalisation des buts que l'on se propose et une démonstration flagrante du fait que ses auteurs ont cédé aux pressions. C'est ainsi, croyons-nous, qu'une initiative partie de bonne intentions peut aboutir à de nouveaux échecs et frustations.

« Nous déplorons que la justice, suprême valeur à laquelle nous devons aspirer et qui est profondément enracinée dans la conscience de notre peuple, soit absente à la fois du message et de la formulation du projet dont il s'agit. À cet égard, nous constatons un important recul de la part de ceux qui ont eu la responsabilité de conduire la transition : ils nous ont d'abord parlé de justice dans la mesure où celle-ci est possible - et ils ne proposent plus aujourd'hui au pays que la vérité. »

À la suite de la présentation au Congrès, le 22 août, par le président Frei, du projet législatif du gouvernement, Sola Sierra, président du Groupement de familles de détenus disparus, a exprimé publiquement le regret que les proches des victimes n'aient jamais été consultés.

c)         Déclaration publique faite par le Comité de Defensa de Los Derechos del Pueblo (CODEPU, Comité de défense des droits du peuple), et le Centro de Salud Mental y Derechos Humanos (CINTRAS, Centre de santé mentale et des droits de l'homme, la Fundación de Ayuda Social de Iglesias Cristianas (FASIC, Fondation d'aide sociale des Églises chrétiennes) et le Servicio Paz y Justicia (SERPAJ, Service Paix et Justice), la veille du jour où est intervenu le vote de la Commission sénatoriale chargée de la constitution, de la législation et de la justice sur le projet de loi Figueros-Otero :

« Nous sommes convaincus que le projet de loi octroie le plus haut degré d'impunité possible. Il signifie qu'il n'y aura pas de justice, qu'il n'y aura pas de vérité et qu'on n'est même pas assuré de savoir un jour réellement quel a été le sort des "détenus disparus".

« On ne pourra parvenir à la réconciliation nationale par le seul biais de mesures législatives, mais par un processus éthique, culturel, politique et juridique auquel doivent participer tous les secteurs de la société concernés. Il est nécessaire, en particulier, de respecter le point de vue des familles victimes, qui doivent être consultées de la manière qui convient. »

L'opinion publique

Le Centro de Estudios de la Realidad Contemporánea (CERC, Centre d'étude de la réalité contemporaine) et la Comisión Chilena de Derechos Humanos (CCDH, Commission chilienne des droits de l'homme) ont publié, en juillet et en août respectivement, les résultats de sondages d'opinion desquels il découle qu'une large majorité de la population (75 p. cent dans un cas et 80 p. cent dans l'autre) est favorable à la poursuite des recherches sur les violations des droits de l'homme et que 62 p. cent et 70 p. cent respectivement sont favorables à des sanctions judiciaires contre les responsables de ces violations. Même si la méthodologie utilisée pour ces études d'opinion leur a attiré des critiques portant sur l'ampleur de l'échantillonnage de référence, leurs résultats permettent au moins de contester les affirmations selon lesquelles la majorité des Chiliens souhaiteraient la clôture des enquêtes sur les violations des droits de l'homme commises pendant la période de la dictature militaire. Un autre sondage d'opinion réalisé par le CERC et publié le 9 octobre indiquait que, pour 79,3 p. cent des personnes interrogées, la démocratie n'était pas entièrement consolidée au Chili.

Applications et effets de la loi d'amnistie de 1978

a)     Pendant la période du gouvernement militaire

C'est par le décret-loi 2.191 que le gouvernement militaire a introduit la loi d'amnistie de 1978, qui faisait obstacle aux poursuites contre les individus impliqués dans certains actes criminels perpétrés entre le 11 septembre 1973 et le 10 mars 1978, c'est-à-dire pendant la période de l'état de siège, années durant lesquelles la répression au Chili a été la plus féroce. À cette époque, des milliers de Chiliens ont été victimes de violations graves des droits de l'homme telles que des tortures, des exécutions sommaires et des "disparitions" de la part des forces de sécurité, en particulier de la Dirección de Inteligencia National (DINA, Direction des services nationaux de renseignements). Plusieurs centaines de prisonniers politiques ont également bénéficié de la loi de 1978 et ont été libérés.

Les tribunaux, aussi bien civils que militaires, ont, en application de la loi d'amnistie, procédé au classement systématique des dossiers dans des centaines d'affaires relatives à des violations des droits de l'homme perpétrées au cours des cinq premières années du gouvernement du général Pinochet. Toutefois, un certain nombre de dossiers sont restés ouverts et l'application de la loi de 1978 a fait l'objet de décisions divergentes.

La question de savoir à quel stade de la procédure la loi devenait applicable a été un des principaux sujets de controverse. Immédiatement après sa promulgation, certains tribunaux militaires ont tenté de classer des dossiers sans procéder à aucune enquête. Leurs arrêts ont été contestés, et certains des dossiers classés ont été rouverts. Selon les défenseurs des droits de l'homme et certains juges, la loi d'amnistie ne devait être appliquée qu'après aboutissement de l'enquête et après détermination de la responsabilité pénale pleine et entière de tous les suspects. Cette opinion a également été soutenue publiquement par le ministre de la Justice qui se trouvait en fonction au moment de l'adoption de la loi en 1978, Monica Madariaga. En 1979, la Cour suprême elle-même a décidé que la loi d'amnistie ne faisait pas obstacle à la poursuite des enquêtes sur les "disparitions". Toutefois, les procédures en cours n'ont que peu progressé, sauf dans de rares cas où se sont exercés le courage et la détermination de certains juges civils.

À compter de 1985, néanmoins, la Cour suprême a commencé de confirmer des décisions de juridictions inférieures tendant à appliquer la loi d'amnistie de 1978, même dans des affaires de "disparition" où les faits n'avaient pas encore été complètement établis. Un des cas les plus frappants de ce type de décisions est intervenu en octobre 1986, à la suite d'une importante enquête menée par le juge Carlos Cerda, de la cour d'appel de Santiago, sur la "disparition" de dix prisonniers en 1976. Cette enquête avait abouti à la mise en cause de 38 membres des forces armées et de deux collaborateurs civils. La Cour suprême a décidé de classer l'affaire et a infligé à deux reprises au juge Cerda des sanctions consistant en des périodes de deux mois de suspension, en 1986 et en 1991, pour avoir contesté le bien-fondé du classement et de l'application de la loi d'amnistie par un tribunal inférieur. En 1989, après la victoire du non au plébiscite de 1988, le juge militaire Carlos Pereira a procédé au classement de 100 affaires en application de la loi.

Par ailleurs, la Cour suprême a, en règle générale, statué en faveur de la saisine des tribunaux militaires lorsque ceux-ci ont revendiqué leur compétence dans des affaires de cette nature, et, une fois opéré le transfert des juridictions civiles aux juridictions militaires, les dossiers ont été systématiquement classés en application de la loi de 1978.

b) Depuis le rétablissement de l'autorité civile

Après le retour du pouvoir civil, en 1990, le gouvernement du président Aylwin a créé la Comisión de Verdad y Reconciliación (Commission pour la vérité et la réconciliation), connue sous le nom de Commission Rettig. Celle-ci était chargée de recueillir des informations afin de parvenir à établir la vérité sur les "disparitions", les exécutions illégales et les décès consécutifs à des tortures imputables à des agents de l'État. Elle devait également enquêter sur les morts dues à des violences d'origine politique commises par des particuliers entre le 11 septembre 1973 et le 11 mars 1990. Les cas de torture n'ayant pas provoqué la mort de la victime ne devaient pas donner lieu à enquête. La commission a passé neuf mois à vérifier en procédant à des recoupements les dossiers des affaires précédemment soumises aux tribunaux et à interroger des survivants originaires de diverses régions du Chili. Le 4 mars 1991, le président Aylwin a présenté les conclusions de ses travaux à la nation au cours d'une très importante émission télévisée. La commission avait confirmé 979 cas de "disparitions" et 1 319 cas de mort sous la torture ou d'exécution extrajudiciaire. Le rapport a été reproduit dans son intégralité par le journal La Nación cependant que d'autres organes de la presse écrite en faisaient paraître des extraits, contribuant à lui assurer une large diffusion. Par la suite, les 887 pages, réparties en deux volumes, du rapport dit "Rapport Rettig", ont été entièrement publiées. Ses conclusions, ainsi que de nouveaux éléments de preuve concernant quelque 220 cas, ont été transmis aux tribunaux pour que des enquêtes judiciaires soient ouvertes. Le président Aylwin avait d'ailleurs au préalable écrit au président de la Cour suprême, Luis Maldonado, pour lui demander instamment de donner pour instructions aux tribunaux de rouvrir les enquêtes. Présentant le rapport lors d'une émission télévisée de diffusion nationale, le président Aylwin a déclaré : « J'espère que ceux-ci [les tribunaux] rempliront leur fonction comme il se doit et mèneront à terme des enquêtes auxquelles, à mon sens, la loi d'amnistie en vigueur ne saurait faire obstacle » (« Espero que estos [tribunales] cumplan debidamente su función y acojan las investigaciones, a lo cual - en mi concepto - no puede ser obstáculo la ley de amnistia vigente »). Le principe selon lequel les tribunaux doivent, avant toute application de la loi d'amnistie, poursuivre leurs enquêtes jusqu'à ce que les circonstances du crime ou de la "disparition" soient éclaircies et que les responsabilités pénales individuelles aient été établies, a été baptisé "doctrine Aylwin".

La Cour suprême a néanmoins continué d'approuver le transfert de dossiers aux juridictions militaires et le classement de certaines affaires par application de la loi d'amnistie de 1978. C'est ainsi qu'en août 1990, elle a confirmé la décision de juridictions inférieures de classer une affaire qui avait pris naissance en 1978 avec une plainte dirigée contre des membres haut placés de la DINA auxquels étaient imputée la responsabilité de la "disparition" de 70 personnes entre 1974 et 1976. En 1983, la Cour martiale avait décidé la réouverture de 35 de ces dossiers, mais ceux-ci ont été définitivement clos au cours de la première année de gouvernement civil. En 1990 également, les tribunaux militaires ont contesté avec succès la compétence des tribunaux civils pour conduire les enquêtes à la suite de la découverte d'une tombe clandestine à Pisagua, dans le nord du Chili.

Précédentes tentatives en vue de faire adopter des lois destinées à accélérer la clôture des dossiers

La dernière tentative du gouvernement pour légiférer en vue d'alléger les procédures judiciaires relatives aux enquêtes portant sur les violations des droits de l'homme commises au cours de la période 1973-1978 remonte à août 1993. Trois mois plus tôt, en mai, des membres des forces armées avaient protesté publiquement en défilant pendant plusieurs heures dans des véhicules blindés dans les rues de Santiago pour manifester leur opposition au progrès des poursuites exercées contre les militaires pour violation des droits de l'homme. Cette manifestation a été baptisée Boinazo.[7]

Le Boinazo a eu lieu le 28 mai 1993. Ce jour-là, un juge pénal avait ordonné l'arrestation d'un officier dans l'affaire de la "disparition" des frères Juan Carlos et Jorge Elias Andrónicos et de Luis González Manriquez, en octobre 1974. Dans les deux mois, la Cour suprême statua en faveur de la compétence des juridictions militaires pour juger cette affaire (contrairement à ce que cette même cour avait décidé au sujet de la même affaire en 1989). Le jour suivant, le procureur militaire mettait fin aux poursuites contre l'officier concerné. Bien que cette décision ait été contestée devant la Cour martiale, cette dernière a plus tard confirmé le classement définitif de l'affaire.

Le gouvernement Aylwin a présenté un projet législatif visant à instaurer de nouvelles règles procédurales en ce qui concerne les enquêtes portant sur toutes les affaires relevant de la loi d'amnistie de 1978. Ces enquêtes seraient confiées à des magistrats de la Cour d'appel nommés pour deux ans en qualité de magistrats instructeurs spéciaux (Ministros en Visita), et les dépositions relatives aux endroits où se trouvent les "disparus" pourraient être reçues de manière confidentielle. Ce projet n'a pas obtenu l'accord de certains des partis de la coalition gouvernementale, en particulier du Parti socialiste, et n'a donc pas été adopté. La différence essentielle entre le texte qui était proposé alors et le projet Frei d'août 1995 consiste dans le fait que, d'après le second, les affaires non élucidées dans le délai de deux ans prescrit pouvaient néanmoins continuer à faire l'objet d'enquêtes sans limitation de temps. Le projet Figueroa-Otero ne contient pas, pour sa part, de disposition de cette nature, et les restrictions qu'il prévoit sur les enquêtes sont plus sévères que celles du projet Aylwin de 1993.

Bien que le projet Aylwin n'ait pas été adopté, la jurisprudence de la Cour suprême en matière de saisine des tribunaux militaires et d'application de la loi d'amnistie de 1978 aux affaires de droits de l'homme les plus graves s'est durcie en 1993. C'est ainsi qu'elle a approuvé le désaisissement d'un tribunal civil au profit d'un tribunal militaire dans l'affaire relative à l'enlèvement, en 1974, d'Alfonso Chanfreau Oyarce, qui a été torturé avant de "disparaître", et qu'elle a ensuite ratifié la décision de la juridiction militaire de clore le dossier. Le motif invoqué par la Cour suprême pour justifier son arrêt était que les faits avaient eu lieu en période de guerre interne.

L'impact de l'affaire Letelier/Moffit et les protestations qu'elle a suscitées dans l'armée

Les projets de loi dont il vient d'être question viennent en discussion au moment où un vif débat est en cours dans le pays au sujet des enquêtes relatives aux violations des droits de l'homme commises sous le gouvernement militaire. Le trouble dans l'armée a été particulièrement marqué lorsque la Cour suprême a confirmé les peines de prison prononcées contre le général Manuel Contreras, ancien directeur de la DINA, et le général de brigade Pedro Espinoza, son ancien chef des opérations. Il leur était reproché d'avoir planifié l'assassinat de l'ex-ministre des Affaires étrangères Orlando Letelier et de la citoyenne américaine Ronnie Moffit, qui, tous deux avaient trouvé la mort dans un attentat à la voiture piégée à Washington en 1976. Le général Espinoza était resté en activité jusqu'à son exclusion de l'armée en juin 1995. Quant au général Contreras, il était à la retraite. En 1993, tous deux avaient été condamnés par un tribunal à sept et six ans de prison respectivement.

En 1995, l'examen par la Cour suprême de l'appel interjeté par les deux généraux suscita dans le pays un très vif intérêt. Les audiences furent diffusées en direct par la télévision (c'était la première fois au Chili qu'un débat judiciaire était ainsi télévisé). Au cours des semaines qui précédèrent l'énoncé de la décision de la Cour, les médias se firent l'écho des spéculations exprimées dans le pays tout entier, tant au sujet du résultat du procès qu'à celui des éventuelles réactions des forces armées.

Le 30 mai 1995, la Cour suprême a confirmé les peines de prison qui avaient été prononcées à l'encontre des deux officiers. Peu de temps après, sur un nouveau recours, elle a cependant réduit ces peines d'une année afin de tenir compte du temps de détention subi par les deux condamnés en 1978, lors la procédure relative à leur extradition vers les États-Unis, laquelle n'avait pas abouti.

Le gouvernement militaire avait exclu l'affaire de l'assassinat d'Orlando Letelier et Ronnie Moffit du cadre d'application de la loi d'amnistie de 1978 en raison de ses implications internationales. Toutefois, l'ancien directeur de la DINA et son ex-chef des opérations n'ont, à aucun moment, été déclarés coupables des violations des droits de l'homme qui ont été commises au Chili, et cela bien que leur responsabilité ait été évoquée dans un certain nombre des affaires portées devant les tribunaux.

Ces condamnations ont suscité parmi les militaires un grand nombre de protestations et d'actes d'insubordination. En sa qualité de chef des forces armées, le général Pinochet a déclaré, peu après le prononcé de l'arrêt, qu'en dépit de la profonde blessure qui lui était infligée, l'armée respecterait le verdict. Toutefois, dans une interview publiée dans le journal La Tercera le 26 juin, il aurait qualifié cette décision de jugement très inéquitable et motivé par des considérations politiques (« este es un proceso muy injusto que ha tenido de una aquda politización »). En juin 1995, l'armée a donné suite à la décision du ministre de la Défense de mettre fin à la carrière militaire du général Espinoza. Cette mesure a permis sa mise en détention dans la prison de Punta Peuco, pour qu'il commence à y purger sa peine. En décembre 1994, le gouvernement avait pris des dispositions législatives en vue de la construction d'une prison spéciale réservée aux militaires reconnus coupables de crimes. C'est dans cette perspective que la prison de Punta Peuco a été achevée en juin 1995.

La question de savoir si le général Manuel Contreras purgerait ou non sa peine de prison a été le sujet d'une autre polémique. Pendant près de cinq mois, celui-ci n'a pas été transféré sur le lieu de son emprisonnement. En juin, il a échappé aux fonctionnaires de justice qui s'apprêtaient à lui signifier son ordre d'incarcération alors qu'il se trouvait dans son domaine, dans le sud du pays. Un avion militaire l'a transporté jusqu'à l'hôpital naval de Talcahuano, à 400 kilomètres de Santiago, où il a subi des tests médicaux concernant diverses affections et a été opéré d'une hernie. Dans une interview accordée à La Tercera, le général Pinochet a confirmé que l'armée avait aidé le général Manuel Contreras à échapper aux fonctionnaires de justice, par ce qu'il a nommé « une démonstration d'efficacité », ajoutant : « Nous ne pouvions permettre qu'un général de la République subisse une humiliation » (« una demonstración de eficiencia porque no podíamos permitir que se humillara a un general de la República »).

Le 22 juillet, quelque 1 500 personnes ont participé à un rassemblement devant la prison de Punta Peuco pour marquer leur solidarité avec le général Espinoza, qui purgeait sa peine depuis le 20 juin. Il s'agissait apparemment en majorité de militaires, dont une centaine d'officiers en activité de tous grades.

Le 13 septembre, deux jours après le 22ème anniversaire du coup d'État militaire, le général Augusto Pinochet a prononcé devant des hommes d'affaires un discours dans lequel il a insisté sur la nécessité d'oublier le passé : « La seule chose qu'il nous reste à faire, mes amis, c'est oublier ! J'ajoute que la bonne manière de le faire ne consiste pas à ouvrir des procès et à mettre les gens en prison. Non, il s'agit d'OU-BLI-ER, et oublier des deux côtés. » (« Hay que guardar silencio y olividar. La única cosa que queda, señores contertulios, es olvidar ! Agrego que no es manera de hacerlo abriendo procesos judiciales o metiendo a la cárcel. No, Ol-vi-do !, y para eso hay que por ambos lados olvidar. »).

La Cour suprême a demandé à ce que lui soient communiqués des rapports médicaux sur le général, et des négociations avec les forces armées ont abouti à une proposition tendant à l'instauration, dans la prison de Punta Peuco, d'une « garde mixte » (custodia mixta), confiée conjointement au personnel carcéral (gendarmería) et à l'armée. Le général Contreras avait lui-même répété à plusieurs reprises publiquement qu'il ne passerait pas un jour en prison. Le 19 septembre 1995 encore, le général Pinochet déclarait de son côté à la télévision : « Je ne peux tout simplement pas imaginer le général Contreras en prison. » Le 10 octobre, la Cour suprême a rendu un arrêt définitif aux termes duquel le général Contreras devait être transféré à la prison de Punta Peuco. Ce transfert a fini par avoir lieu le 21 octobre.

Jugements contradictoires et interprétations divergentes des normes internationales

Avant l'arrêt Letelier/Moffit, on avait déjà pu observer d'importantes divergences entre les décisions de plusieurs tribunaux, y compris de la Cour suprême, dans des affaires portant sur des violations des droits de l'homme, en particulier dans ce qui touche à l'application de la loi d'amnistie de 1978. Au Chili, la jurisprudence ne s'impose pas aux tribunaux, qui jugent chaque affaire en fonction de son caractère particulier.

Du fait que l'affaire Letelier/Moffit avait été exclue du champ d'application de la loi d'amnistie, l'arrêt de la Cour suprême ne pouvait constituer un précédent. Cette décision a néanmoins suscité chez beaucoup de familles de "disparus" et de victimes d'exécutions extrajudiciaires l'espoir que justice serait faite dans les affaires relatives à leurs proches. En même temps, cependant, elle faisait naître la crainte, parmi les groupes de parents de victimes et les organisations de défense des droits de l'homme, que les autorités ne mettent à profit le retentissement de cette affaire pour clore le chapitre des recherches sur les atteintes aux droits de l'homme commises pendant la période de la dictature militaire.

L'affaire Carmelo Soria

Le 23 mai 1995, la deuxième chambre de la Cour suprême a rendu une décision inattendue en rejetant un appel tendant à faire admettre l'application de la loi d'amnistie de 1978 dans l'affaire Carmelo Soria. Le corps de ce fonctionnaire des Nations unies, qui possédait la double nationalité chilienne et espagnole, avait été retrouvé dans un canal à Santiago en juillet 1976.[8] De nombreuses tentatives avaient été faites en vue d'obtenir l'application de cette loi d'amnistie dans cette afaire, dont le dossier avait été clos puis rouvert à plusieurs reprises. Lors du dernier appel, les avocats de la famille Soria avaient fondé leur recours sur la Convention de Vienne sur la prévention et la répression des crimes commis contre les personnes jouissant d'une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, qu'ils disaient s'appliquer dans ce cas. Cette convention, qui fait obligation aux États de punir les auteurs de tels crimes, avait été ratifiée par le Chili en 1977, c'est-à-dire antérieurement à l'adoption de la loi de 1978, sur laquelle elle prévalait par conséquent. Sans se référer explicitement à la convention en question, la Cour suprême a, dans son arrêt du 23 mai, autorisé la poursuite de la procédure. Les défenseurs des militaires accusés avaient demandé la clôture de l'instruction (cierre del sumario). On s'attend à une autre décision dans cette affaire dans un avenir proche.

Amnesty International a toujours soutenu que la loi chilienne d'amnistie de 1978 et la manière dont elle était appliquée étaient en contradiction avec les normes internationales relatives aux droits de l'homme. Cet argument a également été utilisé par les avocats représentant les familles de "disparus" dans leurs recours contre les décisions de clôture des dossiers et dans un certain nombre de requêtes adressées à la Commission interaméricaine des droits de l'homme pour protester contre la loi d'amnistie[9]. L'argument a aussi été utilisé par un certain nombre de juges.

L'affaire Alfonso Chanfreau Oyarce

D'autres controverses ont entouré les décisions judiciaires concernant la question de l'applicabilité du droit humanitaire international. Selon certains arrêts rendus précédemment par la Cour suprême, la période 1973-1978 constituait une période d'état de guerre interne, ce qui signifie que, dans tous leurs actes, les membres de l'armée accomplissaient leur devoir et que, par conséquent les règles de la responsabilité pénale ordinaire ne pouvaient leur être appliquées. Cet argument a été utilisé en particulier dans une décision de novembre 1993 confirmant la clôture par un tribunal militaire de l'enquête relative à la "disparition", en 1974, d'Alfonso Chanfreau Oyarce.

Les affaires Lumi Videla, Bárbara Uribe et Edwin van Yurick

En 1994, cependant, dans deux affaires différentes, des chambres de la Cour d'appel de Santiago ont tiré de l'argument de l'état de guerre interne des conséquences opposées en décidant que le droit humanitaire était applicable et que, puisque, selon les Conventions de Genève, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité n'étaient susceptibles d'aucune prescription, la loi d'amnistie de 1978 ne pouvait servir de base à une décision de clôture.

Le 27 septembre 1994, la troisième chambre de la Cour d'appel de Santiago a décidé la poursuite de la procédure dans l'affaire relative au meurtre après enlèvement et torture de Lumi Videla, assassiné le 10 juillet 1974, et dont le corps avait été abandonné dans le patio de l'ambassade d'Italie, où beaucoup de Chiliens trouvaient refuge. Le 3 octobre, la huitième chambre de la même Cour d'appel a pris une décision similaire dans l'affaire concernant la "disparition", à Santiago, le 10 juillet 1974, de Bárbara Uribe et d'Edwin van Yurick.

Les considérants de ces deux décisions développent la thèse selon laquelle, en vertu de l'article 5 de la Constitution, amendée en 1989, les traités internationaux ont une autorité supérieure à celle des lois internes. Le Chili a ratifié les Conventions de Genève de 1949 en 1951. Celles-ci étaient donc incorporées dans le cadre législatif chilien avant la loi d'amnistie de 1978. La cour fondait sa constatation de l'existence d'un état de guerre au Chili sur une série de décrets publiés entre le 22 septembre 1973 et le 11 septembre 1974, qui instauraient l'état de siège en invoquant un « estado o tiempo de guerra » (état ou temps de guerre).

La huitième chambre a en outre rappelé qu'il s'agissait, dans l'affaire de la "disparition" de Bárbara Uribe et d'Edwin van Yurick, d'un crime d'enlèvement, c'est-à-dire d'une infraction à caractère permanent (« secuestro es un delito que tiene características de permanencia »). Cet argument selon lequel une "disparition" est une infraction continue, se prolongeant dans le temps, et ne pouvant par conséquent être incluse dans la période limitative couverte par la loi de 1978, a été utilisé par plusieurs avocats spécialisés dans la défense des droits de l'homme et par quelques juges en de nombreuses occasions.

Ces deux décisions avaient été rédigées par Humberto Nogueiro Alcalá, avocat près la Cour d'appel de Santiago (abogado integrante de la Corte de Apelación de Santiago). À la suite du prononcé des arrêts, celui-ci a été affecté à d'autres fonctions et ne fait plus partie du personnel de la Cour d'appel. Son changement d'affectation a été interprété comme un acte de représaille.

À la suite des arrêts rendus par la Cour d'appel de Santiago dans les affaires Bárbara Uribe et Edwin van Yurick et Lumi Videla, une controverse s'est engagée autour de la question de la prééminence des traités internationaux et de la hiérarchie des lois au Chili. Dans la presse, des juristes ont débattu dans l'attente de la décision attendue de la deuxième chambre de la Cour suprême dans cette affaire. Cette décision était également attendue avec intérêt par la communauté internationale puisque les obligations internationales du Chili en matière de droits de l'homme se trouvaient en cause. Une des questions qui se posaient était celle de savoir à compter de quel moment des normes internationales dont certaines avaient été ratifiées plusieurs décennies plus tôt devaient être considérées comme prenant force obligatoire et comme dotées d'une autorité supérieure à celle des lois internes.

Le 26 octobre 1995, la deuxième chambre de la Cour suprême a rejeté l'argumentation de la Cour d'appel de Santiago et a mis un terme définitif à la procédure relative à la "disparition" de Bárbara Uribe et d'Edwin van Yurick. Son arrêt était fondé sur le raisonnement suivant : au moment des faits, le Chili ne se trouvait pas en état de conflit armé au sens des Conventions de Genève de 1949 ; au demeurant, ces conventions n'interdisent pas les lois d'amnistie ; enfin, les normes internationales auxquelles se réfère la Cour d'appel n'avaient pas été ratifiées par le Chili à l'époque du crime et ne peuvent être appliquées rétroactivement.[10]

La Cour a toutefois admis que l'enlèvement était un crime continu jusqu'à son interruption. (« Que es efectivo que el delito de secuestro tiene carácter permanente y se continua mientras no cese la actividad delictual »). Selon elle, cependant, il était impossible de supposer que l'accusé, Osvaldo Romo, avait continué pendant plusieurs années d'accomplir l'infraction qui lui était reprochée. Il y avait donc lieu de situer ce dernier au cours de la période antérieure au 10 mai 1978 et de considérer qu'il était couvert par la loi d'amnistie. La Cour appliquait la même argumentation au délit d'association illicite reproché à Osvaldo Romo. Pour justifier la clôture définitive du dossier, elle citait un commentaire de la commission préparatoire du Code pénal, aux termes duquel l'amnistie a pour effet d'effacer le crime et de « laisser son auteur dans la situation où il serait s'il ne l'avait jamais commis. » (« La amnistía tiene la virtud de borrar el delito, lo que previó la Comisión Redactora del Código Penal al senalar que deja « a su autor en la misma situación en que estaría si no lo hubiere cometido » ».

La Cour a néanmoins déclaré : « C'est un principe universellement reconnu que les nations civilisées ne peuvent invoquer leur droit interne pour éluder leurs obligations et engagements internationaux, résultant pour elles des traités. En le faisant, elles affaibliraient certainement l'État de droit » (« Pues, es un principio reconocido universalmente que las Naciones civilizadas no pueden invocar su Derecho Interno para eludir las obligaciones y compromisos internacionales asumidos por dichos tratados, lo que, ciertamente de producirse sí debilitaría el estado de derecho. »).

Les poursuites judiciaires dans les affaires de violations des droits de l'homme commises au cours de la période 1978-1990, non couverte par la loi d'amnistie de 1978

Les violations des droits de l'homme commises au cours des douze années du gouvernement du général Pinochet postérieures à 1978 ne sont pas couvertes par la loi d'amnistie et ont fait l'objet de poursuites judiciaires. En 1995, la Cour suprême a rendu des arrêts confirmant des peines de prison dans des affaires importantes.

Le 30 octobre 1995, la Cour suprême a confirmé les peines de prison prononcées à l'encontre de seize membres de la DICOMCAR (unité de Carabineros) reconnus coupables de l'enlèvement et du meurtre, en 1985, de trois membres du Parti communiste. Dans le courant de 1994, une tension considérable avait régné entre le gouvernement et l'armée en raison de l'attitude du général Rodolfo Stange, qui était alors directeur des carabineros et qui refusait de démissionner alors qu'on l'accusait d'avoir dissimulé le crime, connu sous le nom de l'affaire des « Degollados » (les égorgés). Le général Stange a finalement pris sa retraite en novembre 1995.

Le 6 décembre 1995, la Cour suprême a confirmé une peine de six cents jours de prison prononcée contre un ancien officier, Pedro Fernández Dittus, responsable de la mort, en 1986, de Rodrigo Rojas Denegri et des blessures graves subies par Carmen Gloria Quintana, dans l'affaire dite des « brûlés » (« quemados »). Le 2 juillet 1986, les deux victimes avaient, au cours d'une manifestation, été aspergées d'essence et brûlées. Rodrigo Rojas Denegri était mort des suites de ses blessures et Carmen Gloria Quintana avait été gravement atteinte.

L'accélération des clôtures de dossiers par les tribunaux - et quelques exceptions

Qu'une législation visant à donner une interprétation de la loi d'amnistie soit ou non adoptée, il y a tout lieu de craindre que l'extrême tension qui entoure la question des violations des droits de l'homme et les pressions que l'armée exerce ouvertement sur le gouvernement civil ne poussent les tribunaux à opter pour une interprétation restrictive de la loi d'amnistie et à prendre hâtivement des décisions visant à mettre un terme définitif aux procédures engagées dans les affaires de violations des droits de l'homme. L'arrêt rendu le 26 octobre 1995 par la Cour suprême dans l'affaire Bárbara Uribe et Edwin van Yurick est annonciateur de cette tendance. La veille de cette décision, un des membres de la deuxième chambre de la Cour, le juge Roberto d'Avila, aurait, selon la presse, déclaré qu'il espérait que les affaires en cours seraient réglées dans la quinzaine.

On a, de fait, observé depuis juillet 1995 un important changement dans les décisions de la Cour suprême, avec la clôture définitive de 14 affaires concernant 104 victimes. En ce qui concerne la question de l'attribution des compétences aux juridictions civiles ou aux juridictions militaires, on constate que, depuis mai 1995, la Cour a rendu des arrêts favorables aux tribunaux militaires dans huit affaires alors qu'entre décembre 1994 et mars 1995, huit décisions avaient été rendues en faveur des tribunaux civils.

Cependant, en dépit de cette tendance, quelques décisions encourageantes sont intervenues.

Par exemple, le 4 septembre 1995, la Cour suprême a créé la surprise en demandant la réouverture de la procédure dans l'affaire concernant María Eugenia Martínez Hernández, "disparue" à la suite de son arrestation par des agents de la DINA le 24 octobre 1974. Un tribunal militaire avait prononcé la clôture définitive du dossier en juillet 1993. En faisant droit à l'appel interjeté contre cette décision, la Cour a ordonné que le chef du Service de Cuatro Àlamos et ses subordonnés soient interrogés à propos de ce qu'il était advenu d'Eugenia Martínez Hernández qui, après son arrestation, avait été vue pour la dernière fois dans le camp de détention de Cuatro Àlamos. Avant l'arrêt Uribe/VanYurick, l'arrêt María Eugenia Martínez Hernández avait fait espérer aux défenseurs des droits de l'homme que la chambre pénale de la Cour suprême pourrait, dans le traitement de ces affaires, ne pas opter pour une interprétation restrictive à la loi d'amnistie.

La décision la plus inattendue et la plus inédite est intervenue le 5 décembre 1995, jour où la Commission sénatoriale chargée de la constitution, de la législation et de la justice s'exprimait sur le projet de loi Figueroa-Otero. Ce jour-là, la chambre pénale de la Cour suprême a confirmé la première déclaration de culpabilité jamais prononcée dans une affaire de "disparition" au Chili. Deux anciens policiers et un civil avaient, en septembre 1993, été déclarés coupables par un juge civil de la "disparition", en 1974, à Lautaro, dans la 9ème Région du Chili, de deux Indiens mapuche, Juan Cheuquepán, quinze ans, et Jose Llaulen, trente-neuf ans. Les accusés avaient été reconnus coupables d'enlèvement et de rapt de mineur (« secuestro y sustracción de menor »). La Cour d'appel de Temuco avait confirmé cette décision et n'avait pas appliqué la loi d'amnistie, au motif que l'enlèvement est un crime continu. En décembre 1995, la chambre pénale de la Cour suprême a rejeté le recours des appelants, qui demandaient l'application tout à la fois de la loi d'amnistie et de la prescription. La Cour a en outre confirmé la saisine de la juridiction civile dans cette affaire, au motif que les crimes ne pouvaient être considérés comme ayant été accomplis par les accusés dans le cadre de leur service (« Por no haber resultado probabo que los procesados Ponce y Campos hubieren participado en los delitos con ocasión de actos de servicio »). La condamnation initiale (trois ans de prison et 12 000 dollars d'amende) a été confirmée.

L'existence de ces décisions montre que les sanctions judidiciaires contre les auteurs de violations des droits de l'homme sont possibles au Chili dans la mesure où les tribunaux ont le courage d'accomplir leur devoir moral et professionnel. Si le Congrès dans son ensemble venait à adopter sans amendement le projet de loi Figueroa-Otero, cette possibilité disparaîtrait.

Jugements internationaux

Si les progrès en matière d'enquête sur les violations des droits de l'homme doivent, dans tous les cas, être salués, il est consternant pour l'image de la justice chilienne de devoir constater que les affaires qui présentent des implications internationales spécifiques progressent davantage que les centaines d'autres dossiers dont les tribunaux ont pu être saisis. L'affaire Letelier/Moffit constitue l'unique cas d'assassinat politique perpétré au cours de la période 1973-1978 à avoir abouti à une déclaration de culpabilité et à des peines de prison. L'affaire Carmelo Soria, dans laquelle la victime possédait la double nationalité espagnole et chilienne et la qualité de fonctionnaire des Nations unies, est toujours en cours. En décembre 1994, M. Boutros Boutros Ghali, secrétaire général des Nations unies, a publié un communiqué de presse dans lequel il déclarait, entre autres : « Depuis le jour de la mort de M. Soria, les Nations unies suivent activement le déroulement de l'enquête sur les circonstances de son décès et demandent que justice soit pleinement faite dans cette affaire ». Par ailleurs, une juridiction italienne a prononcé une condamnation contre le général Manuel Contreras et un autre officier pour une tentative d'assassinat à Rome en 1975.

L'affaire Bernardo Leighton

Le 23 juin 1995, un tribunal de Rome a condamné le général Manuel Contreras et le colonel Raúl Eduardo Iturriaga Neumann à vingt ans de réclusion pour avoir organisé une tentative d'assassinat contre le politicien démocrate chrétien et ex-vice-président Bernardo Leighton. Celui-ci et son épouse, Ana Fresno, ont été gravement blessés par balles à Rome en septembre 1975. Ana Fresno n'a jamais recouvré l'usage complet de ses jambes. Le procureur italien Giovani Salvi s'est rendu aux États-Unis, au Chili et en Argentine pour recueillir des éléments de preuve concernant les activités de la DINA et l'implication du général Contreras dans la préparation des assassinats d'Orlando Letelier, de Bernardo Leighton et du général Carlos Prats.

L'affaire Prats

Le général Prats, prédécesseur du général Pinochet au poste de commandant en chef des forces armées sous le gouvernement Allende, vivait en exil en Argentine. Le 30 septembre 1974, lui-même et son épouse, Sofia Cuthbert, ont été tués dans un attentat à la voiture piégée à Buenos Aires. Le 8 août 1995, la chambre pénale de la Cour suprême du Chili a rejeté une requête demandant la communication de certains éléments du dossier Letelier/Moffit aux tribunaux argentins qui enquêtaient sur ce double assassinat.

Plusieurs requêtes dans lesquelles des avocats chiliens soutiennent que l'État chilien porte atteinte au droit à un recours efficace dans les affaires d'exécutions extrajudiciaires et de "disparitions" et contestent la légitimité de la loi d'amnistie de 1978 et des conditions de son application sont en cours d'examen devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme (voir annexe 1).

Les exhumations se poursuivent

Entre-temps, les exhumations et les recherches se sont poursuivies dans les charniers et dans les sites qui, pensait-on, pouvaient contenir des corps de "disparus", et le travail médicolégal d'identification des restes exhumés a continué. Au total, 175 corps de "disparus" ont été identifiés de façon formelle, et l'on a retrouvé et identifié les restes de 419 personnes victimes d'exécutions extrajudiciaires. Après chaque identification individuelle ou collective ont eu lieu des cérémonies funèbres qui continuent d'avoir une résonance au sein de la société chilienne. Sous le gouvernement Aylwin, un monument à la mémoire des morts et des "disparus" a été élevé dans le cimetière général de Santiago et beaucoup de ceux qui ont été identifiés ont reçu une sépulture en ce lieu.

Les travaux du Comité national de réparation et de réconciliation

Conformément à la recommandation de la Commission nationale pour la vérité et la réconciliation (Commission Rettig), le Congrès a été saisi d'un projet de loi relatif à la création d'une instance destinée à succéder à cette commission. Le Comité national de réparation et de réconciliation (Corporación de Reparación y Reconciliación) a été créé par la loi 19.123 du 8 février 1992, avec mission de poursuivre les recherches sur les 641 affaires que la commission n'avait pu éclaircir et d'entreprendre des enquêtes sur ceux des cas qui n'avaient pas été présentés à cette dernière pendant la période où elle était en activité. Son mandat, d'abord limité au 15 juillet 1993, a été prolongé à plusieurs reprises. À l'heure actuelle, son terme est fixé à la fin de décembre 1996. Pendant la période de trois années qui a pris fin en février 1995, le Comité a reconnu officiellement 123 cas supplémentaires de "disparition" et 776 autres exécutions extrajudiciaires et décès sous la torture à s'être produits pendant l'exercice du pouvoir par les militaires. Ajoutés à ceux établis par la Commission Rettig, le nombre des cas officiellement reconnus par l'État se trouvait ainsi porté au total à 1 102 en ce qui concerne les "disparitions" et à 2 095 pour les exécutions extrajudiciaires et les morts sous la torture, soit en tout 3 197. Le Comité avait jusqu'au mois de février 1995 pour procéder à ces reconnaissances officielles, mais son mandat concernant les recherches relatives à l'endroit où se trouvent les "disparus" ne viendra à son terme que le 31 décembre 1996.

La loi 19.123 instituait des procédures destinées à permettre l'attribution de premières indemnités compensatoires et le versement de pensions régulières aux familles des victimes officiellement reconnues par l'État, que ce soit dans le rapport Rettig ou à l'issue des enquêtes effectuées par la suite par le Comité de réparation et de réconciliation. La loi prévoit en outre un droit à l'assistance médicale gratuite pour les familles et la prise en charge des frais d'études jusqu'à l'âge de trente-cinq ans pour les enfants des victimes reconnues.

En 1991, le ministère de la Santé a également mis sur pied un programme de réparation et de soins (Programa de Reparación y Atención Integral en Salud (PRAIS)) prévoyant une plus large assistance médicale aux parents des personnes "disparues" ou victimes d'exécutions extrajudiciaires ainsi qu'aux personnes ayant souffert de traumatismes dûs à la détention et à la torture et à celles rentrant d'exil.

Le Comité national de réparation et de réconciliation a par ailleurs reçu mandat de coordonner et de promouvoir une action de prévention propre à améliorer la protection et la réglementation en matière de droits de l'homme et à renforcer une culture de respect de ces droits. Il a encouragé le lancement de programmes éducatifs et favorisé l'organisation de séminaires et la publication de documents portant sur le sujet de la défense des droits de l'homme et sur le fonctionnement du système judiciaire.

Le comité a joué un rôle important, qui ne prendra pas fin avec l'expiration de son mandat en décembre 1996. Compte tenu du fait que les tribunaux procèdent de plus en plus souvent au classement définitif des affaires avant que la vérité n'ait été complètement établie, les efforts du comité en vue de retrouver les restes des victimes et de mener les enquêtes à leur terme seront de la plus grande importance. Amnesty International espère que le gouvernement chilien lui donnera un statut permanent.

Les préoccupations d'Amnesty International

Amnesty International est profondément préoccupée par les tentatives faites actuellement au Chili pour restreindre les enquêtes sur des centaines de cas de "disparitions" et d'exécutions extrajudiciaires datant de la période de la dictature de Pinochet. Deux faits suscitent son inquiétude : d'une part les propositions législatives qui, adoptées, auraient pour effet de mettre un terme aux poursuites et aux enquêtes, d'autre part la hâte apparemment excessive avec laquelle les tribunaux procèdent au classement définitif des affaires avant l'établissement complet de la vérité.

Il ne paraît pas douteux que ces deux initiatives soient le résultat des pressions exercées par l'armée pour obtenir une impunité totale pour les auteurs de violations des droits de l'homme.

Le droit internationalement reconnu à un recours efficace en cas de violation des droits de l'homme se décompose en trois éléments : vérité, justice et indemnisation. Le Chili s'est engagé assez largement dans la voie qui conduit à la réparation du préjudice causé aux ayants droit des victimes, mais, s'il permet le classement prématuré des affaires dans les conditions qui ont été précisées plus haut, il se situera dans la catégorie des pays qui ont refusé aux familles le droit à la vérité et à la justice.

C'est pourquoi Amnesty International a rappelé respectueusement aux autorités chiliennes de l'exécutif, du parlement et de la justice l'obligation qu'elles ont, au regard des normes internationales, de veiller à ce que les violations des droits de l'homme fassent l'objet d'enquêtes et à ce que leurs auteurs soient déférés à la justice, compte tenu du fait qu'adopter des lois favorisant l'impunité ou les faire entériner par les tribunaux peut encourager ou faciliter de nouveaux abus.

Amnesty International n'a pas cessé de réclamer l'abrogation de la loi d'amnistie de 1978[11] et la mise en jugement des personnes tenues pour responsables de violations des droits de l'homme. L'Organisation n'a pas de position sur la question de l'opportunité d'accorder des grâces aux condamnés une fois que le processus judiciaire a été mené à son terme et que les tribunaux ont mis en lumière la réalité des faits et établi les responsabilités, mais elle s'oppose à toute mesure qui serait de nature à empêcher la recherche de la vérité dans les affaires de violations des droits de l'homme et à faire obstacle au jugement des responsables. Pour elle, la manière dont a été interprétée la loi d'amnistie de 1978 au cours des dernières années est contraire aux normes internationales en matière de droits de l'homme.

Amnesty International estime que la lumière n'a pas été entièrement faite sur les cas individuels de violations des droits de l'homme commises pendant la période militaire et s'oppose par conséquent fermement à toute nouvelle limitation des enquêtes sur les faits ou des poursuites judiciaires exercées contre les coupables.

En ce qui concerne la teneur du projet de loi Frei du 22 août, Amnesty International a exprimé sa satisfaction devant les dispositions de ce texte visant le transfert des dossiers des juridictions militaires aux juridictions civiles et confiant à des juges de la Cour d'appel le soin d'enquêter à leur sujet de manière exclusive pendant une période de deux années, étant entendu que ces dossiers demeureraient ouverts sans limitation de temps dans les cas où les enquêtes n'auraient pas abouti. En accord avec l'article 16 de la Déclaration des Nations unies sur la protection de toutes personnes contre les disparitions forcées, l'Organisation estime que les tribunaux militaires ne sont pas des juridictions compétentes pour enquêter en ces matières. L'exemple du Chili est démonstratif à cet égard, puisque les tribunaux militaires y ont systématiquement classé les affaires de "disparition" avant que les faits n'aient été établis. En outre, pour Amnesty International, les enquêtes portant sur les circonstances dans lesquelles chaque "disparition" individuelle a eu lieu et visant à la détermination de l'endroit où se trouvent les restes des victimes ne doivent pas être closes avant que toute la lumière ait été faite sur le sort de la personne concernée. Cette opinion est conforme à l'article 13 de la Déclaration des Nations unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, qui dispose :

« Une enquête, selon les modalités décrites ci-dessus, doit pouvoir être menée tant que le sort de la victime d'une disparition forcée n'a pas été clarifié ».

Amnesty International estime que la récente proposition Figueroa-Otero ne présente ni l'avantage de dessaisir les tribunaux militaires au profit des tribunaux civils, ni celui de prévoir la poursuite des enquêtes jusqu'à l'établissement de la vérité sur le sort des "disparus". Si les dispositions de ce projet étaient adoptées, elles auraient pour effet de mettre à la charge des proches des "disparus" un fardeau inacceptable, puisqu'ils se verraient obligés, s'ils veulent conserver un quelconque espoir de voir les enquêtes se poursuivre, de saisir les tribunaux de demandes de réouverture des dossiers, lesquelles ne seraient satisfaites qu'en la présence d'informations suffisantes, notamment d'informations nouvelles, pour justifier une telle mesure. Il convient toutefois rappeler ici qu'en vertu de l'article 13, paragraphe 1, de la Déclaration des Nations unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, l'État a l'obligation de prendre l'initiative des enquêtes sur les "disparitions" lorsqu'il existe des motifs raisonnables de penser que de tels faits se sont produits.

De plus, les autres dispositions du projet qui font obstacle à l'établissement par les tribunaux de la responsabilité pénale des auteurs de violations graves des droits de l'homme porteraient atteinte au fonctionnement indépendant de la justice. De telles restrictions en matière d'enquête et de poursuites iraient à l'encontre de plusieurs normes internationales, contenues en particulier dans la Déclaration des Nations unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et dans les Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions. Les gouvernements ont l'obligation de déférer à la justice les auteurs de "disparitions", d'exécutions extrajudiciaires et de torture, où qu'ils se trouvent et quel que soit le lieu où le crime a été commis.

Amnesty International craint, par conséquent, que la mise en oeuvre de mesures spéciales, quelles qu'elles soient, tendant à restreindre les pouvoirs de la justice et à l'empêcher de remplir ses fonctions et de mener des enquêtes ne prive les familles des victimes d'exécutions extrajudiciaires et de "disparitions" de tout moyen légal d'établir la vérité sur le sort de leurs proches.

D'autres éléments du projet prévoyant l'instauration d'un secret sur les informations relatives au sort des "disparus" et, finalement, la destruction de ces informations lorsqu'elles sont suceptibles de conduire à l'identification des sources sont en contradiction avec le principe qui veut que les familles puissent avoir accès aux données des enquêtes portant sur le sort d'un de leurs membres et que les résultats de toutes les enquêtes sur les violations des droits de l'homme soient rendus publics.

Pendant la période de la dictature militaire, l'État a systématiquement dissimulé les informations relatives au sort des personnes qu'il détenait et faisait disparaître. Le fait, pour le gouvernement civil, d'interdire les poursuites et de légiférer en vue d'instituer un secret sur ce qu'il est advenu de centaines de personnes porterait un coup très grave aux principes de vérité et de justice. Amnesty International pense que les tribunaux devraient être les premiers à défendre ces principes.

L'expérience d'Amnesty International, fondée sur le suivi de milliers de cas de "disparitions" et d'exécutions extrajudiciaires à travers le monde, enseigne que les solutions partiales, qui méconnaissent le droit des familles à la justice et à une réparation morale ou qui paraissent favoriser l'impunité, ne contribuent jamais à permettre de tourner la page sur les violations des droits de l'homme.

Annexe 1 - Requêtes actuellement pendantes devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme

Juan Carlos Andrónicos Antequera, Jorge Elías Andrónicos Antequera, Luis González Manríquez, arrêtés le 3 octobre 1974, "disparus".

Pedro Vergara Inostroza, 22 ans, invalide, arrêté le 27 avril 1974, "disparu".

Joan Alsina Hurtos, prêtre espagnol arrêté le 19 septembre 1973, exécuté au pont de Bulnes, sur la rivière Mapocho.

Juan Aniceto Meseses Reyes, étudiant âgé de 25 ans, arrêté le 3 août 1974, "disparu".

Ricardo Ernesto Lagos Salinas, 24 ans, arrêté le 27 juin 1975, "disparu".

Alfonso Rene Chanfreau Oyarce, étudiant, arrêté le 30 juillet 1974, "disparu".

Agustín Reyes González, étudiant, arrêté le 27 mai 1974, "disparu".

William Millar Sanhueza, employé des chemins de fer, arrêté en septembre 1973, "disparu".

Jorge Marín Rossel, dirigeant étudiant, arrêté en septembre 1973, "disparu".

Francisco Aedo Carrasco, architecte, âgé de 63 ans, arrêté le 7 octobre 1973, "disparu".

Juan Carlos Perelman Ide, ingénieur chimiste et économiste, arrêté le 20 février 1975, "disparu".

Groupe de La Serena : Oscar Aedo Herrera, Carlos Alcayaga Varela, José Aragay González, Marcos Barrantes Alcayaga, Jorge Contreras Godoy, Hipólito Cortés Alvares, Oscar Cortés Cortés, Víctor Escobar Astudillo, Roberto Guzmán Santa-Cruz, Jorge Jordán Domic, Manuel Maracian Hamett, Jorge Osorio Zamora, Jorge Peña Hen, Jorge Ramírez Sepúlveda, Gabriel Vergara Muñoz, arrêtés dans les jours qui ont suivi le coup d'État militaire du 11 septembre 1973, condamnés à des peines de prison par un tribunal militaire, exécutés en octobre 1973. Leurs corps n'ont jamais été restitués à leurs familles et on ignore où se trouvent leurs restes.

Luis Sánchez Mejías, 21 ans, garçon de café, assassiné le 7 octobre 1973 après avoir été arrêté lors d'une descente de police dans le bidonville de San Gregorio.

Annexe 2 - Liste des détenus/"disparus"

Nom de la victime Date de la    Lieux où ont été
disparition/        retrouvés les corps
détention

            Acuña Concha, Juan Antonio    15/9/73 Laja
            Albornoz González, Alberto      7/10/73 Mulchen
            Albornoz González, Alejandro  6/10/73            Mulchen
            Albornoz González, Daniel        6/10/73            Mulchen
            Albornoz González, Felidor       7/10/73 Mulchen
            Albornoz González, Guillermo   6/10/73            Mulchen
            Albornoz Prado, Hernán Fernando       15/9/73 Patio 29 (STGO)
            Albornoz Prado, Juan Humberto           15/9/73            Patio 29 (STGO)
            Aranda Schmied, Pablo Ramón            17/9/73            Patio 29 (STGO)
            Araneda Reyes, Luis A 15/9/73            Laja
            Aranguiz Gonzalez, Jorge Antonio         19/10/73 EML
            Astudillo Alvarez, Enrique         7/10/73            Lonquen
            Astudillo Rojas, Omar  7/10/73            Lonquen
            Astudillo Rojas, Ramón            7/10/73            Lonquen
            Avilés Joers, Oscar Luis           11/9/73            Patio 29 (STGO)
            Becerra Avello, Manuel H        13/9/73            Laja
            Brant Bustamante, Miguel         7/10/73            Lonquen
            Cabezas Bueno, José Angel      2/10/73 Paine (Chada)
            Cádiz Molina, Luis Nelson        14/9/73            Patio 29 (STGO)
            Calderón Nilo, Francisco          3/10/73            Paine Chada
            Campos Barra, Eduardo Alejandro       13/9/73            Patio 29 (STGO)
            Campos López, Ruben A         16/9/73            Laja
            Canto Gutiérrez, Manuel Fernando       5/10/73 IML
            Carcamo Rojas, Saúl S 16/9/73            Paine
            Carrasco Barrios, Ricardo        16/9/73            Paine
            Casanova Pino, Eduardo Mario            17/9/73            IML
            Castro Maldonado, José Ignacio           16/10/73          Patio 29 (STGO)
            Castro Saez, Héctor B  24/9/73 Paine (Chada)
            Castro Zamorano, Manuel Ramon        11/9/73 Patio 29 (STGO)
            Cofre Martínez, Germán Rene  24/9/73            Patio 29 (STGO)
            Contreras León, Luis E 22/10/73          Calama
            Curiñir Lincoleo, Nelson           5/10/73            Nueva Imperial
            Davila García, Luis Herminio     15/10/73          Patio 29 (STGO)
            Del Canto Rodríguez, José        6/10/73            Patio 29 (STGO)
            Duque Orellana, Patricio           16/10/73          Patio 29 (STGO)
            Fernández Pávez, Sergio F       5/10/73            Patio 29 (STGO)
            Fonseca Castro, Eduardo Antonio IML
            Fonseca Faundez, Carlos          17/9/73            Patio 29 (STGO)
            Freire Medina, José      11/9/73 Patio 29 (STGO)
            Fuentes Vera, Raúl René          0/10/73            Patio (STGO)
            Gaete Balmaceda, Luis Alberto 16/10/73          Patio 29 (STGO)
            Gajardo Hidalgo, Sergio Alberto           15/9/73            IML
            Galaz Salas, Domingo   3/10/73 Paine (Chada)
            Gallegos Gallegos, Juan Angel   16/10/73          Patio 29 (STGO)
            Garay Benavides, Carlos M      12/9/73 Tocopilla
            García Lozo, José Andres         18/9/73            IML
            Garfias Gatica, Dagoberto        15/9/73            Laja
            Godoy Sandoval, Luis A           6/10/73            Mulchen
            González Espinoza, José E        3/10/73            Paine (Chada)
            González González, Ramiro       15/3/75            Patio 29 (STGO)
            González Pérez, Juan B 3/10/73            Paine (Chada)
            Grandon Gálvez, Fernandez      14/9/73 Laja
            Gutiérrez Ascencio, José           7/10/73            Mulchen
            Gutiérrez Ayala, Daniel A         11/9/73            Patio 29 (STGO)
            Gutiérrez Rivas, Luis Sergio      30/9/73            Patio 29 (STGO)
            Gutiérrez Rodriguez, Jack         13/9/73            Laja
            Hernández Flores, Carlos         7/10/73            Lonquen
            Hernández Flores, Nelson         7/10/73            Lonquen
            Hernández Flores, Oscar          7/10/73            Lonquen
            Hernández Orrego, Daniel        16/10/73          Patio 29 (STGO)
            Herrera Villegas, Jose   7/10/73 Lonquen
            Hidalgo Mella, Aurelio E           3/10/73            Paine (Chada)
            Jara Herrera, José Juan 16/9/73            Laja
            Jara Jara, Mario           15/9/73            Laja
            Jiménez Barrera, Raúl Luis        4/10/73            Patio 29 (STGO)
            Jiménez Cortés, Luis Carlos      15/9/73            Patio 29 (STGO)
            Lamana Abargua, Jorge A        15/9/73            Laja
            Largo Vera, Luis Alejandro      14/9/73 Patio 29 (STGO)
            Laubra Brevis, Juan de Dios     5/10/73            Mulchen
            Lazo Maldonado, Luis Rodolfo 16/10/73          Patio 29 (STGO)
            López Elgueda, Ricardo Octavio           20/9/73            Patio 29 (STGO)
            López López, Arazati Ramón    14/9/73 Patio 29 (STGO)
            López López, Bernabé 3/10/73            Paine (Chada)
            Macaya Barrales, Alfonso         15/9/73            Laja
            Marambio Araya, Oscar Osvaldo         13/9/73            IML
            Maturana Valderrama, Samuel  8/10/73            Patio 29 (STGO)
            Maureira Lillo, Sergio   7/10/73 Lonquen
            Maureira Muñoz, José M          7/10/73            Lonquen
            Maureira Muñoz, Rodolfo         7/10/73            Lonquen
            Maureira Muñoz, Segundo        7/10/73 Lonquen
            Maureira Muñoz, Sergio           7/10/73            Lonquen
            Millanao Canihuan, Jaime Pablo            23/9/73            Patio 29 (STGO)
            Miranda González, Carlos         22/10/73          Patio 29 (STGO)
            Miranda Miranda, Manuel Jesús IML
            Miranda Sepúlveda, Iván          11/9/73            Patio 29 (STGO)
            Muñoz Bizama, José Miguel      17/10/73 Patio 29 (STGO)
            Muñoz Muñoz, Heraldo            13/9/73            Laja
            Muñoz Muñoz, Raul Antonio    29/9/73 Patio 29 (STGO)
            Muñoz Peñaloza, Mario Enrique           16/10/73          Patio 29 (STGO)
            Muñoz Rodríguez, Wilson         13/9/73            Laja
            Navarro Martínez, Manuel Lonquen
            Nuñoz Alvarez, Luis Francisco  11/10/73          Patio 29 (STGO)
            Nuñoz Vargas, Juan Bautista Paine (Chada)
            Opazo Parra, Pedro Segundo   15/10/73 IML
            Ordóñez Lama, Iván B 7/10/73            Lonquen
            Orellana Catalán, Juan  8/6/76  Cuesta Barriga
            Orrego González, Jorge Osvaldo          11/9/73            IML
            Ortíz Moraga, Juan Osvaldo     12/12/74 IML
            Paredes Barrientos, Eduardo    11/9/73            Patio 29 (STGO)
            Paris Roa, Enrique        11/9/73 Patio 29 (STGO)
            Pávez Espinoza, José Fernando Patio 29 (STGO)
            Pérez Godoy, Pedro Hugo        17/10/73          Patio 29 (STGO)
            Pera Catalán, Hernán Patio 29 (STGO)
            Pincheira Nuñez, Héctor R        11/9/73            Patio 29 (STGO)
            Pinto Caroca, Héctor S            3/10/73            Paine (Chada)
            Pinto Caroca, Pedro H 3/10/73            Paine (Chada)
            Quinteros Miranda, Eduardo Santos IML
            Ramírez Barria, William Osvaldo           11/9/73            IML
            Ramírez Ramírez, José Santos   28/9/73            Patio 29 (STGO)
            Reyes Avilla, Carlos Ramón      15/9/73 Patio 29 (STGO)
            Riquelme Concha, Federico      13/9/73 Laja
            Riquelme Guzmán, Jorge Orlando         24/10/73          IML
            Roa Riquelme, Juan de Dios     7/10/73 Mulchen
            Rodríguez Riquelme, Luis          11/9/73            Patio 29 (STGO)
            Rubilar Gutiérrez, Florentino     6/10/73            Mulchen
            Rubilar Gutiérrez, José Liborio  6/10/73            Mulchen
            Rubilar Gutiérrez, José Lorenzo            6/10/73            Mulchen
            Ruz Zuñiga, Jorge Carlos          20/9/73            IML
            Saavedra Gonzalez, Enrique A  15/9/73 Patio 29 (STGO)
            Saez Espinoza, Luis      20/9/73 Laja
            Sánchez Pérez, Simón Eladio    20/9/73            Patio29 (STGO)
            Sandoval Medina, Geronimo     7/10/73 Mulchen
            Humberto        
            Sanhueza Contreras, Oscar       15/9/73 Laja
            Segovia Villalobos, Luis            11/9/73            Tocopilla
            Sepúlveda Castillo, Domingo    5/10/73            Mulchen
            Serrano Galaz, Roberto Esteban           16/10/73          Patio 29 (STGO)
            Sobarzo Sepúlveda, Javier        11/9/73            Patio 29 (STGO)
            Tabia Rojas, Miguel Angel        26/9/73 Patio 29 (STGO)
            Tognola Rios, Claudio R           16/9/73            Tocopilla
            Toledo Garay, Enrique Alfonso 15/9/73            IML
            Toro Velez, Eduardo Emilio      6/10/73 Patio 29 (STGO)
            Traubmann Riegelhaupt, Ernesto           13/9/73            Patio 29 (STGO)
            Ulloa Valenzuela, Luis   13/9/73            Laja
            Urra Parada, Raúl         13/9/73            Laja
            Urrutia Molina, Héctor Daniel   11/9/73            Patio 29 (STGO)
            Utreras Beltrán, Juan Segundo  17/9/73            Patio 29 (STGO)
            Valdivia Valdivia, Aliro 3/10/73            Paine (Chada)
            Vargas Barrientos, Pedro Patio 29 (STGO)
            Vicencio González, Héctor Orlando      20/9/73 IML
            Vidal Aedo, Edmundo José      5/10/73 Mulchen
            Vidal Arenas, José Hugo          3/10/73            Paine (Chada)
            Videla Ovalle, Benjamín Jaime  6/10/73            Patio 29 (STGO)
            Villarroel Carmona, Augusto     17/9/73            Tocopilla
            Villarroel Espinoza, Juan           14/9/73            Laja
            Vivanco Carrasco, Celsio         5/10/73            Mulchen
            Yáñez Durán, José Florencio    5/10/73            Mulchen
            Zamgrano González, Víctor Paine (Chada)
            Zarate Alarcón, Pedro Antonio 11/9/73            Patio 29 (STGO)
            Zorrilla Rubio, Jorge L  15/9/73            Laja
            Zuñiga Aguilera, Francisco        12/10/73 Patio 29 (STGO)

Annexe 3

1)         Présentation par le président Frei de son projet législatif au Sénat le 22 août 1995 (extraits).

« Debo decir que la oportunidad histórica que todos los chilenos tenemos al alcance de nuestras manos se puede ver seriamente amenazada si como comunidad nacional no resolvemos estos dos severos problemas de nuestra transición: por una parte, el tema de las violaciones a los derechos humanos ocurridos en el pasado; y en segundo lugar, las claras insuficiencias de nuestra institucionalidad democrática.

« Abordar integralmente los temas de la transición.... apunta derribar definitivamente el muro que aún divide a los chilenos. Muro que, expresandose por un lado en el tema de los derechos humanos, se manifiesta también en las barreras institucionales defensivas con que los constituyentes de 1980 se quisieron proteger de las mayorías, a sus ojos, se percibían amenazantes.

« Esta situación genera un problema que impide que cicatricen las heridas del pasado. De una parte, estos juicios pendientes hace que hay una cierta cantidad de personal militar involucrada en juicios que no avanzan, y de otra parte vemos como una cantidad de chilenos y chilenas no logran saber el paradero de sus seres queridos y darle una digna sepultura.

« La solución de decretar el olvido por la vía de una ley de punto final no me parece justa ni éticamente aceptable.

« El Gobierno entiende que, pasados más de veinte años, en el alma nacional el objetivo de verdad es éticamente superior al de la sanción penal de los culpables. No se busca venganza; lo que se busca es una nueva oportunidad para la verdad todavía no alcanzada. »

2)         Déclaration d'Alejandro González, président de la Corporación de Reparación y Reconciliación, 20 août 1995.

« Es inaceptable que se pretenda poner término a las investigaciones, a la tarea del Estado de restablecer la verdad. El tiempo puede ser una razón para mitigar el dolor, pero nunca una razón para que el estado clausure las investigaciones. Eso significaría reconocer que en Chile se cometieron más de mil crímenes perfectos, sin autor, en un país que tenía una tradición en cuanto a la capacidad de investigar.

« En nuestra historia hay pocos crímenes sin autor, salvo durante la dictadura. Sería muy grave el precedente de que el Estado se resigne. Aquí no hubo guerra; hubo una política de terrorismo de Estado. Por lo que me parece indispensable que se siga demonstrando la voluntad de investigar. La impunidad es muy mal signo desde el punto de vista educativo, y no es sana. Para las futuras generaciones, recordar que no pasó nada con los crímenes cometidos es una lección muy peligrosa.

« Se habla de los problemas pendientes de Derechos Humanos casi como un eufemismo. Los problemas pendientes son secuestros y homicidios cometidos por agentes del Estado. »

3)         Déclaration publique de l'Equipo Jurídico de la Fundación de Ayuda Social de las Iglesias Cristianas (FASIC), août 1995.

« En este contexto y por primera vez durante la transición, la más alta autoridad de la República ha reconocido que la "sociedad chilena no ha logrado la plena reconociliación nacional.

« Valoramos el reconocimiento explícito de esta realidad y a partir de ella será posible iniciar un camino que tenga como destino la reconciliación de los chilenos.

« Pero, ...resulta ineludible conocer la verdad respecto de cada caso de Detenido Desaparecido.

« Se requiere que esta verdad sea clara y precisa. Verdad que implica conocer:

            Dónde los detuvieron o secuestraron

            Dónde los llevaron
            Dónde los mataron
            Dónde los ocultaron
            Quienes lo hicieron
            Porqué lo hicieron« Inherente a una verdad de esta naturaleza es el tema de la Justicia, que implica establecer las responsabilidades en el orden Penal, Institucional y Ético.

« Ahora bien, consecuente con tales principios, es necesario hacer una observación de fondo al proyecto: esta iniciativa legal abdica de la Justicia. Sólo aspira a alcanzar cuotas menguadas de verdad a través de mecanismos de hipotética eficacia y garantizando grados intolerables de impunidad para los responsables.

« ...es una base precaria para alcanzar los fines que se pretenden y una demostración patente de que se ha cedido frente a la presión. De esta forma, creemos que una iniciativa bien inspirada puede desembocar en nuevos fracasos y frustraciones.

« Deploramos que la Justicia, como valor supremo al que debemos aspirar y que se encuentra profundamente arraigado en la conciencia de nuestro pueblo, no esté presente ni en el mensaje ni en el articulado del proyecto de ley en referencia. En este sentido percibimos un retroceso significativo de quienes han tenido la responsabiliadad de conducir la transición: primero se nos habló de la justicia en la medida de lo posible y hoy, sencillamente sólo se le propone al país la Verdad. »

4)         Déclaration de l'Agrupación de Familiares de los Detenidos Desaparecidos, le 23 juillet :

« Los Tribunales Existen para Realizar el Valor de la Justicia'

« En nuestro país, el golpe de Estado situó abruptamente a los Tribunales de Justicia en una posición de complacencia y pasividad frente a los atropellos y los crímenes que se cometían masiva y sistemáticamente por los agentes del Estado...

« Sin embargo, aún en los más oscuros días de la dictadura, siempre existió un juez o funcionario judicial que nos acogió como personas y que solidarizó con nuestro dolor y nuestra demanda de justicia...

« El recurso de Amparo y la sanción a los responsables, fueron los dos instrumentos fundamentales con que contó el Poder Judicial para prevenir o reprimir las violaciones a los Derechos Humanos, y a ellos recurrimos los familares desde el momento en que nuestros seres queridos fueron secuestrados y hechos desaparecer, porque esperábamos que fuera la vía judicial, la que encontrara y diera respuestas al ? Dónde Están ? que hemos reclamado por más de 20 años...

« Nuestra postura frente a la problemática de violaciones a los Derechos Humanos, es fundamentalmente jurídica, ética y preventiva. Ninguna democracia sana, sólida y estable podrá construirse sobre la base del olvido de los más graves crímenes cometidos en la historia de Chile en contra de la vida, la integridad y la libertad de las personas, dentro de una política de terrorismo de estado que desató la máxima violencia política contra la sociedad. Reafirmamos que no existe razón ética ni jurídica para que los delitos por violaciones a los Derechos Humanos sean mantenidos en la impunidad.

« Del mismo modo que se precede a sancionar los delitos comunes, es que estamos pidiendo sean sancionados los delitos contra la humanidad.

« La normativa constitucional y legal vigente, que tras enormes esfuerzos cívicos ha incorporado lo más noble de la evolución de Derecho Internacional de los Derechos Humanos - los tratados sobre derechos humanos - le otorga a nuestros jueces los instrumentos necesarios para hacer justicia. El país será testigo si los jueces de nuestro país permiten que sus consciencias sean obnubiladas por discursos políticos que sólo pretenden el encubrimiento de los delincuentes o si cumple su deber de interpretar y aplicar la ley animados de una constante y perpetua voluntad de dar a cada uno lo suyo. Esto es, de hacer justicia. La palabra es suya. »

5)         Déclaration publique des organisations non gouvernementales : Comité de Defensa de Los Derechos Del Pueblo (CODEPU, Comité de défense des droits du peuple) ; Centro de Salud Mental y Derechos Humanos (CINTRAS, Centre de santé mentale et des droits de l'homme) ; Fundación de Ayuda Social de Iglesias Cristianas (FASIC, Fondation d'aide sociale des Églises chrétiennes) et Servicio Paz y Justicia (SERPAJ, Service Justice et paix) la veille du jour où la Commission sénatoriale chargée de la constitution, de la législation et de la justice se prononçait sur le projet de loi Figueroa-Otero, en décembre 1995 :

«          Sin embargo, estamos convencidos que el proyecto otorga el grado más alto de impunidad al que se puede aspirar: no habrá justicia, no habrá verdad, y tampoco se garantiza que conoceremos realmente la suerte de los "detenidos desaparecidos".

« La reconciliación nacional no se agota ni se logrará exclusivamente por la vía de un proyecto de ley, sino por un proceso ético, cultural, político y jurídico en el que han de participar todos los sectores afectados. Especialmente, debe respetarse el punto de vista de las familias víctimas, quienes deban ser consultadas oportuna y apropiadamente. »

Annexe 4 - Normes internationales

Déclaration des Nations unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU sans vote le 10 décembre 1992, dans la résolution 47/133)

Article 1

1.         Tout acte de disparition forcée constitue un outrage à la dignité humaine. Il est condamné comme un reniement des buts de la Charte des Nations Unies et comme une violation grave et flagrante des droits de l'homme et des libertés fondamentales proclamés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, et réaffirmés et développés dans les instruments internationaux y relatifs.

2.         Un tel acte de disparition forcée soustrait l'intéressé à la protection de la loi et lui cause de graves souffrances ainsi qu'à sa famille. Il constitue une violation des règles de droit international qui garantissent notamment à chacun le droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne et le droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il transgresse en outre le droit à la vie ou le met gravement en péril.

Article 2

1.         Aucun État ne doit se livrer à des disparitions forcées, les autoriser ou les tolérer.

2.         Les États agissent au niveau national, régional et en coopération avec l'Organisation des Nations Unies pour contribuer par tous les moyens à prévenir et à éliminer les disparitions forcées.

Article 3

Tout État prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour prévenir ou éliminer les actes de disparitions forcées, sur tout territoire relevant de sa juridiction.

Article 4

1.         Tout acte de disparition forcée est un crime passible de peines appropriées qui prennent en considération son extrême gravité au regard de la loi pénale.

2.         Les législations nationales pourront reconnaître des circonstances atténuantes à celui qui, ayant pris part aux actes constituant une disparition forcée, aura favorisé la réapparition de la victime en vie ou aura volontairement donné des informations permettant de clarifier des cas de disparition forcée.

Article 5

Outre les sanctions pénales applicables, les disparitions forcées devront engager la responsabilité civile de leurs auteurs, la responsabilité civile de l'État ou des autorités de l'État qui ont organisé, consenti ou toléré de telles disparitions, sans préjudice de la responsabilité internationale de cet État conformément aux principes du droit international.

Article 6

1.         Aucun ordre ou instruction d'une autorité publique, civile, militaire ou autre, ne peut être invoqué pour justifier une disparition forcée. Toute personne recevant un tel ordre ou une telle instruction a le devoir et le droit de ne pas s'y conformer.

2.         Tout État veille à ce que les ordres ou instructions réglant, autorisant ou encourageant une disparition forcée soient prohibés.

3.         La formation des agents chargés de l'application des lois doit bien mettre l'accent sur les dispositions ci-dessus.

Article 7

Aucune circonstance, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse d'une menace de guerre, d'un état de guerre, d'instabilité politique intérieure ou de tout autre état d'exception, ne peut être invoquée pour justifier des disparitions forcées.

Article 8

1.         Aucun État n'expulse, ne refoule, ni n'extrade une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être victime d'une disparition forcée.

2.         Pour déterminer s'il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l'existence, dans l'État intéressé, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme graves, flagrantes ou massives.

Article 9

1.         Le droit à un recours judiciaire rapice et efficace, comme moyen de déterminer l'endroit où se trouvent les personnes privées de liberté ou leur état de santé et/ou d'identifier l'autorité qui a ordonné la privation de liberté ou y a procédé, est nécessaire pour prévenir les disparitions forcées, en toutes circonstances, y compris celles visées par l'article 7.

2.         Dans le cadre de ce recours, les autorités compétentes nationales ont accès à toutes les parties des lieux où sont détenues des personnes privées de liberté ainsi que de tout autre lieu où il y a des raisons de croire que les personnes disparues peuvent se trouver.

3.         Toute autre autorité compétente habilitée par la législation de l'État ou par tout autre instrument juridique international auquel cet État est partie a également accès à de tels lieux.

Article 10

1.         Toute personne privée de liberté doit être gardée dans des lieux de détention officiellement reconnus et, conformément à la législation nationale, déférée peu après l'arrestation à une autorité judiciaire.

2.         Des informations exactes sur la mise en détention de personnes et le ou les lieux où elle s'effectue, y compris les lieux de transfèrement, sont rapidement mises à la disposition des membres de leur famille, de leur avocat ou de toute personne légitimement fondée à connaître ces informations sauf volonté contraire manifestée par les personnes mises en détention.

3.         Un registre officiel de toutes les personnes privées de liberté doit être tenu à jour dans tout lieu de détention. En outre, tout État prendra des mesures pour tenir des registres centralisés analogues. Les informations figurant sur ces registres sont tenues à la disposition des personnes mentionnées au paragraphe précédent, de toute autorité judiciaire ou autre autorité nationale compétente et indépendante ainsi que de toute autre autorité compétente habilitée par la législation nationale ou par tout instrument juridique international auquel l'État concerné est partie, désireuses de connaître l'endroit où se trouve une personne détenue.

Article 11

Toute personne privée de liberté doit être libérée selon des modalités qui permettent de vérifier avec certitude qu'elle a été effectivement relâchée et, en outre, qu'elle l'a été dans des conditions telles que son intégrité physique et sa faculté d'exercer pleinement ses droits sont assurées.

Article 12

1.         Tout État établit dans sa législation nationale des règles permettant de désigner les agents du gouvernement habilités à ordonner les privations de liberté, fixant les conditions dans lesquelles de tels ordres peuvent être donnés et prévoyant les peines qu'encourent les agents du gouvernement qui refusent sans fondement légal de fournir des informations sur une privation de liberté.

2.         Tout État veille de même à ce que soit assuré un contrôle strict, comprenant notamment une détermination précise des responsabilités hiérarchiques, sur tous les responsables des appréhensions, arrestations, détentions, gardes à vue, transferts et emprisonnements, ainsi que sur les autres agents du gouvernement habilités par la loi à user de la force et d'armes à feu.

Article 13

1.         Tout État assure à toute personne disposant d'informations ou ayant un intérêt légitime et prétendant qu'une personne a fait l'objet d'une disparition forcée le droit de dénoncer les faits devant une autorité compétente et indépendante dans le cadre de l'État, qui procède immédiatement et impartialement à une enquête approfondie. Chaque fois qu'il existe des raisons de croire qu'une personne a été l'objet d'une disparition forcée, l'État défère sans délai l'affaire à ladite autorité pour qu'elle ouvre une enquête, même si aucune plainte formelle n'a été déposée. Cette enquête ne saurait être restreinte ou entravée par quelque mesure que ce soit.

2.         Tout État veille à ce que l'autorité compétente dispose du pouvoir et des ressources nécessaires pour mener l'enquête à bien, y compris le pouvoir nécessaire pour exiger la comparution des témoins et la production des pièces pertinentes ainsi que pour procéder immédiatement à des visites sur les lieux.

3.         Des dispositions sont prises pour que tous ceux qui participent à l'enquête, y compris le plaignant, l'avocat, les témoins et ceux qui mènent l'enquête, soient protégés contre tout mauvais traitement et tout acte d'intimidation ou de représailles.

4.         Les résultats de l'enquête sont communiqués, sur demande, à toutes les personnes concernées à moins que cela ne compromette une instruction en cours.

5.         Des dispositions sont prises pour garantir que tout mauvais traitement, tout acte d'intimidation ou de représailles ainsi que toute autre forme d'interférence à l'occasion du dépôt d'une plainte ou de la procédure d'enquête soient sanctionnés comme il convient.

6.         Une enquête, selon les modalités décrites ci-dessus, doit pouvoir être menée tant que le sort de la victime d'une disparition forcée n'a pas été clarifié.

Article 14

Les auteurs présumés d'actes de disparition forcée dans un État doivent être déférés aux autorités civiles compétentes de cet État afin d'y être poursuivis et jugés, lorsque les conclusions d'une enquête officielle le justifient, à moins qu'un autre État n'ait demandé qu'ils soient extradés conformément aux accords internationaux en vigueur en ce domaine. Tous les États devraient prendre les mesures légales et appropriées à leur disposition afin que tout auteur présumé d'un acte de disparition forcée, relevant de leur juridiction ou de leur contrôle, fasse l'objet d'une décision de justice.

Article 15

Le fait qu'il y ait des raisons sérieuses de croire qu'une personne ait pris part à des actes de nature extrêmement grave mentionnés à l'article 4.1, quels qu'en soient les motifs, doit être pris en compte lorsque les autorités compétentes de l'État décident ou non d'accorder l'asile.

Article 16

1.         Les auteurs présumés de l'un quelconque des actes visés à l'article 4.1 sont relevés de toute fonction officielle pendant l'enquête visée à l'article 13.

2.         Ils ne pourront être jugés que par les juridictions de droit commun compétentes, dans chaque État, à l'exclusion de toute autre juridiction spéciale, notamment militaire.

3.         Il n'est admis ni privilèges, ni immunités, ni dispenses spéciales dans de tels procès sans préjudices des dispositions contenues dans la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.

4.         Les auteurs présumés de tels actes doivent bénéficier de la garantie d'un traitement équitable conformément aux dispositions pertinentes contenues dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans tout autre instrument international en vigueur en ce domaine, à toutes les étapes de l'enquête ainsi que des poursuites et du jugement dont ils pourraient faire l'objet.

Article 17

1.         Tout acte de disparition forcée est considéré comme un crime continu, aussi longtemps que ses auteurs continuent à dissimuler le sort et le lieu de la personne disparue et que ces faits ne sont pas clarifiés.

2.         Lorsque les recours utiles prévus à l'article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne sont plus effectifs, la prescription relative à des actes de disparition forcée est suspendue jusqu'au rétablissement de ces recours.

3.         S'il y a prescription, la prescription relative à des actes de disparition forcée doit être longue et proportionnée à l'extrême gravité du crime.

Article 18

1.         Les auteurs ou les auteurs présumés d'actes visés à l'article 4.1 ne bénéficient d'aucune loi d'amnistie spéciale ou autres mesures analogues qui auraient pour effet de les exonérer de toute poursuite ou sanction pénale.

2.         Dans l'exercice du droit de grâce, l'extrême gravité des actes de disparition forcée doit être prise en compte.

Article 19

Les victimes d'actes de disparition forcée et leurs familles doivent obtenir réparation et ont le droit d'être indemnisées de manière adéquate, y compris en bénéficiant des moyens qui leur assurent une réadaptation aussi complète que possible. En cas de décès de la victime à la suite de sa disparition forcée, sa famille a également droit à indemnisation.

Article 20

1.         Les États préviennent et répriment l'enlèvement d'enfants de parents victimes d'une disparition forcée ou d'enfants nés pendans que leurs mères étaient victimes d'une disparition forcée, et s'emploient à rechercher et identifier ces enfants et à les restituer à leur famille d'origine.

2.         Compte tenu de la nécessité de préserver l'intérêt supérieur des enfants visés au paragraphe précédent, il doit être possible, dans les États qui reconnaissent le système de l'adoption, de procéder à l'adoption de ces enfants et, en particulier, d'annuler toute adoption qui trouve son origine dans une disparition forcée. Une telle adoption devrait toutefois maintenir ses effets si les parents les plus proches de l'enfant donnent leur consentement au moment de l'examen de la question susmentionnée.

3.         L'enlèvement d'enfants de parents victimes de disparition forcée ou d'enfants nés pendant que leurs mères étaient victimes d'une disparition forcée, ainsi que le fait de falsifier ou de supprimer des documents attestant de leur véritable identité, constituent un crime d'une nature extrêmement grave qui doit être sanctionné comme tel.

4.         À cette fin, les États concluent, selon qu'il convient, des accords bilatéraux ou multilatéraux.

Article 21

Les dispositions de la présente Déclaration sont sans préjudice des dispositions énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme ou dans tout autre instrument international, et ne peuvent être interprétées comme constituant une restriction ou une dérogation à l'une quelconque de ces dispositions.

Principes de base des Nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions (Résolution 1989/65 de l'Ecosoc), qui disposent :

Article 9 : ...L'enquête aura pour objet de déterminer la cause, les circonstances et le jour et l'heure du décès, le responsables et toute pratique pouvant avoir entraîné le décès."

Article 18 : Les pouvoirs publics veilleront à ce que les personnes dont l'enquête aura révélé qu'elles ont participé à des exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires sur tout territoire tombant sous leur juridiction soient traduites en justice. Les pouvoirs publics pourront soit traduire ces personnes en justice, soit favoriser leur extradition vers d'autres pays désireux d'exercer leur juridiction. Ce principe s'appliquera quels que soient et où que soient les auteurs du crime ou les victimes, quelle que soit leur nationalité et quel que soit le lieu où le crime a été commis.

Article 19 : ...En aucun cas, y compris en état de guerre, état de siège ou autre état d'urgence, une immunité générale ne pourra exempter de poursuites toute personne présumée impliquée dans des exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires.

Mars 1996

AI: AMR 21/01/96



[1] En vertu de la loi chilienne, il est possible de mettre un dossier en sommeil (sobreseer temporalmante), ce qui signifie que la procédure est suspendue mais peut être réactivée sur décision du tribunal, ou de le clore définitivement (sobreseer definitivamente). Un dossier clos définitivement ne peut être rouvert.

[2] De fait, les tribunaux argentins ont réagi rapidement et, avant mars 1987, quelque 300 membres de la police et des forces armées avaient reçu de nouvelles citations lancées par des cours d'appel sur l'ensemble du territoire national. À la suite d'une série de révoltes militaires, une autre loi, intitulée Ley de obediencia debida (Loi sur le devoir d'obéissance), tendant elle aussi à limiter les poursuites pour violation des droits de l'homme, a été adoptée en juin 1987. En vertu de ce texte, toute personne d'un grade inférieur à celui de colonel est automatiquement présumée innocente au motif qu'elle n'a fait qu'obéir aux ordres de ses supérieurs, et les poursuites engagées contre elle sont abandonnées. En 1989 et en 1990, le président Menem a gracié un certain nombre d'individus condamnés ou en attente de jugement pour violations des droits de l'homme. En avril 1995, le Comité des droits de l'homme des Nations unies a noté que « la loi du point final et la loi sur le devoir d'obéissance privent les victimes de violations des droits de l'homme commises pendant la période de la dictature d'un recours utile, en violation des articles 2 (2, 3) et 9 (5) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité fait part de sa crainte que les mesures de gr‰ce et d'amnistie générale ne favorisent l'instauration d'un climat d'impunité en faveur des auteurs de violations des droits de l'homme appartenant aux forces de sécurité. Le Comité affirme sa conviction que le respect des droits de l'homme peut se trouver affaibli si l'on permet aux auteurs de violations des droits de l'homme de bénéficier de l'impunité » (traduction non officielle) .

[3] En octobre 1992, la Commission interaméricaine des droits de l'homme a adopté deux résolutions en rapport avec des lois qui, en Uruguay et en Argentine, exemptaient de poursuites les auteurs de violations des droits de l'homme. C'est en réponse à plusieurs requêtes que la Commission a exprimé son opinion sur la Ley de Caducidad (Loi de caducité), adoptée en Uruguay en décembre 1986, et, en ce qui concerne l'Argentine, sur la Ley de Punto Final (Loi du point final), de décembre 1986, la Ley de Obedencia Debida (Loi sur le devoir d'obéissance), de juin 1987, et les gr‰ces présidentielles de 1989 et de 1990. Elle a estimé qu'en promulguant ces textes, l'Uruguay et l'Argentine avaient méconnu le droit à la protection judiciaire et le droit à un jugement équitable, tous deux garantis par la Convention américaine relative aux droits de l'homme (respectivement par l'article 25 et par l'article 8). Elle a souligné que ces lois avaient été adoptées après l'entrée en vigueur de la Convention, aussi bien en Argentine (1984) qu'en Uruguay (1985). Enfin, dans l'une et l'autre des résolutions, la Commission citait les extraits suivants des considérants d'un arrêt rendu par la Cour interaméricaine des droits de l'homme le 29 juillet 1989 dans l'affaire Velásquez Rodriguez, du Honduras : « L'État est juridiquement tenu de prendre des mesures raisonnables pour empêcher les violations des droits de l'homme et d'enquêter sérieusement, avec les moyens dont il dispose, sur les violations commises sur le territoire de sa juridiction, afin d'identifier les responsables, de les punir de manière appropriée et d'assurer à la victime une réparation adéquateÉ Si l'appareil de l'État se comporte de telle manière que la violation demeure impunie et que la victime n'est pas rétablie aussitôt que possible dans la plénitude de ses droits, on peut affirmer qu'il n'a pas accompli le devoir qui est le sien de garantir aux personnes qui se trouvent sous sa juridiction le libre et entier exercice de leurs droits » .

[4] Avant de quitter ses fonctions en 1990, le président Pinochet a nommé neuf sénateurs (senadores designados), avec des mandats devant prendre fin le 10 mars 1998. Un de ces sénateurs étant décédé, ils sont aujourd'hui au nombre de huit et s'allient avec les sénateurs représentant les partis d'opposition pour faire obstacle aux initiatives législatives du gouvernement civil, comme celle qui, en 1991, visait à l'abolition de la peine de mort.

[5] voir page 25.

[6]* Principe analogue à celui de l'habeas corpus, qui peut être invoqué en cas de détention arbitraire (par le détenu, ou par son avocat ou sa famille lorsqu'il s'agit d'une personne "disparue"). Un recours en amparo peut également être présenté par quiconque s'estime menacé d'arrestation ou d'expulsion.

[7] Par allusion à la coiffure portée par le personnel de l'armée : la boina (béret).

[8] Voir aussi Le cas de Carmelo Soria, employé des Nations unies (index AI : AMR 22/05/95).

[9] Voir annexe 1 : Liste des affaires pendantes devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme.

[10] Les conventions internationales suivantes ont été ratifiées par le Chili et publiées au journal officiel aux dates indiquées ci-après : Convention des Nations unies contre la torture : 26 novembre 1988 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques : 29 avril 1989 ; Convention américaine relative aux droits de l'homme : 5 janvier 1991.

[11] Voir les documents d'Amnesty International : AMR 22/23/78, AMR 22/78/86, AMR 33/83/86, AMR 22/WU 05/86, AMR 22/05/87, AMR 22/01/88, AMR 22/WU 02/89, AMR 22/03/90, AMR 22/WU 01/90, AMR 22/07/90, AMR 22/10/90, AMR 22/01/91, AMR 22/02/92, AMR 22/06/92, AMR 22/09/92, AMR 22/17/92, AMR 22/12/92, AMR 22/15/93, AMR 22/05/95.

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