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L'avenir de la democratie

Publisher Canada: Immigration and Refugee Board of Canada
Author Research, Directorate Immigration and Refugee Board, Canada
Publication Date 1 July 1991
Cite as Canada: Immigration and Refugee Board of Canada, L'avenir de la democratie, 1 July 1991, available at: https://www.refworld.org/docid/3ae6a8324.html [accessed 7 June 2023]
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1.   INTRODUCTION

Au lendemain de la chute du régime militaire, la plupart des Argentins ayant perdu des membres de leur famille et des amis entre 1975 et 1983, lors de la « Sale guerre », ont cru qu'avec le retour de la démocratie, le temps était venu pour les militaires de rendre des comptes. Cependant, ces derniers étaient peu disposés à reconnaître leurs méfaits et, encore aujourd'hui, ils justifient leurs gestes en insistant sur le fait qu' « ils ont défendu la nation contre la subversion » (Latin American Regional Reports : Southern Cone Report 7 févr. 1991).

Peu de temps après son investiture à la présidence en décembre 1983, Raúl Alfonsín, chef de l'Unión Cívica Radical (URC), a mis sur pied la « Commission nationale sur les personnes disparues » (CONADEP) qui avait pour mandat d'enquêter sur le sort et les allées et venues des personnes portées disparues (Americas Watch 1991, 14). Dans son rapport du mois de septembre 1984, la CONADEP a publié une liste de 8 960 personnes portées disparues (desaparecidos) sous les régimes militaires qui se sont succédé de 1976 à 1983. La CONADEP a précisé dans son rapport que son estimation du nombre des victimes était effectivement plus élevée, mais comme de nombreuses familles n'avaient pas fourni d'information sur les disparitions, elle ne pouvait être corroborée par des preuves documentaires (Ibid., 17).

Alfonsín devait accomplir deux tâches dont les objectifs étaient liés de manière intrinsèque. En premier lieu, il devait ramener la stabilité politique et économique dans le but de maintenir, mais aussi de promouvoir la démocratie. En second lieu, il devait amener ceux qui se seraient livrés à des violations des droits de la personne à répondre de leurs actes.

2.     LES VIOLATEURS DES DROITS DE LA PERSONNE SOUS LE REGIME MILITAIRE

2.1                Les lois du Punto final et de l'Obediencia Debida

Trois jours après son assermentation, le président Alfonsín, élu après avoir mené une campagne axée sur les droits de la personne, a fait la une des médias du monde entier lorsqu'il a demandé qu'on soumette à des enquêtes et qu'on traduise en justice ceux qui « auraient été directement ou indirectement les auteurs, les instigateurs ou les instruments des violations des droits de la personne perpétrées de 1976 à 1983 » (Human Rights Quarterly févr. 1990, 20). Ces mesures ont abouti à l'inculpation et à la condamnation de cinq ex-commandants en chef, dont deux anciens présidents, ainsi qu'à la formulation de 1 700 mises en accusation contre moins de « 500 membres du personnel militaire et des forces de sécurité qui, par les ordres qu'ils ont donnés et par leur participation directe, ont été impliqué dans les enlèvements, les assassinats, les séances de torture et les autres crimes commis dans le cadre de la "guerre contre la subversion" » (Ibid., 18, 20).

Alfonsín a aussi présenté des « projets de loi qui condamnerait à des peines plus sévères les personnes reconnues coupables de torture et criminaliserait toute prise de contrôle du gouvernement par les armes ». Il a facilité et a rendu obligatoire les poursuites contre les organisateurs de rébellions et des coups d'état militaires (Americas Watch 1991, 13).

Pendant que la tension montait au sein de l'armée, Alfonsín a présenté au Congrès deux projets de loi successifs dont la portée serait considérable. Le 22 décembre 1986, la Loi nø 23492, c'est-à-dire la Loi du Punto Final (Point final), est entrée en vigueur. Cette loi dispose qu' « aucune nouvelle plainte incriminable ne peut être portée contre quiconque pour des crimes commis durant la guerre contre la subversion, et ce, après l'expiration d'un délai de 60 jours suivant son entrée en vigueur » (Americas Watch 1991, 48). La loi disposait également que toutes les plaintes antérieures « seraient jugées discutables à moins que les tribunaux aient entendu ou auraient tenté d'entendre le témoignage des accusés » (Ibid.). Au moment de l'échéance du 22 février 1987, environ 300 plaintes avaient été enregistrées (Human Rights Quarterly févr. 1990, 25). Ideler Tonelli, le sous-secrétaire à la Justice de l'époque, a déclaré qu'en vertu de la loi du Punto Final, « les personnes qui n'avaient pas été inculpées après le 22 février 1987 étaient "innocentes pour toujours" » (Americas Watch 1991, 49).

La loi ne couvrait pas cependant le vol et l'adoption illicite des enfants des disparus. Selon la CONADEP, près de 180 enfants étaient toujours portés manquants en 1991. Certains d'entre eux ont été arrachés des bras de leurs mères et ont par la suite été adoptés ou vendus par leurs ravisseurs (Ibid., 43, 44).

Les chefs de file de l'UCR, le parti de M. Alfonsín, n'ont pas accueilli avec enthousiasme la loi du Punto Final, mais la plupart d'entre eux se sont laissé convaincre de la défendre. « Si le président Alfonsín continuait à insister qu'il n'avait cédé à la moindre pression des militaires, il n'en reste pas moins que la nécessité de préserver la démocratie a été la raison d'état invoquée comme argument final en faveur de son adoption » (Ibid., 47).

L'échéance du Punto Final, sans doute fixée pour réduire les tensions entre le gouvernement et les militaires, n'a pas eu l'effet désiré. Un groupe de soldats, dirigé par le lieutenant-colonel Aldo Rico, s'est mutiné en 1987, durant la Semaine sainte. Les soldats rebelles se sont emparé de la caserne militaire de Cordoba, réclamant une amnistie générale pour tous ceux qui ont fait l'objet d'accusations et le licenciement de tous les généraux en service (Human Rights Quarterly févr. 1990, 26). Bien qu'aucune amnestie n'ait été accordée, le commandant en chef des forces armées a été démis de ses fonctions et la majorité des généraux ont été mis à la retraite (Americas Watch 1991, 50).

A la suite de cette rébellion, communément appelée la révolte de la Semaine sainte (Semana Santa), le gouvernement a déposé la Loi nø 23521, ou la Loi de l'Obediencia Debida (Loi sur le devoir d'obéissance), qui a été promulguée le 5 juin 1987 (Ibid.)

La loi sur le devoir d'obéissance crée la présomption en vertu de laquelle les officiers de rang inférieur et intermédiaire dans l'échelle hiérarchique, ainsi que la plupart de officiers haut gradés, auraient agi sous la contrainte, obéissant à des ordres venus des échelons supérieurs et, compte tenu de ces circonstances, ils ne devraient pas être poursuivis pour abus des droits de la personne (Human Rights Quarterly févr. 1991, 27).

La loi protégeait l'ensemble du personnel militaire sauf ceux « qui occupaient les fonctions de chefs des zones ou des sous-zones de sécurité, où de chefs des force de sécurité, comme le corps policier d'une province ou la police fédérale » (Americas Watch 1991, 51).

Les crimes répertoriés dans la Loi sur le devoir d'obéissance incluent la torture, le meurtre, les arrestations arbitraires et la fausse représentation (Human Rights Quarterly févr. 1990, 28). Toutefois, selon l'article 2 de la loi, l'argument du « devoir d'obéissance » ne s'appliquait pas aux crimes de viol, de vol, d'enlèvement de personnes mineures, de falsification de l'état civil des mineurs, ni aux personnes tenues responsables d'avoir donné les enfants des personnes disparues à d'autres familles (Ibid.). Bien que ces crimes aient été « commis à plusieurs reprises, [ils] n'ont pas été considérés comme des actes exécutés sur les ordres du haut commandement, comme dans le cas de la torture, du meurtre et des « arrestations illégales » (Americas Watch 1991, 44). La conséquence directe de cette loi a été la suivante : « sur les quelques 370 membres du personnel des forces armées appelés à comparaître devant les tribunaux pour des délits relatifs aux droits de la personne, seulement 30 à 50 d'entre eux pouvaient s'attendre à répondre à des accusations » (South America, Central America and the Caribbean 1991 1990, 54).

2.2          Les pardons présidentiels de Menem

L'investiture à la présidence du péroniste Carlos Saúl Menem, du Partido justicialista (Parti justicialiste), a marqué un nouveau jalon dans l'histoire récente de l'Argentine : pour la première fois depuis 1928, un président élu a succédé démocratiquement à un autre sans l'intervention des militaires (Ibid.). En tant qu'ancien leader de l'opposition, Menem a sévèrement critiqué les lois du Punto Final et de l'Obediencia Debida, insistant sur le fait que les personnes qui ont porté atteinte aux droits de la personne devaient en assumer la totale responsabilité (Americas Watch 1991, 65).

Cependant, une fois Menem au pouvoir, les critiques formulées antérieurement à l'endroit d'Alfonsín ont à peine dépassé le stade de la rhétorique. Menem a effectivement mis fin au processus imputant aux violateurs des droits de la personne la pleine responsabilité de leurs actes « en accordant des pardons présidentiels à tous ceux qui faisaient face à des poursuites judiciaires ou à des inculpations demeurées en suspens depuis l'adoption des Lois du Punto Final et de l'Obediencia Debida » (Ibid.). La première série de pardons a été accordée le 6 octobre 1989. Les décrets 1002 et 1003 accordaient le pardon à 103 personnes parmi lesquelles figuraient 39 « officiers au rang de général et d'amiral attendant leur procès pour de prétendus crimes contre les droits de la personne » (Amnesty International, AI Index: AMR 13/05/90, 8). Le décret 1002 n'excluait pas les hauts responsables déjà inculpés, mais s'appliquait à « toute autre enquête ou poursuite judiciaire impliquant au moins 30 officiers de haut rang qui n'étaient pas couverts par les lois antérieures » (Americas Watch 1991, 65).

Le 29 décembre 1990, au nom de la « réconciliation nationale » et dans le dessein de « tourner la page », le président Menem a accordé 12 pardons. Parmi les personnes graciées figuraient les anciens présidents Videla et Viola, de même que six autres chefs militaires inculpés de violations des droits de la personne, dont le colonel Ramón Camps, tenu responsable de « 214 enlèvements à des fins d'extorsion, 120 cas de torture, 32 homicides, 2 viols, deux avortements provoqués par la torture, 18 vols et l'enlèvement de 10 personnes mineures qui n'ont jamais été revues » (The New York Times 5 janv. 1991, 21; Latin American Regional Reports: Southern Cone Report 7 févr. 1991, 1). Cet effort de « pacification » n'a fait qu'indisposer les leaders de l'opposition, les organismes de défense des droits de la personne et des dizaines de milliers d'Argentins qui ont organisé de nombreux rassemblements de protestation partout dans le pays. Les généraux pardonnés n'ont manifesté aucun repentir et exigeaient rien de moins des autorités qu'elles « reconnaissent le bien-fondé de leurs actes » (Latin American Regional Reports: Southern Cone Report 7 févr. 1991, 1).

Ceux qui se sont ouvertement opposés aux militaires au cours de la « Sale guerre » étaient habituellement éliminés et devaient chercher refuge à l'étranger. Avec le retour de la démocratie, de nombreux Argentins sont rentrés au pays et ont témoigné contre les militaires, croyant qu'ils pouvaient compter sur l'indépendance de l'appareil judiciaire. Ce ne fut pas toujours le cas. Graciela Daleo, qui a survécu à l'internement dans un camp de concentration géré par la marine, a témoigné contre ses tortionnaires à son retour d'exil. Toutefois, « à chaque nouveau témoignage, de nouveaux chefs d'accusations étaient portés contre elle pour des crimes qu'elle aurait commis au cours des années soixante-dix ... » (Americas Watch 1991, 66, 67). Daleo a obtenu un pardon en octobre 1989 mais, innocente de tout crime, elle s'y est opposé pour le principe et a réclamé son innocence. La Cour suprême a rejeté sa requête et, en novembre 1990, a ordonné que de nouveaux chefs d'accusations soient portés contre elle.

En raison de la tournure prise par les événements, ceux qui ont été les instigateurs des disparitions et des exécutions massives de cet épisode récent de l'histoire de l'Argentine sont aujourd'hui en liberté, et l'observateur de la situation des droits de l'homme est la seule personne qui doit maintenant faire face à des poursuites judiciaires (Ibid.).

Plusieurs sont demeurés perplexes devant l'inconstance de Menem face à l'armée. A la suite d'une mutinerie survenue au début de décembre 1990, Menem a réclamé l'application de mesures punitives sévères, incluant la peine de mort, contre certains des 15 instigateurs militaires et des 500 supporteurs qui ont manigancé cette insurrection. Plusieurs n'ont pu s'empêcher de noter que c'était le même président qui, plus tôt dans son mandat, avait amnistié « les personnes responsables du coup d'état militaire de 1976 "et le meurtre de milliers de personnes" » (Latin American Regional Reports: Southern Cone Report 27 déc. 1990, 3). Toutefois, Menem a répondu qu'« on doit se tourner vers l'avenir et ne pas comparer les événements récents avec ceux qui se sont déroulés il y a 14 ans » (Ibid.).

3.    SITUATION ACTUELLE

3.0                Introduction

La libéralisation politique de l'Argentine n'a pas été accompagnée d'un développement économique soutenu. Les tendances à la hausse et à la baisse de l'économie sont régulièrement signalées par des indicateurs économiques divers, et notamment par les indices des prix à la consommation (IPC) auxquels on a fréquemment recours. Selon le Fonds monétaire international (FMI), les indices des prix à la consommation sont les baromètres de l'inflation les plus utilisés et reflètent les changements intervenus dans le coût que doit assumer le consommateur moyen pour l'achat d'un « panier » de provisions et de services (Bureau of Statistics of the International Monetary Fund nov. 1990, 13). Les données du FMI montrent que de 1985 à 1989, l'IPC s'est accru de 619.3 p. 100 en Argentine et de 854.1 p. 100 de 1989 jusqu'au premier trimestre de 1990 (Bureau of Statistics of the International Monetary Fund déc. 1990, 95).

Les Argentins eux-mêmes croient que la pauvreté extrême qui se répand graduellement dans toutes les régions, y compris la capitale, est à l'origine de la hausse récente de la violence parce que « les gens doivent recourir au vol pour se nourrir » (The New York Times 16 juill. 1990, A3). En juillet 1990, neuf millions des 30 millions d'Argentins vivaient, selon des estimations, au dessous du seuil de pauvreté (The Sunday Times 8 juill. 1990). Confrontés à une pauvreté grandissante attribuée surtout à l'effondrement de l'appareil gouvernemental, et à la hausse systématique de la criminalité des dernières années, les Argentins ont de moins en moins confiance dans leur système judiciaire.

3.1                Indépendance du système judiciaire

Au moment où l'on observe que, pour la période de 1985 à 1989, le nombre de crimes recensés a presque triplé dans la seule province de Buenos Aires, et que, sur 100 arrestations, il n'y a que 2,6 mises en accusation, le système judiciaire doit faire face à une ingérence croissante, directe et indirecte, du gouvernement (The Los Angeles Times 9 sept. 1990).

3.1.1         Les pardons dissimulés

Le 21 février 1991, le président Menem a fait usage de son droit de grâce présidentiel pour pardonner 20 criminels de droit commun accusés de crimes d'homicide, de viol, d'extorsion et de vol à main armée (Latin America Weekly Report 7 mars 1991, 10). Les gestes posés par Menem, quoique légaux sur le plan constitutionnel, ont donné lieu à de sévères critiques. Selon le congressiste de droite Francisco Duranona, les actes de Menem constituaient encore « un autre exemple de l'ingérence de l'Exécutif dans les champs de compétence du Judiciaire » (Reuters 22 févr. 1991). La tempête de protestation qu'ils ont provoquée a forcé le président Menem à accepter la démission du sous-secrétaire à la Justice, M. César Arias, et le secrétaire juridique et technique, M. Raúl Granillo Ocampo (Ibid.).

Le président Menem a également compromis l'indépendance de la Cour suprême en portant de cinq à neuf le nombre de ses juges et en nommant la majorité d'entre eux (Americas Watch 1991, 83). Selon des hauts responsables, cette mesure était nécessaire parce que « le gouvernement argentin ne pouvait fonctionner sans la présence d'une Cour suprême déjà acquise à ses principes et à ses politiques » (Ibid.).

3.1.2              Les abus des forces policières : le cas Patti

Bien que, selon Americas Watch, le calibre professionnel de la police argentine soit supérieur à celui des autres corps policiers d'Amérique latine, on croit généralement qu'elle ne serait plus en mesure d'offrir une protection adéquate (The New York Times 16 juill. 1990). En juillet 1990, « les sondages d'opinion ont révélé que 20 p. 100 des Argentins ne signaleraient aucun crime parce qu'ils ne croyaient pas que les autorités allaient y donner suite » (The Sunday Times 8 juill. 1990).

Le cas de l'officier supérieur de police Luis Patti peut expliquer en partie cette méfiance. Patti a été inculpé en septembre 1990 sous des chefs d'accusation relatifs à la torture de deux criminels de droit commun. Peu de temps après, les citoyens de Pilar ont manifesté en faveur de Patti, tandis que le maire de cette municipalité, le gouverneur de Buenos Aires, et le président Menem « ont tous exprimé leur haute considération à l'égard de cet officier "efficace" » (Americas Watch 1991, 81). De plus, le juge chargé de la poursuite, Raúl Borrino, et sa famille ont régulièrement fait l'objet de menaces. Le cas a finalement été déféré à une autre cour et les accusations ont été retirées, suscitant chez certains la crainte que « d'autres policiers pourraient par le fait même être incités à abuser des prisonniers et que d'autres juges y regarderaient à deux fois avant d'enquêter sur des plaintes de ce genre » (Ibid.).

Le directeur exécutif d'Americas Watch, un spécialiste du système judiciaire argentin, a corroboré les témoignages selon lesquels l'extorsion d'aveux aux détenus sous la torture est monnaie courante en Argentine. Selon lui, les données statistiques sur les décès occasionnés en garde à vue ont atteint un niveau alarmant, l'une des raisons étant l'impunité presque complète dont jouissent les policiers. Cependant, d'ajouter le directeur exécutif, les abus ne seraient pas commis sur les instructions du gouvernement. La tolérance envers les abus s'expliquerait plutôt par le fait que les gens qui devraient prévenir ces abus n'ont fait que fermer les yeux. Il a aussi ajouté que dans les zones de pauvreté, où sévit la criminalité, les forces policières ont tendance à recourir à des moyens meurtriers et à prétendre par la suite que les personnes tuées ont été abattues au cours de confrontations (Americas Watch 30 mai 1991). Cette information n'a pu être corroborée par les autres sources actuellement disponibles au Centre de documentation de la CISR.

3.1.3  Menaces et agressions contre des représentants du système judiciaire

Une autre raison qui explique la désaffection du public à l'endroit du système judiciaire réside dans le fait que les juges, les avocats et les procureurs ne sont pas à l'abri des menaces et de la violence. Ceux qui instruisent les poursuites contre les auteurs des violations des droits de la personne et des abus policiers sont particulièrement visés. Selon le Lawyers Committee for Human Rights, l'intimidation et les menaces contre les membres de la profession sont monnaie courante en Argentine. En mai 1990, dans la ville de Salta, le cabinet du juge Ricardo Anuch a été saccagé. Chargé d'une enquête criminelle qui aurait pu mettre au jour l'implication de hauts responsables provinciaux, le juge aurait reçu de nombreuses menaces de mort par téléphone (Lawyers Committee for Human Rights 1991, 27, 28).

Autre exemple d'intimidation : les menaces de mort proférées par le Comando de Interfuerzos Policiales Argentinas contre les juges Juan Ramón Makintach, Alberto Durna et Raúl Borrino, tous impliqués dans le cas Patti. « Le "Comando" est perçu comme une "police parallèle" parce qu'il agit avec la complicité de la police qui, au strict minimum, ferme les yeux sur les gestes qu'il pose ou, au pire, y participe directement » (Ibid.). Le ministère de l'Intérieur a nié catégoriquement l'existence de « polices parallèles », mais un haut responsable « a reconnu que certains représentants de la police seraient impliqués dans des cas d'intimidation » (Ibid.). Le directeur exécutif d'Americas Watch, tout en admettant que les forces policières parallèles ont été très actives au cours des années soixante-dix, a affirmé qu'il n'était pas au courant de la reprise de leurs activités (Americas Watch 30 mai 1991).

3.1.4          La corruption dans le système judiciaire

Le système judiciaire a quant à lui été récemment secoué par une série de scandales reliés à la corruption. La corruption se retrouve partout en Argentine et son incidence sur le système judiciaire n'est pas négligeable. Le gouvernement Menem en reconnaît la portée et, le 7 janvier 1991, il a déclaré « l'état d'urgence judiciaire » et a suspendu les causes judiciaires impliquant l'état pour une période de 120 jours, afin de contenir la corruption généralisée. Selon Raúl Granillo Ocampo, le secrétaire technique et juridique de Menem à l'époque, des juges, des avocats, des témoins-experts et des plaignants sont apparemment de connivence dans des conspirations visant à frauder l'état et les sociétés d'état (Latin American Weekly Report 24 janv. 1991, 2). Au cours des dix dernières années, l'état a perdu 240 000 causes et, en janvier 1991, les sociétés d'état devaient faire face à 60 000 poursuites qui, « si elles s'avéraient fondées, pourraient leur coûter des sommes qui risquent de s'élever à 10 milliards de dollars U.S » (Ibid.). Comme le système judiciaire est miné par la corruption et alourdi par l'ingérence gouvernementale, son indépendance semble compromise. En conséquence, les chances d'obtenir un procès équitable en Argentine semblent minces.

4.                PERSPECTIVES D'AVENIR

Malgré les recours aux pardons pour maintenir la stabilité politique en 1989 et 1990, l'Argentine demeure confrontée à la hausse des taux de criminalité, à la détérioration de son économie, à l'influence grandissante des militaires et aux scandales de corruption qui minent les institutions gouvernementales et l'appareil judiciaire. Ces facteurs pourraient rendre encore plus précaire la stabilité politique occasionnée par les pardons, stabilité pourtant indispensable à toute démocratie viable.

D'autre part, le directeur exécutif d'Americas Watch, pourtant bien au fait des problèmes décrits dans ce document, croit que le système judiciaire argentin est le plus efficace de la région. Il estime également que les forces policières, reconnues pour leurs méthodes de répression, forment toujours un corps professionnel habituellement épargné de la partisanerie politique (Americas Watch 30 mai 1991).

L'évolution récente du climat social, économique et politique de l'Argentine a amené plusieurs observateurs à noter que « le mécontentement de la majorité augmente plus rapidement que les améliorations suscitées par les réformes économiques » (Latin American Regional Reports: Southern Cone Report 7 févr. 1991, 8). D'autres ont émis l'hypothèse que l'Argentine serait en train de dériver vers une nouvelle entente politico-militaire qui pourrait amener le pays à :

... régresser vers une forme hybride de démocratie autoritariste dans laquelle les dirigeants prôneraient des réformes économiques tout en s'appuyant sur les militaires et les forces de sécurité pour réprimer le mécontentement grandissant de la population (Ibid.).

Comme la situation risque d'être explosive, l'Argentine fera l'objet d'une surveillance particulière au cours des prochains mois.

5.                BIBLIOGRAPHIE

Americas Watch. Washington. 30 mai 1991. Conversation téléphonique avec le directeur exécutif.

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Latin American Regional Reports: Southern Cone Report. 7 février 1991. « Menem's `Dirty War' Pardons Fail to Satisfy Military Seeking Vindication », p. 1.

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The New York Times. 5 janvier 1991, Late Final Edition. « Fear Returns to Argentina », p. 21.

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