CE, 25 mars 1988, 85234, Bereciuarta-Echarri
Publisher | France: Conseil d'Etat |
Author | Conseil d'Etat |
Publication Date | 25 March 1988 |
Citation / Document Symbol | 85234 |
Cite as | CE, 25 mars 1988, 85234, Bereciuarta-Echarri, 85234, France: Conseil d'Etat, 25 March 1988, available at: https://www.refworld.org/cases,FRA_CDE,3ae6b7264.html [accessed 14 October 2022] |
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AU NON DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat
Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du Contentieux,
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 19 février 1987 et 3 mars 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés par M. José-Maria BERECIARTUA-ECHARRI, demeurant 'à la maison d'arrêt de Poitiers (86000), et tendant à ce que le Conseil d'Etat:
1°) annule pour excès de pouvoir le décret du 30 janvier 1987 accordant son extradition au gouvernement espagnol,
2°) ordonne qu'il sera sursis à l'exécution de ce décret; Vu les autres pièces du dossier;
Vu la Constitution;
Vu la loi du 10 mars 1927;
Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967;
Vu la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957;
Vu la loi du Il juillet 1979;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953;
Vu la loi du 30 décembre 1977;
Après avoir entendu:
- le rapport de M. Mallet, Auditeur;
- les observations de la S.C.P. Lesourd, Baudin, avocat de M. BERECIARTUA-ECHARRI,
- les conclusions de M. Vigouroux, Commissaire du gouvernement;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er A 2° de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut de réfugié, la qualité de réfugié est reconnue à: "toute personne... qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de son pays";
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle a été pris le décret accordant aux autorités espagnoles l'extradition de M. BERECIARTUA-ECHARRI, ressortissant espagnol d'origine basque, pour des faits intervenus entre février 1979 et juin 1981, le requérant bénéficiait de la qualité de réfugié en vertu d'une décision du 21 juin 1973, maintenue par une décision du 30 juillet 1984 de la commission des recours des réfugiés, non contestée par le directeur de l'office français de protection des réfugiés et apatrides et devenue définitive;
Considérant que les principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment de la définition précitée de la Convention de Genève, font obstacle à ce qu'un réfugié soit remis, de quelque manière que ce soit, par un Etat qui lui reconnaît cette qualité, aux autorités de son pays d'origine, sous la seule réserve des exceptions prévues pour des motifs de sécurité nationale par ladite convention; qu'en l'espèce, le Garde des sceaux, ministre de la justice n'invoque aucun de ces motifs; qu'ainsi, et alors qu'il appartenait au gouvernement, s'il s'y croyait fondé, de demander à l'office français de protection des réfugiés et apatrides de cesser de reconnaître la qualité de réfugié à M. BERECIARTUA-ECHARRI, le statut de ce dernier faisait obstacle à ce que le gouvernement pût légalement décider de le livrer, sur leur demande, aux autorités espagnoles; que le décret attaqué est dès lors entaché d'excès de pouvoir;
DECIDE:
Article 1er : Le décret du 30 janvier 1987 est annulé.
Article 2: La présente décision sera notifiée à M. BERECIARTUA-ECHARRI, au Garde des sceaux, ministre de la justice, et au Premier ministre.
NOTE SOUS ARRET CONSEIL D'ETAT - 1ER AVRIL 1988 Aff.: Jose Maria BERECIARTA-ECHARRI Req. n° 85.234
I - RAPPEL DES FAITS
Jose Maria BERECIARTA-ECHARRI, de nationalité espagnole, est entré en France en avril 1973 pour y solliciter la qualité de réfugié. Membre de "l'ETA Militaire", il soutenait alors, à l'appui de sa demande, qu'il aurait eu des démêlés avec la police espagnole en raison de ses activités politiques en faveur de l'indépendance du pays basque. Le directeur de l'OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) lui a reconnu, le 21 juin 1973, la qualité de réfugié.
En 1979, le gouvernement français, prenant acte du changement de circonstances politiques survenu en Espagne avec la fin du franquisme et le retour à la démocratie, décide de faire jouer les dispositions de l'article 1° C5 de la Convention de Genève et de retirer le statut de réfugié à tous les ressortissants espagnols à qui il avait été attribué antérieurement.
C'est dans ces conditions que, par décision en date du 8 mars 1979, le statut de réfugié était retiré à Monsieur BERECIARTA-ECHARRI. Toutefois, ce dernier interjetait appel de cette décision auprès de la Commission de Recours des Réfugiés qui, par une décision en date du 30 juillet 1984, annulait la décision de retrait et confirmait expressément la qualité de réfugié de l'intéressé. Il est à noter que cette décision est devenue définitive puisque aucun recours en Cassation n'est intervenu devant le Conseil d'Etat.
Le 30 juillet 1986, ce dernier était interpellé par la police de l'air et des frontières à Hendaye et placé sous écrou extraditionnel suite à une demande d'extradition formulée par les autorités espagnoles.
Cette demande était fondée sur le fait que Monsieur BERECIARTA-ECHARRI aurait été un membre important du "commando Madrid de l'ETA" et que cinq mandats d'arrêts auraient été lancés à son encontre par le Juge d'Instruction de "l'Audiencia Nacional" et visant deux attentats à la bombe contre des membres des forces de l'ordre et trois assassinats dont celui du maire de la ville d'Olabarria, faits survenus entre 1979 et 1981.
La Chambre d'Accusation de la Cour d'Appel de Pau, saisie pour avis de la demande d'extradition, a émis un avis favorable à l'extradition pour quatre des faits invoqués par les autorités espagnoles, excluant sa participation éventuelle dans l'assassinat du maire d'Olabarria dans la mesure où il était démontré que le jour des faits, l'intéressé se trouvait sur le territoire français, à Valensole où il avait été assigné à résidence.
A la suite de cet avis partiellement favorable à l'extradition, le gouvernement français a pris un décret autorisant cette mesure.
Monsieur BERECIARTUA-ECHARRI a saisi le Conseil d'Etat d'un recours contre ce décret, recours qui a fait l'objet de la décision du 1er avril 1988.
II - DISCUSSION
1 - Cette affaire revêtait une certaine importance dans la mesure où c'était la première fois que se posait, devant une juridiction française, le problème de l'extradition d'un réfugié sous statut. Jusque là, la question ne s'était posée que de manière incidente à l'occasion de recours contre des décrets d'extradition visant des demandeurs d'asile. Le Conseil d'Etat l'avait alors éludée, estimant qu'étant juge de cassation des décisions de la Commission de Recours des Réfugiés, il pouvait, par le biais d'une question préjudicielle, statuer sur la qualité ou l'absence de qualité de réfugié des intéressés (cf. en ce sens C.E. 15 février 1980 Gabor Winter Rec. Lebon p. 87 - 25 septembre 1984 Lujambio Galdeano Rec. Lebon p. 307 - 14 décembre 1987 Urizar Murgioto).
En effet, dans ces différentes espèces, le Conseil d'Etat a fait jouer les dispositions de l'article 1° F de la Convention de Genève estimant que ceux-ci étaient exclus du bénéfice de ladite Convention "pour crime grave de droit commun".
Ces affaires avaient toutefois fait naître un débat très controversé sur le contenu et la portée des dispositions de l'article 33 al. 1 de la Convention de Genève.
Celui-ci prévoit en effet: "Aucun des Etats contractants "n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un "réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté "serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa "nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de "ses opinions politiques...".
Deux thèses étaient en présence.
Les tenants d'une interprétation littérale des dispositions précitées [1] estimaient que l'article 33 ne faisait référence qu'à l'expulsion et au refoulement et qu'ainsi les rédacteurs de la Convention avaient entendu expressément exclure l'extradition de son champ d'application. Pour tenter de fonder leur démonstration, ceux-ci s'appuyaient sue les travaux préparatoires, dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils ne tranchent pas la question. En effet, les travaux préparatoires montrent que les plenipotentiaires ont seulement entendu préserver l'autonomie des traités d'extradition. Cette thèse a été confirmée par un arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation en date du 21 septembre 1984 (Req. GARCIARAMIREZ José Carlos n° 8493. 943) qui a considéré que "l'article 33 "de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 concerne seulement "l'expulsion ou le refoulement, mesures administratives "juridiquement différentes de l'extradition".
Les tenants d'une interprétation plus libérale [2] soutenaient que les dispositions de l'article 33-1 excluent l'extradition d'un réfugié vers son pays d'origine. Ils estimaient qu'il ne faut pas entendre les notions d'expulsion et de refoulement dans leur sens restreint mais au contraire dans leur acceptation la plus large. Si les rédacteurs de la Convention ont cru devoir faire suivre ces deux notions de la formule "de quelque manière que ce soit" c'est précisément pour prévenir tout mode de renvoi, quelque soit sa qualification juridique en droit interne, d'un réfugié vers le territoire d'un Etat où il serait menacé. Plus que le mode juridique de renvoi, c'est la conséquence de celui-ci qu'il faut prendre en compte pour interpréter les dispositions de l'article 33-1 et, dans ce contexte, l'extradition, compte-tenu de ses conséquences entre, à l'évidence, dans le champ d'application desdites dispositions.
2 - L'arrêt du Conseil d'Etat du 1er avril 1988 semble donner raison aux tenants de la seconde thèse mais pas avec la motivation à laquelle on pouvait s'attendre.
En effet, la Haute Assemblée ne fonde pas sa décision sur les dispositions de l'article 33-1 de la Convention de Genève.
Elle va plus loin puisqu'elle considère que "les principes généraux "du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment de la "définition précitée (art. 1er A 2°) de la Convention de Genève, "font obstacle à ce qu'un réfugié soit remis, de quelque manière que "ce soit, par un Etat qui lui reconnait cette qualité, aux autorités "de son pays d'origine...".
Ce faisant, le Conseil d'Etat a suivi les conclusions de son Commissaire du Gouvernement, Monsieur Christian VIGOUROUX, qui soutenait que trois raisons principales devaient conduire à l'annulation du décret d'extradition attaqué, à savoir:
"- l'histoire du texte de l'article 33,
"- la pratique nationale et internationale laquelle est un facteur et d'interprétation des traités,
"- Enfin, l'esprit de la Convention de Genève qui rejoint nos traditions juridiques".
La seconde des trois raisons évoquées nous semble devoir être soulignée dans la mesure où elle rejoint et conforte une thèse développée par certains auteurs en droit international, à savoir que l'extradition serait partie intégrante du "principe de non-refoulement" lequel aurait acquis le statut de règle coutumière du droit international entrainant des obligations pour les Etats, à tout le moins pour ceux parties à la Convention de Genève.
Pour conforter sa démonstration, Christian VIGOUROUX part du double constat d'une part qu'il résulte de la pratique des Etats d'Europe que ceux-ci se refusent à extrader un réfugié vers son Etat d'origine et d'autre part que plusieurs organisations internationales ont, à diverses reprises rappelé que le principe de non-refoulement, "quelle que soit la technique juridique utilisée y "compris l'extradition" devait être appliqué au réfugié reconnu.
Il rejoint ainsi certains auteurs pour qui la pratique internationale a donné au principe de non-refoulement le statut de règle coutumière.
Atle GRAHL-MADSEN dans une étude intitulée[3], considère:
"En d'autres termes, pour les parties à ladite Convention d'Extradition (Convention Européenne de 1957), la règle du non-refoulement a été effectivement étendue de façon à inclure l'extradition".
La démonstration de Guy GOODWIN-GILL nous semble plus significative encore[4]. Celui-ci estime que cette question doit être éclairée par la pratique des Etats depuis 1951 au regard du principe de non-refoulement. Ainsi la Convention Européenne sur l'extradition interdit à l'Etat requis d'extrader vers l'Etat requérant si celui-ci a des sérieuses raisons de croire que la demande "a été formulée dans le but de persécuter ou de punir une personne en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de ses opinions politiques ou que la situation de cette personne lui fasse courir un risque pour l'une de ces raisons". On remarquera que ladite Convention utilise les mêmes termes, à l'exception de la notion d'appartenance à un certain groupe social, que ceux contenus dans la définition du terme "réfugié" (cf. Convention de Genève art. 1er 2 A).
On retrouve des termes absolument identiques dans l'article 5 de la Convention de 1977 sur la suppression du terrorisme. Il convient également de faire référence à l'article 9 de la Convention Internationale contre la prise d'otages. La résolution n° 17 (XXXI) du Comité Exécutif du Haut Commissaire des Nations-Unies pour les Réfugiés fait expressément référence au principe de non-refoulement pour inviter les Etats à ne pas procéder à l'extradition d'un réfugié vers un pays où il craint avec raison d'être persécuté au sens de l'article 1er A 2° de la Convention de Genève. Cette résolution est d'une importance significative, au regard de la pratique internationale comme constitutive d'une règle coutumière, dans la mesure où elle a été adoptée de manière consensuelle sans qu'aucun désaccord n'ait été enregistré publiquement.
Ainsi pourrait-on admettre que les éléments constitutifs de la coutume sont ainsi réunis, à savoir un accord tacite des Etats incorporant l'extradition dans le principe de "non refoulement, un comportement constant des Etats et une réaffirmation dudit principe à travers de nombreux instruments internationaux qui a induit une pratique quasiment discontinu des Etats. Enfin, l'adoption unanime de résolutions telles que celle de la 31ème session du Comité Exécutif ne constitue-t'elle pas" l'opinion juris qui parachève l'accomplissement de la règle coutumière.
Comme le souligne Guy GOODWIN-GILL: "Bien que les points de vue des "Etats ne sont pas unanimes, la plus grande partie de l'opinion, notamment les Etats les plus actifs dans la protection des réfugiés et le développement du droit des réfugiés, considèrent le principe de "non refoulement" comme protégeant le réfugié contre "l'extradition".
En faisant application, en droit interne, du principe de "non refoulement" incluant l'extradition le Conseil d'Etat a incontestablement fait oeuvre novatrice et nous semble ainsi ouvrir une voie prometteuse, à savoir rendre opposable aux Etats dans leur pratique des sources non conventionnelles du droit international. Cela n'est pas si fréquent et, à ce titre, méritait d'être souligné.
[1] Charles ROUSSEAU in. Revue de Droit International Public 1985 P. 1070
LEVASSEUR in Jurisclasseur de Droit International Fasc. 405-B 3è cahier
[2] Bruno GENEVOIS Conseil d'Etat "Etudes et Documents" 1982-1983 J.C. BONICHOT "L'évolution récente de l'extradition passive" A. F. D. I. 1984
[3] Atle GRAHL-MADSEN "The Emergent International Law Relationg to Refugees Past-Présent-Future" (Set Juridiske Fakultets Skriftserie Nr 10 - Universitetet - Bergen)
[4] Guy GOODWIN-GILL "The Refugee in International Law" Clarendon Press Oxford University Press