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John Salilar c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

Publisher Canada: Federal Court
Author Federal Court of Canada
Publication Date 30 June 1995
Type of Decision IMM-1429-95
Cite as John Salilar c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, Canada: Federal Court, 30 June 1995, available at: http://www.refworld.org/cases,CAN_FC,3ae6b6e41c.html [accessed 7 October 2017]
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Répertorié: Salilar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay–Ottawa, 28 et 30 juin 1995.

Citoyenneté et Immigration – Exclusion et renvoi – Processus d'enquête en matière d'immigration – Contrôle judiciaire de la troisième décision de prolonger la garde du requérant – Le requérant est entré clandestinement au Canada – Sa revendication du statut de réfugié a été rejetée – Il a été condamné pour des infractions criminelles commises ici – Avant que le requérant soit libéré de prison, un arbitre a décidé qu'il devait être mis sous garde en vertu de l'art. 103 de la Loi – L'art. 103(7) permet la mise en liberté lorsque l'arbitre est convaincu que le détenu ne constitue vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et qu'il ne se dérobera vraisemblablement pas à son interrogatoire – L'arbitre a appliqué un critère erroné en appréciant la menace que constituait le requérant – Il ne suffit pas d'accepter les décisions des arbitres antérieurs et de tenir compte de ce qui peut s'être passé depuis la dernière décision – Il faut démontrer, dans chaque cas, l'existence de motifs justifiant la garde – La vraisemblance de la menace doit être déterminée compte tenu des circonstances de chaque affaire – L'arbitre a eu tort de tenir compte des remarques non pertinentes formulées à l'égard du requérant par un juge dans une affaire connexe – L'arbitre a exigé des garanties que le requérant n'abuserait pas à nouveau de l'alcool, et établi une norme déraisonnable à l'égard de l'appui communautaire en adoptant des normes qui ne sont pas établies par la Loi – Le caractère imminent du renvoi n'était que l'un des facteurs à considérer – L'examen des motifs de la garde doit s'effectuer en tenant compte du fait que la garde est une mesure extraordinaire et que l'art. 103(7) de la Loi doit s'appliquer d'une façon conforme à l'art. 7 de la Charte.

Droit constitutionnel – Charte des droits – Vie, liberté et sécurité – L'examen des motifs de la garde en vertu de l'art. 103(7) de la Loi sur l'immigration doit s'effectuer en conformité avec le droit à la liberté et le droit qu'il n'y soit porté atteinte qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Il s'agissait d'une demande d'autorisation d'engager une procédure et d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de prolonger la garde du requérant. Les paragraphes 103(1) et (3) de la Loi sur l'immigration prévoient la mise sous garde de toute personne qui doit faire l'objet d'une enquête ou qui est frappée par une mesure de renvoi lorsque l'agent croit qu'elle constitue vraisemblablement une menace pour la sécurité publique ou qu'à défaut de cette mesure, elle se dérobera vraisemblablement à l'enquête ou n'obtempérera pas à la mesure de renvoi du Canada. Le paragraphe 103(6) prescrit l'examen des motifs qui pourraient justifier une prolongation de la garde au moins une fois tous les trente jours après l'examen initial. Le paragraphe 103(7) permet à l'arbitre d'ordonner la mise en liberté lorsqu'il est convaincu que la personne détenue ne constitue vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et qu'elle ne se dérobera vraisemblablement pas à l'interrogatoire.

Le requérant est arrivé au Canada clandestinement à bord d'un navire. Pendant qu'il était au Canada, le requérant a été reconnu coupable d'un certain nombre d'infractions et incarcéré. Avant qu'il soit libéré de prison, un arbitre a décidé qu'il devait être maintenu sous garde. Cette décision a été examinée une fois par mois par la suite. La décision contestée est la troisième à être rendue à l'issue d'un de ces examens.

L'arbitre s'est reportée et a souscrit aux décisions rendues lors des examens antérieurs. Elle a mentionné les remarques formulées par le juge Dubé dans une affaire connexe dans laquelle une société de transport maritime avait demandé le contrôle judiciaire d'une mesure qui l'obligeait à faire monter M. Salilar à bord d'un de ses navires par suite du renvoi, à savoir que le demandeur pouvait être un «passager non désiré et dangereux». L'arbitre a également parlé de la preuve de l'appui communautaire, mais elle a fait remarquer que l'appui proposé n'était pas vraiment différent de celui offert lors des examens antérieurs qui avait déjà été implicitement jugé insuffisant par les autres arbitres. Ajoutant qu'une surveillance appliquée 24 heures sur 24 était nécessaire pour garantir que le requérant n'abuserait pas à nouveau de l'alcool et que pareille surveillance était impossible, elle a fait remarquer que le public avait le droit de s'attendre à être protégé contre la possibilité d'une récidive.

Les questions en litige étaient les suivantes: (1) l'arbitre a-t-elle appliqué un critère erroné en appréciant la menace que constituait le requérant pour la sécurité publique? (2) A-t-elle commis une erreur en tenant compte des remarques du juge Dubé? (3) A-t-elle limité son pouvoir discrétionnaire en examinant les circonstances dont il fallait tenir compte relativement aux conditions auxquelles le requérant pourrait être mis en liberté? (4) Enfin, a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de l'imminence du renvoi du requérant, compte tenu en particulier de la valeur accordée à la liberté individuelle au Canada et des considérations liées à l'article 7 de la Charte.

Jugement: la demande doit être accueillie.

(1)  L'arbitre n'a pas appliqué le critère approprié en examinant les motifs de la garde. Chacun des examens doit constituer une audience de novo. Il ne suffit pas d'accepter les décisions des arbitres antérieurs et de tenir principalement compte de ce qui peut s'être passé depuis que la dernière décision a été rendue. L'arbitre devrait se fonder sur la prémisse portant que la garde est une mesure restrictive extraordinaire dans notre société et que, bien que le paragraphe 103(7) semble imposer un fardeau important à l'intéressé, il incombe d'autre part aux responsables de l'immigration de démontrer, dans chaque cas, l'existence de motifs justifiant la garde de l'intéressé. Le fait qu'une personne a été reconnue coupable d'une infraction criminelle et qu'une peine lui a été imposée ne permet pas de conclure que, lorsque la peine sera purgée, la prolongation de la garde sera justifiée parce que la personne en question constituera encore vraisemblablement une menace pour la sécurité publique. La vraisemblance de pareille menace doit être déterminée compte tenu des circonstances de chaque affaire.

(2)  L'arbitre a commis une erreur en interprétant comme elle l'a fait la décision du juge Dubé et en se fondant sur cette interprétation pour en arriver à sa conclusion. La décision du juge n'avait rien à voir avec les questions dont l'arbitre était saisie.

(3)  L'arbitre a limité son pouvoir discrétionnaire en adoptant des normes qui ne sont pas établies par la Loi. L'arbitre n'avait pas à déterminer s'il était possible de garantir qu'il n'existait aucune possibilité que le requérant constitue une menace pour la sécurité publique ou qu'il se dérobe au renvoi, mais plutôt si la preuve permettait de conclure qu'il ne constituait vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et qu'il obtempérerait vraisemblablement à la mesure de renvoi s'il était mis en liberté.

(4)  Même si les dispositions prises en vue du renvoi étaient incertaines et si on ne savait pas à quel moment elles seraient prises, la probabilité que les responsables de l'immigration prennent des mesures à bref délai pour effectuer le renvoi du requérant ne constitue qu'un facteur lorsqu'on détermine en fin de compte s'il obtempérerait vraisemblablement à la mesure de renvoi advenant le cas où il serait mis en liberté.

L'examen des motifs de la garde doit s'effectuer en tenant compte du fait que la garde est une mesure extraordinaire et que le paragraphe 103(7) de la Loi doit s'appliquer d'une façon conforme à l'article 7 de la Charte selon lequel chacun a droit à la liberté et il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 83(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73), 103(1) (mod., idem, art. 94), (3) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 27; L.C. 1992, ch. 49, art. 94), (6) (mod., idem), (7) (mod., idem).

jurisprudence

décision appliquée:

Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 85 F.T.R. 99 (C.F. 1re inst.).

distinction faite avec:

Leif Hoegh & Co. A/S c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] F.C.J. no 769 (1re inst.) (QL).

DEMANDE d'autorisation d'engager une procédure et demande de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre de prolonger la garde du requérant en vertu de l'article 103 de la Loi sur l'immigration. Demande accueillie.

avocats:

Darryl Larson pour le requérant.

Leigh A. Taylor pour l'intimé.

procureurs:

Larson Bryson Boulton, Vancouver, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[CFs]Le juge MacKay:

Cette demande d'autorisation d'engager des procédures et de contrôle judiciaire découle de la décision rendue par un arbitre, le 2 juin 1995, conformément au paragraphe 103(7) de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 94)] (la Loi), de prolonger la garde du requérant. Les questions qui sont ici soulevées portent sur le bien-fondé de la décision de l'arbitre qui, après avoir examiné les circonstances du maintien en détention du requérant, a refusé d'ordonner sa mise en liberté.

En vertu des paragraphes 103(1) [mod., idem] et (3) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 27; L.C. 1992, ch. 49, art. 94] de la Loi, l'agent autorisé à ordonner la garde peut lancer un mandat d'arrestation contre toute personne qui doit faire l'objet d'un interrogatoire ou d'une enquête ou qui est frappée par une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel lorsqu'il croit qu'elle constitue vraisemblablement une menace pour la sécurité publique ou qu'à défaut de cette mesure, elle se dérobera vraisemblablement à l'enquête ou n'obtempérera pas à la mesure de renvoi. Le paragraphe 103(6) [mod., idem] prévoit l'examen des motifs qui pourraient justifier une prolongation de la garde de l'intéressé, à des intervalles fixes, notamment au moins une fois tous les trente jours après l'examen initial.

En l'espèce, la décision rendue par l'arbitre le 2 juin 1995 se rapportait au troisième examen mensuel effectué à la suite de la décision initiale de mettre le requérant sous garde et du premier examen des motifs justifiant la prolongation de la garde. La décision initiale de faire garder le requérant avait été prise le 2 mars 1995; elle avait fait l'objet d'un examen le 7 mars 1995 et, par la suite, elle avait de nouveau fait l'objet d'examens les 6 avril, 5 mai et 2 juin 1995. Le dernier de ces examens a abouti à la décision contestée dans la présente demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

Le paragraphe 103(7) énonce comme suit la fonction de l'arbitre qui effectue l'examen concernant la garde:

103. . . .

(7)    S'il est convaincu qu'il ne constitue vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et qu'il ne se dérobera vraisemblablement pas à l'interrogatoire, à l'enquête ou au renvoi, l'arbitre chargé de l'examen prévu au paragraphe (6) ordonne la mise en liberté de l'intéressé, aux conditions qu'il juge indiquées en l'espèce, notamment la fourniture d'un cautionnement ou d'une garantie de bonne exécution.

Historique des procédures

Le 29 mai 1995, je devais entendre, à Vancouver, une demande similaire se rapportant à l'examen effectué le 5 mai 1995. À ce moment-là, soit le 29 mai, l'examen mensuel suivant devait avoir lieu le 2 juin et, après avoir parlé en chambre aux avocats des parties, j'ai pris des dispositions en vue de les rencontrer, au besoin, à la suite de l'examen du 2 juin.

Les avocats se sont présentés une fois la décision rendue. J'ai alors ajourné la demande qui devait initialement être entendue le 29 mai, et le requérant s'est subséquemment désisté de la demande (dossier du greffe IMM-1191-95). Les avocats des parties ont convenu d'un calendrier accéléré en vue de la préparation des documents destinés à étayer la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, si l'autorisation était accordée, avant que la décision du 2 juin soit remplacée par l'examen suivant qui devait être effectué dans un délai de 30 jours, conformément au paragraphe 103(6). La procédure a été réglée de façon que la Cour soit saisie du cas du requérant aux fins d'examen avant que la décision qui est maintenant contestée soit remplacée par une nouvelle décision de l'arbitre à la suite d'un autre examen de l'affaire, le 30 juin. Les règles normales relatives à la préparation d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire ne permettent pas l'examen d'une décision dont l'effet dure 30 jours seulement et qui est ensuite assujettie à un examen et remplacée par une autre décision.

Une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire se déroule normalement en deux étapes: l'affaire est examinée aux fins de l'autorisation sur la base d'une demande et d'observations écrites; une ordonnance fixant l'endroit et la date de l'audition de la demande de contrôle judiciaire n'est rendue que si l'autorisation est accordée. En l'espèce, puisque les avocats avaient convenu d'un calendrier accéléré, lorsque les documents ont été soumis à la Cour et déposés à Ottawa, la date de l'audience a été fixée au 28 juin, par téléphone, les avocats des parties étant présents au bureau de la Cour, à Vancouver, et la Cour présidant la séance en chambre, à Ottawa. Compte tenu des circonstances particulières de l'affaire, en ce qui concerne les délais et le calendrier, la Cour a convenu d'entendre les avocats des parties à l'égard de la demande d'autorisation et du bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire. La décision a été remise à plus tard. Une ordonnance accordant l'autorisation et faisant droit à la demande de contrôle judiciaire a été déposée le 29 juin; les motifs de cette ordonnance sont ci-après brièvement énoncés.

Premièrement, j'ai conclu que l'autorisation devait être accordée pour le motif que la demande soulève une question défendable justifiant un examen par la Cour. Étant donné que le temps mis à notre disposition ne permettait pas l'audition de l'affaire à une date plus tardive, le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire est ici examiné, en même temps que la demande d'autorisation.

Historique

Le requérant affirme être originaire du Libéria et être citoyen de ce pays. Il était monté clandestinement à bord d'un navire de la marine marchande en provenance de Bombay, en Inde, et on l'a fait descendre du navire à son arrivée à Halifax, en 1992. Le requérant a ensuite revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention, mais sa demande a été rejetée le 12 octobre 1993.

Pendant qu'il était au Canada, le requérant a été reconnu coupable d'un certain nombre d'infractions. En février 1993, il a été reconnu coupable de possession d'une arme dangereuse et de vol de moins de 1 000 $ et il a fait l'objet d'une ordonnance de probation d'une durée d'un an et condamné à une peine d'emprisonnement d'un jour respectivement. En septembre 1994, il a été reconnu coupable d'avoir proféré des menaces, de voies de fait et de méfaits, ce qui a donné lieu à des peines concurrentes initiales de neuf mois, de six mois et d'un mois respectivement, lesquelles ont été réduites lors de l'appel à la peine purgée (soit environ cinq mois), à deux mois et à un mois. En septembre 1994, le requérant a de nouveau été reconnu coupable de voies de fait et il a été condamné à une peine consécutive de deux mois commençant après l'expiration des peines initiales. Enfin, en octobre 1994, le requérant a été reconnu coupable de vol de moins de 1 000 $ et d'avoir omis de comparaître pour répondre à cette accusation et il a été condamné sous ces chefs à la peine déjà purgée.

Le 2 mars 1995, soit le jour où il devait être mis en liberté à la suite de ses condamnations au criminel, un arbitre a ordonné pour la première fois que le requérant soit mis sous garde conformément à l'article 103 de la Loi sur l'immigration. Comme nous l'avons mentionné, cette décision a fait l'objet d'un examen le 7 mars 1995, par un autre arbitre, qui a ordonné la prolongation de la garde. Par la suite, comme il en a été fait mention, le cas du requérant a fait l'objet d'un examen par un arbitre au début des mois d'avril, de mai et de juin, conformément aux paragraphes 103(6) et (7) de la Loi.

Les questions en litige

Au nom du requérant, il a été soutenu que l'arbitre a commis une erreur dans sa décision, et ce, pour quatre motifs. Il est soutenu que l'arbitre a appliqué un critère erroné en appréciant la menace que constituait le requérant, s'il était mis en liberté, pour la sécurité publique au Canada, qu'elle a commis une[qj]

erreur en tenant compte de certaines remarques que mon collègue, le juge Dubé, avait faites dans une autre affaire connexe[1], qu'elle a limité son pouvoir discrétionnaire en examinant les circonstances dont il fallait tenir compte relativement aux conditions auxquelles le requérant pourrait être mis en liberté et, enfin, qu'elle a commis une erreur en omettant de tenir compte du fait que le renvoi du requérant était imminent, compte tenu en particulier de la valeur accordée à la liberté individuelle au Canada et des considérations liées à l'article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], soit des facteurs sur lesquels mon collègue, le juge Rothstein, a fait des remarques dans l'arrêt Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[2], qui portait également sur l'application du paragraphe 103(7) de la Loi. J'examinerai ces questions l'une à la suite de l'autre.

Analyse

Le premier argument qui a été invoqué pour le compte du requérant est que l'arbitre a appliqué un critère erroné en déterminant si M. Salilar constituait vraisemblablement une menace pour la sécurité publique. Au début de sa décision, l'arbitre énonce le critère, et il semblerait qu'elle l'énonce correctement lorsqu'elle dit:

[traduction] . . . M. Salilar, je dois déterminer si je suis convaincue que, si vous étiez mis en liberté, vous constitueriez vraisemblablement une menace pour la sécurité publique, ou vous vous déroberiez vraisemblablement au renvoi.

En outre, en tirant sa conclusion, l'arbitre semble ici encore énoncer correctement le critère prévu au paragraphe 103(7), comme suit:

[traduction] Pour ces motifs, je n'offrirai pas de vous mettre en liberté aujourd'hui, parce que je crois que vous constitueriez vraisemblablement une menace pour la sécurité publique, si vous étiez mis en liberté. De plus, vous vous déroberiez probablement au renvoi, si vous étiez mis en liberté.

Après avoir énoncé le critère et avant de tirer sa conclusion, l'arbitre a cité, entre autres, les décisions que les arbitres avaient rendues lors d'examens antérieurs. Elle l'a apparemment fait en réponse à un argument invoqué pour le compte du requérant, à savoir que dans la décision du premier arbitre, le critère avait été appliqué d'une façon irrégulière, compte tenu de la conclusion selon laquelle M. Salilar [traduction] «peut constituer une menace pour la sécurité publique». Dans la décision du mois de juin, l'arbitre fait remarquer qu'à son avis, l'arbitre qui avait rendu la décision initiale et qui avait de nouveau effectué un examen le 5 mai avait démontré, dans sa dernière décision, qu'il avait une idée juste du critère qu'il appliquait, bien qu'au mois de mai, en effectuant l'examen, il avait de nouveau employé le mot [traduction] «peut», ce qui indiquait une possibilité, au lieu de s'exprimer en des termes indiquant une probabilité. Dans sa décision du 2 juin, l'arbitre, après avoir cité les décisions antérieures rendues à la suite d'un examen, déclare souscrire [[ss][cpO+.1]traduction[rs]] «aux conclusions de [s]es collègues».

L'arbitre fait également mention d'autres procédures engagées devant la Cour dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire qu'une société de transport maritime avait présentée ainsi que des efforts que les responsables de l'immigration avaient faits pour confirmer l'identité de M. Salilar de façon à faciliter son renvoi. L'argument du requérant selon lequel les efforts du Ministère montrent que le renvoi n'était pas alors imminent, facteur qui favorise sa mise en liberté, du moins de l'avis de son avocat, n'a pas été retenu; bien qu'il ait été reconnu que le renvoi n'était pas imminent, il n'était pas non plus «illusoire». L'arbitre parle également du fait que le requérant n'avait pas collaboré avec les responsables de l'immigration, comme on l'avait signalé, lorsqu'il s'était agi de leur fournir les renseignements dont ils avaient besoin pour prendre la mesure de renvoi. L'arbitre fait mention de la proposition de l'avocat du requérant, à savoir que si la mise en liberté de son client était assujettie à des conditions appropriées, celui-ci ne constituerait vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique, proposition qui a été qualifiée de [[ss][cpO+.1]traduction[rs]]  «conjecturale», compte tenu de la conduite passée du requérant, qui avait donné lieu à des condamnations au criminel, sauf lorsqu'il était sous probation. La conduite du requérant était apparemment attribuable à l'abus de l'alcool, d'où une forte probabilité de récidive. L'arbitre fait remarquer ceci: [[ss][cpO+.1]traduction[rs]]  «Je crois que le public a le droit de s'attendre à être protégé contre la possibilité d'une récidive», ce qui montre clairement l'application d'un critère erroné; enfin, il est fait mention, comme il est ci-dessous noté, des remarques que le juge Dubé a faites dans l'autre instance susmentionnée, à savoir que le demandeur pouvait être un «passager non désiré et dangereux», si les responsables de l'immigration le faisaient monter à bord du navire.

À mon avis, les questions que l'arbitre a mentionnées après avoir énoncé le critère ne se rapportent pas, en général, aux questions qu'elle devait trancher, à savoir si le requérant «constitue vraisemblablement une menace pour la sécurité publique et obtempérera vraisemblablement au renvoi».

 Je me rends compte des difficultés auxquelles les arbitres font face lorsqu'ils effectuent un examen aux fins de la garde. Néanmoins, il est important qu'ils tiennent compte uniquement des facteurs pertinents dans leurs décisions. À mon avis, il semble également important que chacun de ces examens constitue une audience de novo, en ce sens qu'au moment de l'examen, il s'agit de savoir s'il existe des motifs permettant de convaincre l'arbitre que l'intéressé ne constitue vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et qu'il ne se dérobera vraisemblablement pas à l'interrogatoire ou à l'enquête ou qu'il obtempérera à la mesure de renvoi. À mon avis, il ne suffit pas que l'arbitre se contente, comme c'était essentiellement le cas le 2 juin, d'accepter les décisions des arbitres antérieurs et de tenir principalement compte de ce qui peut s'être passé depuis que la dernière décision a été rendue. L'arbitre devrait plutôt se fonder sur la prémisse selon laquelle la garde est une mesure restrictive extraordinaire dans notre société et que, bien que le paragraphe 103(7) semble imposer un fardeau important à l'intéressé, il incombe d'autre part au ministre et à ses responsables de démontrer, dans chaque cas, l'existence de motifs justifiant la garde de l'intéressé.

Ainsi, en l'espèce, les infractions criminelles commises par le requérant étaient suffisamment sérieuses pour qu'il soit inadmissible au Canada et qu'une mesure de renvoi soit donc prise à son endroit, mais le simple fait qu'il a été reconnu coupable de ces infractions ne veut pas nécessairement dire qu'il constitue vraisemblablement une menace pour la sécurité publique, ou même qu'il [[ss][cpO+.1]traduction[rs]]  «peut» constituer une menace pour la sécurité publique. Le fait qu'une personne a été reconnue coupable d'une infraction criminelle et qu'une peine lui a été imposée à cet égard ne permet pas de conclure, dans notre société, que lorsque la peine sera purgée, la prolongation de la garde sera justifiée parce que la personne en question constituera encore vraisemblablement une menace pour la sécurité publique. La vraisemblance de pareille menace doit être déterminée compte tenu des circonstances de chaque affaire.

En l'espèce, ces condamnations, les décisions antérieures des autres arbitres, l'incapacité du requérant de garantir à l'arbitre qu'il évitera à l'avenir d'abuser de l'alcool, et la mention de la décision du juge Dubé étaient les principaux facteurs qui semblent avoir amenés l'arbitre à conclure que le requérant constituerait vraisemblablement une menace pour la sécurité publique s'il était mis en liberté. À mon avis, aucun de ces facteurs ne se rapportait directement à la question de savoir si le requérant constituerait vraisemblablement une menace pour la sécurité publique advenant le cas où il serait mis en liberté.

Le requérant soutient également que l'arbitre a eu tort de tenir compte des remarques que le juge Dubé avait faites dans une autre affaire dont la Cour avait été saisie. Dans cette affaire-là, une société de transport maritime avait demandé le contrôle judiciaire d'une mesure prise par les responsables de l'immigration, qui l'obligeait à faire monter M. Salilar à bord d'un de ses navires par suite du renvoi. Le juge Dubé a suspendu l'exécution de la mesure prise par les responsables de l'immigration et, dans les motifs qu'il a prononcés lorsqu'il a évalué la probabilité d'un préjudice irréparable, il a dit que M. Salilar pouvait être un «passager dangereux», en se fondant, de toute évidence, sur les observations qui lui avaient été présentées.

Avec égards, le 2 juin 1995, l'arbitre ne semble pas avoir compris l'acte de procédure en cause dans cette affaire-là, ou sa pertinence aux fins qui nous occupent, lorsqu'elle a dit:

[[ss][cpO+.1]traduction[rs]]  Je puis uniquement en conclure qu'ayant examiné votre cas et, selon toute probabilité, les mêmes renseignements que ceux qui ont ici été présentés devant moi, même le juge Dubé a estimé qu'il était raisonnable de conclure que vous constitueriez vraisemblablement une menace pour la sécurité publique si l'on vous rendait de nouveau la liberté.

En fait, le juge Dubé n'aurait pas examiné le cas de M. Salilar, il n'aurait pas eu à sa disposition les mêmes renseignements que ceux dont disposait l'arbitre le 2 juin et, de toute évidence, il n'a pas conclu que M. Salilar constituait vraisemblablement une menace pour la sécurité publique.

À mon avis, l'arbitre a clairement commis une erreur en interprétant comme elle l'a fait la décision du juge Dubé et en se fondant sur cette interprétation pour en arriver à sa conclusion. De toute évidence, la décision du juge n'avait rien à voir avec les questions dont l'arbitre était saisie. L'arbitre ne s'est pas uniquement fondée sur ce facteur, mais à mon avis elle lui a accordé une certaine importance, lorsqu'il s'est agi de motiver sa conclusion.

En outre, le requérant soutient que l'arbitre a limité son pouvoir discrétionnaire en exigeant des assurances ou des garanties qu'il ne consommerait pas d'alcool, étant donné qu'il en avait abusé par le passé et que cet abus l'avait amené à se conduire mal, ce qui avait donné lieu aux condamnations prononcées contre lui, au criminel, ainsi qu'en établissant une norme déraisonnable à l'égard de l'appui communautaire qui aurait par ailleurs pu justifier l'examen des conditions à appliquer si M. Salilar était mis en liberté.

Dans sa décision, l'arbitre dit que le fait que M. Salilar puisse continuer à abuser de l'alcool l'amènerait vraisemblablement à retomber dans ses vieilles habitudes qui avaient été la cause de plusieurs condamnations. Elle parle également de la preuve de l'appui communautaire, présentée sous la forme d'un affidavit de M. Nkony, mais elle fait remarquer que pareil appui avait été offert lors de l'examen initial et que, bien que des précisions aient été données à ce sujet aux fins de l'examen du 2 juin, l'appui proposé n'est pas vraiment différent; or, il avait déjà été implicitement jugé insuffisant par les autres arbitres. L'arbitre ajoute ceci: «je ne suis pas non plus convaincue qu'il (M. Nkony) soit en mesure de surveiller vos faits et gestes 24 heures sur 24, comme il devrait le faire, selon moi, pour honorer le genre de garanties qu'il a données dans cet affidavit».

Je conviens que l'arbitre a adopté là des normes qui ne sont pas établies par la Loi et que cela montre qu'elle a limité son pouvoir discrétionnaire. L'arbitre n'avait pas à déterminer s'il était possible de garantir qu'il n'existait aucune possibilité que le requérant constitue une menace pour la sécurité publique ou qu'il se dérobe au renvoi, mais plutôt si la preuve permettait de conclure qu'il ne constituait vraisemblablement pas une menace pour la sécurité publique et qu'il obtempérerait vraisemblablement à la mesure de renvoi s'il était mis en liberté.

Enfin, le requérant soutient que l'arbitre, dans ce cas-ci, n'a pas exercé le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le paragraphe 103(7) en omettant de tenir compte de facteurs tels que ceux que le juge Rothstein avait énoncés dans l'arrêt Sahin, dans son examen des motifs justifiant la garde. En particulier, bien que l'avocat du requérant l'eût invitée à le faire, l'arbitre a refusé de tenir compte du fait que le caractère imminent du renvoi était un élément important et du fait que, selon certains éléments de preuve dont elle disposait et auxquels elle souscrivait apparemment, le renvoi n'était pas imminent. Il est soutenu qu'en pareil cas, c'est un facteur dont il faut tenir compte pour déterminer si le requérant obtempérera vraisemblablement à la mesure de renvoi, advenant le cas où il serait mis en liberté. Par conséquent, lorsque le renvoi n'est pas imminent, il peut être plus difficile de conclure rationnellement que le requérant se dérobera vraisemblablement au renvoi.

Dans les arguments qu'il a présentés par écrit, le requérant a soutenu que l'arbitre aurait dû apprécier la légalité de la procédure de renvoi sur laquelle le Ministère se fondait, en ordonnant le renvoi sur un navire déterminé. Je ne suis pas convaincu que cela eût permis de conclure que le renvoi était «imminent» ou encore qu'il était «illusoire», ou qu'il soit particulièrement utile de qualifier ainsi le renvoi. De toute évidence, il était apparent, aux yeux de l'arbitre, dans ce cas-ci, que les dispositions qui avaient été prises en vue du renvoi étaient incertaines, et que le 2 juin, on ne savait pas à quel moment elles seraient prises. Toutefois, à mon avis, la probabilité que les responsables de l'immigration prennent des mesures à bref délai pour effectuer le renvoi du requérant ne constitue qu'un facteur, et peut-être un facteur peu important, lorsqu'on détermine en fin de compte s'il obtempérerait vraisemblablement à la mesure de renvoi advenant le cas où il serait mis en liberté. Les autres facteurs dont il faut tenir compte sont mentionnés à titre d'exemples par le juge Rothstein (à la page 110, Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), précité).

Dans sa décision, le juge Rothstein signale le contexte dans lequel les examens sont effectués, y compris le fait que la garde est une mesure extraordinaire et que le paragraphe 103(7) de la Loi doit s'appliquer d'une façon conforme à l'article 7 de la Charte, qui dit que: «Chacun a droit à . . . la liberté . . . il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.»

Conclusion

À mon avis, l'arbitre n'a pas appliqué le critère approprié en examinant les motifs se rapportant à la conclusion qu'elle a tirée conformément au paragraphe 103(7), lorsqu'elle a effectué l'examen, à savoir que le requérant constituerait vraisemblablement une menace pour la sécurité publique et qu'il n'obtempérerait vraisemblablement pas à la mesure de renvoi s'il était mis en liberté. Seuls des motifs pertinents peuvent être pris en considération.

D'où l'ordonnance accordant l'autorisation et faisant droit à la demande de contrôle judiciaire. Étant donné que des considérations spéciales s'appliquent aux circonstances de l'affaire, l'ordonnance est assortie de conditions particulières. Les décisions antérieures rendues lors des examens sont critiquées par le requérant, mais le litige porte uniquement sur la décision du 2 juin, et puisque la garde du requérant, en vertu des décisions que les arbitres avaient antérieurement rendues, ne fait pas l'objet d'un examen, elle est réputée licite. Selon la loi, la décision du 5 mai devait être examinée dans un délai de 30 jours et elle l'a été, le 2 juin 1995. La décision du 2 juin est infirmée, l'ordonnance s'appliquant jusqu'au moment d'un nouvel examen de la question de la prolongation de la garde, conformément au paragraphe 103(7), au plus tard le 10 juillet 1995, par un arbitre qui n'aura pas déjà examiné le cas du requérant. J'ordonne également que l'examen qui devait avoir lieu le 30 juin soit suspendu, et qu'il soit remplacé par l'examen effectué par le «nouvel» arbitre. S'il est impossible de prendre des dispositions dans les délais impartis, l'intimé pourra demander une prorogation du délai, avec motifs à l'appui. Enfin, si, à la suite de cet examen, il est décidé de prolonger la garde, d'autres examens périodiques devront être effectués conformément aux paragraphes 103(6) et (7).

Je remarque que les deux avocats m'ont informé, après l'audience, que l'affaire ne soulevait pas de question grave de portée générale au sens du paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73], laquelle pourrait être examinée par la Cour d'appel; par conséquent, aucune question n'est certifiée.



[1] Leif Hoegh & Co. A/S c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] F.C.J. no 769 (1re inst.) (QL).

[2] (1994), 85 F.T.R. 99 (1re inst.).

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