Un célèbre chef syrien, ancienne star de la TV, régale les passionnés de la mode à Paris
La guerre a contraint Mohammad El Khaldy à fuir avec sa famille vers la France où sa savoureuse cuisine moyen-orientale fait les délices des dîners parisiens.
Le chef Mohammad El Khaldy garnit des plateaux à l'Hôtel de Ville de Paris, le 20 juin 2016, lors de la Journée mondiale du réfugié.
© HCR/Benjamin Loyseau
Les saveurs et les couleurs de la cuisine moyen-orientale étaient au menu du défilé de mode de Kenzo à la Semaine de la mode à Paris, grâce à Mohammad El Khaldy, 36 ans, célèbre chef et animateur d'une émission culinaire à la télévision syrienne, un réfugié qui a tout récemment demandé asile en France.
L'élite mondiale de la mode a pu découvrir les dernières créations de prêt-à-porter de la célèbre maison de couture tout en se délectant de spécialités telles que le baba ganousch, fattouche, kebbeh et baklavas.
Ce salon était la toute dernière occasion de mettre en valeur le talent d'un homme autrefois prospère et renommé dans son pays d'origine avant que la guerre civile ne le contraigne à fuir en quête de sécurité avec sa famille.
En juin dernier, Mohammad a exercé ses talents aux côtés du chef français, Stéphane Jégo, à l'occasion du Refugee Food Festival organisé à Paris pour mettre à l'honneur les cuisines des pays d’origine des réfugiés. À eux deux, ils ont créé un nouveau style culinaire associant des recettes françaises et syriennes chez l’Ami Jean, un restaurant de la rive gauche dont Stéphane Jégo est chef-cuisinier et propriétaire.
Après avoir entendu parler de Mohammad, Kenzo a pris contact avec les organisateurs du Refugee Food Festival et l’a choisi plutôt qu’un autre chef pour assurer la restauration à son défilé de mode.
Mohammad a également dirigé les services de cuisine à l'occasion de réceptions tenues au Musée du Palais de Tokyo et à la Ville de Paris pour une manifestation à laquelle a pris part Anne Hidalgo, maire de Paris.
C’est très loin de son existence d'il y a quelques années seulement, où il était propriétaire de plusieurs restaurants et animait régulièrement des émissions culinaires à la télévision syrienne et à Dubaï. Mohammad avait pu acheter une maison pour sa famille en 2011 et était capable de financer l'éducation de ses trois fils. Avec sa femme Doha, enseignante, ils avaient une vie familiale heureuse.
Quand le conflit syrien a éclaté en 2011, son univers s'est retrouvé sens dessus dessous. « On a commencé à entendre des récits inquiétants », se rappelle Mohammad. « On a vu des gens mourir, d'autres qui quittaient leur maison. »
« On pensait qu'on allait revenir, que ce serait seulement pour quelques jours, peut-être quelques mois. »
Des milliers, puis des millions de gens ont pris la fuite et ils se sont joints à l'exode. Ils n'ont pris que quelques vêtements, des affaires personnelles et seulement quelque 400 dollars de liquide qu'ils ont été autorisés à retirer de la banque avant de fuir vers le Liban. Ils étaient persuadés de rentrer rapidement. Adam, leur plus jeune fils, n'avait que trois mois.
« On a pris un sac et quelques bijoux en or que j’avais offerts à ma femme », raconte Mohammad. « On pensait qu'on allait revenir, que ce serait seulement pour quelques jours, peut-être quelques mois. »
À l'époque, rien ne leur permettait de penser que ce n'était que le début de leur voyage vers l'exil.
Pensant qu'ils seraient plus en sécurité en Égypte, Mohammad y est parti seul pour essayer d’ouvrir un restaurant. Après une période de séparation où il a essayé de lancer son affaire, sa famille l'a rejoint, mais son épouse Doha et lui-même ont décidé de tenter un nouveau départ en Europe après une série de déconvenues qui ont signé l’échec de son restaurant.
Après une éprouvante traversée de 12 jours à bord d'un bateau bondé qui avait quitté Alexandrie pour l'Italie, ils ont été récupérés par un bateau de l'opération de recherche et sauvetage Mare Nostrum des autorités italiennes.
« Je ne pensais qu’à la sécurité de mes enfants », dit Mohammad. « Ils me posaient beaucoup de questions. Adam n'arrêtait pas de me dire qu'il voulait une pomme et chaque fois, je me mettais à pleurer. Je pleurais toutes les nuits, mais j'avais ma femme Doha, ma compagne et amie de toute une vie. Elle m'a soutenu. »
Il ne tarit pas d'éloges sur l'accueil qui leur a été réservé en Italie. « On avait l'air de sans-abris. Beaucoup de gens nous sont venus en aide. Un vieil homme nous a donné de la nourriture. Dans le sac, il y avait une pomme que j'ai donnée à Adam. »
Ils ont fini par arriver en France où on leur a accordé le statut de réfugié en 2015.
« Paris, c'est l'endroit où j'ai toujours rêvé de travailler. Paris, c’est la mère du service, de la cuisine, c'est la capitale renommée de la restauration, de la mode et de la gastronomie. Quand Paris figure sur votre CV, c'est que vous êtes un pro. C'est ce qu'on dit dans les pays arabes. »
Ils ont été logés au centre d'accueil de Savigny-sur-Orge, à la périphérie de la capitale, où ils ont attendu que leur demande d'asile soit acceptée. Mohammad a donné des cours de cuisine à Carole, l'assistante sociale qui s'occupait de son dossier. « Elle m'a appris à parler français et moi je lui ai appris à faire la cuisine. »
Carole lui a parlé d'une organisation appelée « Les cuistots migrateurs » créée par Louis Jacquot et Sébastien Prunier, deux chefs d'entreprise français qui tentent de faire évoluer la manière dont les Parisiens considèrent les migrants en faisant découvrir les délices des cuisines d’ailleurs aux Français.
Ils se sont donc mis en quête de chefs confirmés parmi les milliers de personnes auxquelles la France a accordé le droit d'asile. Ils ont ensuite composé un petit groupe pour animer une société de restauration spécialisée dans les cuisines méconnues d'autres pays.
« La Syrie, c'est mon amour, ma mère, ma femme. Je ne peux trouver les mots pour exprimer ce que la Syrie signifie pour moi. Mais aujourd'hui, nous ne pouvons pas y retourner. »
La plupart des chefs qui ont participé au Refugee Food Festival font partie de ce groupe de « cuistots migrateurs, » dont Mohammad qui a été le tout premier à s'associer au projet. Onze restaurants parisiens ont ouvert leurs cuisines à des chefs venus de Syrie, du Sri Lanka, de Tchétchénie, d'Iran et d'Inde en prévision de cette manifestation.
« Ce qui me plaît le plus dans la cuisine, c'est la toute première bouchée, quand les gens font ‘mmmm’ », explique Mohammad.
Ses enfants – Adam, qui a maintenant six ans, et ses frères Omar, 13 ans, et Ziad, 10 ans — parlent couramment le français et vont à l'école à Paris. Doha, 36 ans, espère pouvoir de nouveau enseigner un jour. La mère de Mohammad, qu'il n'avait pas revue depuis quatre ans, a obtenu un visa et les a rejoints il y a quelques semaines. La famille est ainsi de nouveau réunie.
Mohammad dit qu'il veut en apprendre autant que possible sur la France et aussi partager sa culture et utiliser ses talents « pour vivre en harmonie avec les gens qui nous ont accueillis. »
Toutefois, il continue de rêver à un retour en Syrie.
« La Syrie, c'est mon amour, ma mère, ma femme. Je ne peux trouver les mots pour exprimer ce que la Syrie signifie pour moi. Mais aujourd'hui, nous ne pouvons pas y retourner. »