Des Rohingyas orphelins à la recherche d'un havre pour guérir
Le HCR cherche à identifier et évaluer les solutions dans le meilleur intérêt des enfants non accompagnés et récemment arrivés dans les camps de réfugiés au Bangladesh.
UKHIYA, Bangladesh – À leur âge, Asif et Suleman* devraient être en train de courir, de jouer dehors et de donner du fil à retordre à leurs parents*. Mais à l’inverse, les deux jeunes frères restent assis, figés comme des statues, les yeux vides et hagards.
Suleman a 12 ans et Asif huit ans, mais ils paraissent bien plus jeunes que les autres enfants de leur âge. Ces dernières semaines, leur quotidien s’est limité à aller à l'école religieuse et à des cours particuliers d'anglais. Pas de jeu et très peu de sommeil.
« Je rêve d'enfants heureux en train de jouer », lance soudainement Suleman. « Mais dans mes rêves, nous ne pouvons pas jouer avec eux. J'ai toujours peur. Si quelque chose tombe par terre ou que j'entends un bruit inattendu, je sursaute et je me souviens de ce qui est arrivé. »
Les deux garçons comptent parmi les nombreux enfants Rohingyas arrivés au Bangladesh depuis le mois d'octobre dernier, arrachés à leur famille suite à une opération de sécurité dans l'Etat de Rakhine, au nord du Myanmar. On estime à plus de 70 000 le nombre de personnes qui ont fui pour se réfugier au Bangladesh au cours des cinq derniers mois ; la moitié d'entre eux pourraient être des enfants de moins de 18 ans.
« J'ai toujours peur. »
Suleman et Asif jouaient dans le jardin quand leur maison a été attaquée. Ils se sont enfuis mais n’ont pu sauver leur petit frère qui jouait devant la maison. Ils pensent que leurs parents ont été tués au cours du raid, et ils ne savent pas si leur frère a survécu.
Prenant la fuite avec quelques voisins, ils ont finalement été conduits au Bangladesh chez leur oncle Mustafa qui avait déjà fui avec sa famille en octobre. Aujourd'hui, ils vivent dans un abri de fortune et ils ont reçu du riz et des articles d'urgence.
Indépendamment de ces besoins immédiats, ces garçons auront besoin d'un encadrement psychosocial pour les aider à surmonter la perte de leurs proches et la violence dont ils ont été témoins.
Des espaces de jeu multi-âges ont été créés dans les camps de réfugiés de Kutupalong et de Nayapara pour aider à traiter la souffrance mentale.
« Le jeu est essentiel pour permettre à tous les enfants de poser les bases pour l'apprentissage, mais il est particulièrement important pour les enfants réfugiés du fait de son rôle thérapeutique », explique Marzia Dalto, employée du HCR en charge de la protection à Cox's Bazar au Bangladesh. « Bien encadré, le jeu imaginatif et sûr peut contribuer à diminuer le stress et optimiser le développement du cerveau. Il peut aider les enfants traumatisés à guérir et être l'opportunité de briser le cycle de la violence physique et émotionnelle.”
Pour certains enfants, le jeu peut être comme un luxe. Kamal*, 12 ans, a perdu ses parents au cours des violences au Myanmar. Sans avoir pu emporter quoi que ce soit, il a fui au Bangladesh avec ses trois sœurs aînées en novembre. Ils ont dû emprunter 80 000 kyat (60 USD) à un voisin pour pouvoir prendre le bateau et traverser le fleuve Naf.
Au Bangladesh, Noor Kaida, une réfugiée Rohingya de longue date les a trouvés et a décidé de les accueillir alors qu'elle a elle-même quatre enfants.
« Je les ai trouvés en larmes, dans le cimetière voisin », explique Noor Kaida, 27 ans et qui a elle-même fui le Myanmar avec ses parents alors qu'elle était encore bébé. « Je les ai pris chez moi parce qu’ils n'ont rien ni personne. Ils sont totalement vulnérables et nous avons une responsabilité morale envers eux. »
« Ils sont totalement vulnérables et nous avons une responsabilité morale envers eux. »
Comme il est le seul garçon, Kamal s'est porté volontaire pour travailler dans un magasin de thé en ville. Il ne vient quasiment plus jamais à leur abri.
Talifa*, sa sœur aînée âgée de 18 ans, se fait sans cesse du souci : « Ils sont encore si jeunes. Comment allons-nous faire pour nous nourrir et pour trouver des vêtements ? Comment ferons-nous pour survivre ? Nous devons aussi de l'argent à notre voisin pour le prix de la traversée en bateau. Il me le réclame sans cesse et j'ai promis de mendier ou de faire n'importe quoi pour pouvoir le rembourser. »
Leur hôte dit qu'elle les hébergera aussi longtemps qu'elle le pourra – « jusqu'à ce qu'elles trouvent leur propre abri ou qu'elles se marient ».
En dépit de ces bonnes intentions, la présence d'un si grand nombre de mineurs non accompagnés suscite de sérieux soucis en termes de protection, du risque de travail des enfants, de mariages prématurés, de trafic humain et d'exploitation sexuelle.
Le HCR a mobilisé des groupes communautaires de soutien parmi les femmes et les jeunes dans les camps de réfugiés, afin de venir en aide à ces enfants vulnérables. L'agence coopère également avec ses partenaires pour essayer de retrouver, dans la mesure du possible, des membres des familles, et pour évaluer ce qui est dans le meilleur intérêt de ceux dont aucun proche n'a survécu. Les solutions envisageables vont de l'identification et du regroupement avec des proches, à la désignation de tuteurs ou de familles d'accueil qui peuvent offrir des soins et une orientation parentales.
« Je pense souvent à mes parents », dit Talifa. « Nous portons cette souffrance en nous, mais nous devons l'assumer. »
* Les noms ont été modifiés pour protéger les personnes