Je suis Yusra. Je suis une réfugiée et je suis fière d'oeuvrer pour la paix

Yusra a été une source d'inspiration pour les personnes déracinées à travers le monde quand elle a participé aux épreuves de natation aux Jeux olympiques. Elle se consacre désormais à de nouveaux objectifs.

Yusra lors d'une séance d'entrainement dans la piscine olympique de Rio de Janeiro, Brésil. Son parcours a résonné dans l'imaginaire collectif à travers le monde entier.   © HCR / Benjamin Loyseau

Je m’appelle Yusra. Oui, c’est bien moi la jeune fille qui a nagé pour rester en vie et qui a  ensuite participé aux Jeux olympiques. Mais, je suppose que vous connaissez déjà cette histoire. Elle parle de mon autre nom, de mon autre identité. En fait, je m’appelle « réfugiée. » En tout cas, c’est comme ça qu’on m’appelle moi et les 21 millions d’individus qui ont été contraints de fuir face aux persécutions, à la guerre et à la violence.

Qui est-elle donc, cette réfugiée ? Eh bien, il y a eu une époque où j’étais tout comme vous.  J’avais une maison, j’avais des racines, un pays. Comme vous, je vivais ma vie au jour-le-jour, absorbée par mes propres espoirs, mes passions et mes problèmes. Puis, la guerre est arrivée et tout a basculé. La guerre m’a donné un nouveau nom, un nouveau rôle, une nouvelle identité : réfugiée.

D’une seconde à l’autre, il a fallu tout quitter, tout laisser derrière moi, prendre mes jambes à mon cou pour survivre. Quitter ma maison, mes parents, mes amis et courir. Ce n’est qu’après avoir passé la frontière que j’ai pris conscience d’avoir perdu plus que ma maison et tout ce que je possédais. J’avais perdu ma nationalité, mon identité, mon nom. J’étais devenue une réfugiée.

Yusra Mardini et Yiech Pur Biel ont chacun prononcé une allocution au nom de l'équipe olympique des athlètes réfugiés lors d'une réunion de tous les membres du CIO à Rio.   © HCR / Benjamin Loyseau

Aucun de nous n’aurait pu se préparer à ce voyage-là. Les prières désespérées sur le bateau, la longue marche, l’humiliation devant les barbelés. Et  cela avait beau être terrible, nous savions qu’il était impossible de faire marche arrière. Nous avions de toute façon  déjà tout perdu et n’avions pas d'autre choix que de continuer à courir pour trouver un refuge, pour trouver la paix.

Et puis, dans un dernier soubresaut, le voyage a pris fin. Nous étions en sécurité. C’est là, quelque part sous une tente, dans un camp, un abri  que la nouvelle étape a commencé : la longue attente. Je crois que c'est là que cela nous a frappés. Il n'y avait plus rien à faire d’autre que de pleurer tout ce que nous avions perdu. Là, nous avons vraiment compris ce que signifie être un réfugié.

Team Refugees: Yusra Mardini (en anglais)

« Nous devons tirer le meilleur parti de ce détour étrange et inattendu qu’ont pris nos vies. »

Nous voici donc dans une nouvelle vie et aucun d'entre nous ne peut savoir pendant combien de temps nous aurons à la vivre. En moyenne, nous passerons 20 ans en exil, avec toujours le sentiment confus de ne pas être d'ici, à attendre simplement que toute cette folie ait pris fin pour que nous puissions rentrer chez nous. C'est la moitié d'une vie, perdus à se sentir étrangers dans une terre étrangère.

Nous nous débattons tant bien que mal pour avancer. Nous luttons pour étudier, pour travailler, pour apprendre une nouvelle langue, pour nous intégrer. Bien trop souvent, les barrières sont trop grandes, les chances contre nous. Mais nous savons que nous devons tirer le meilleur parti de ce détour étrange et inattendu qu’ont pris  nos vies. Faire pour le mieux avec cette réalité : être un réfugié.

Pendant son voyage depuis la Grèce vers l'Allemagne en 2015, Yusra (à gauche) a notamment traversé la Hongrie avec d'autres demandeurs d'asile.   © HCR / Lam Duc Hien

C'est notre combat, mais ce n'est pas seulement le nôtre, c'est aussi le vôtre. Vous êtes déjà nombreux à savoir qu'il y a bien plus en jeu. Pour ma part, j'assumerai un nouveau rôle dans les mois à venir. J'ai un important message à transmettre. Le problème des réfugiés ne disparaîtra pas, nous serons toujours plus nombreux. Pour que l'humanité puisse relever ce défi, elle doit apprendre à nous connaître pour ce que nous sommes véritablement.

À un moment ou un autre, certains d'entre vous ont perdu cela de vue. Quand les noyades en mer sont devenues habituelles et que notre souffrance à vos frontières est devenue chose banale. Nous avons disparu de votre champ de conscience, repoussés derrière des portes closes. Parfois, une image plus terrifiante que les autres vous a contraint à voir notre souffrance. Un bébé mort rejeté sur le sable de la plage, un enfant hébété, le visage en sang dans une ambulance. Pourtant après, la vie a repris son cours et vous êtes très nombreux à nous avoir oubliés.

« Il n'y a pas de honte à être un réfugié quand on se rappelle qui l'on est. »

Le silence a laissé à d’autres voix l'espace nécessaire pour s’élever. Les voix de ceux qui ont peur de nous et qui nous détestent parce que nous avons l'air différent, que nous parlons d’autres langues, que nous adorons d'autres dieux. Ceux qui parlaient le plus fort étaient ceux qui avaient le plus peur. Ils ont disséminé des mensonges éculés à notre sujet, que nous avions choisi d'être ici parce que nous sommes cupides, dangereux, criminels, venus pour menacer votre mode de vie.

La peur s'est installée et certains d'entre vous ont commencé à nous craindre. Il n’a pas fallu longtemps pour que les barrières et les obstacles, tant physiques qu’émotionnels, surgissent de toutes parts. Le mot « réfugié » est devenu une insulte, un mot destiné à blesser et à humilier.

La nageuse syrienne Yusra Mardini, 18 ans, s'adresse à des étudiants lors d'une conférence de presse pour promouvoir le sport dans une école primaire à Berlin Spandau.   © HCR / Daniel Etter

Mais il n'y a pas de honte à être un réfugié quand on se rappelle qui l'on est. Quand on se rappelle qu’être un réfugié, ce n'est pas un choix. Que le seul choix que nous ayons eu était de mourir dans notre pays ou de braver la mort en tentant de s'échapper. Il fallait choisir entre les bombes et la noyade en mer.

« Ce sont les persécutions qui nous ont chassés de chez nous. »

Alors, qui sommes-nous ?  Nous sommes toujours ce que nous étions avant, chez nous : médecins, ingénieurs, avocats, enseignants, étudiants… Nous sommes toujours des mères et des pères, des frères et des sœurs. C'est la violence qui a fait de nous des orphelins. C'est la guerre qui nous a transformés en parents terrifiés, prêts à tout sacrifier pour sauver nos enfants du carnage. Ce sont les persécutions qui nous ont contraints à abandonner nos foyers pour trouver la paix.

C'est tout ça un réfugié. C'est ce que je suis. C'est ce que sont tous ceux qui composent cette population croissante de personnes qui n’ont plus de pays. Voilà l’appel que je lance ici à tous ceux qui portent comme moi le nom de « réfugié. » Je suis Yusra. Je suis une réfugiée et je suis fière d’œuvrer pour la paix, pour la décence et la dignité de tous ceux qui fuient la violence. Ralliez-vous à moi, soyez à nos côtés.


Yusra Mardini est une des personnalités qui soutient l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).