Le renforcement du leadership des institutions publiques nigériennes doit être un objectif

Juan José Lavín Suárez lors d’un discours prononce a Tahoua. © AECID

Le 30 septembre 2015, le Bureau de la Coopération Espagnole au Niger (AEICD) a célébré la journée du coopérant. Au cours de cette journée festive mais tout de même studieuse, les coopérants espagnols présents au Niger se sont retrouvés pour notamment réfléchir sur la contribution de la coopération espagnole dans les politiques publiques nigériennes et dans l’action humanitaire. L’occasion était donc offerte de poser quelques questions à Juan José Lavín Suárez, Coordinateur Général de l’AECID au Niger depuis 2011.

Question : Cher Juan José, malgré une période difficile suite à la situation économique qui prévalait en Espagne, l’AECID s’est progressivement imposé comme un acteur bilatéral important pour le Niger. Comment a évolué le travail de l’AECID au Niger et quels sont vos principales orientations aujourd’hui ?


Réponse : Il est vrai que l’aide au développement Espagnole, comme les autres politiques publiques espagnoles, ont été touchées à cause de la crise économique. Dans le cas de l’AECID, le volume des fonds a été réduit d’une façon notable par rapport à la période antérieur à cette crise. Mais il est aussi nécessaire de signaler que la politique publique de la Coopération Espagnole n’a jamais été mise en question ni par notre classe politique ni par la société espagnole, et ceci est la preuve de la maturité de notre coopération et de notre société qui est une société profondément solidaire et sensible aux questions humanitaires. Ce contexte difficile a permis néanmoins de réaliser une profonde réflexion sur comment faire de la Coopération, et je crois que cela a été une opportunité pour analyser les priorités et améliorer la qualité de nos interventions. Dans ce sens, la Coopération Espagnole est passée d’une quarantaine à 23 pays d’intervention, avec une approche axée sur la concentration des efforts pour aboutir à un impact plus fort. C’est dans ce contexte que la région du Sahel et plus particulièrement que le Niger est considéré comme un pays prioritaire. Au Niger nous avons élaboré notre Document Cadre d’Association avec le pays pour la période 2014-2016, qui est aligné sur les politiques publiques nigériennes tel que l’Initiative 3N (les Nigériens Nourrissent les Nigériens) et le Plan de Développement Sanitaire, et qui ambitionne aussi d’avoir une certain influence sur la Politique Nationale du Genre, un secteur qui marque l’identité de la Coopération Espagnole. Comme objectif principal de ce Cadre d’Association nous avons choisi « Contribuer à l’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle des nigériens et nigériennes en prévenant leurs causes, en intervenant sur ses effets et en construisant la résilience aux niveaux local, national et régional ». Ceci nous positionne clairement sur des approches qui préconisent de faire le lien entre l’urgence et le développement, dans un contexte caractérisé par la récurrence des crises alimentaires et l’existence de crises humanitaires, comme celle qui touche la région de Diffa, pour construire un développement durable et inclusif.

Q : L’AECID est un partenaire fidèle des opérations de l’UNHCR au Niger depuis l’année 2013 et jusqu’à aujourd’hui. Comment qualifierez-vous ce partenariat et quels conseils donneriez-vous à l’UNHCR tant pour son opération en faveur des réfugiés maliens que celle dans la région de Diffa ?

R : Notre fidélité n’a pas été un chèque en blanc : l’appui à l’UNHCR est basé sur la croyance que cette agence fait du bon travail. Sincèrement, je qualifie de très positif le partenariat que nous avons avec l’UNHCR. Nous avons trouvé toujours une organisation ouverte au dialogue et avec des équipes très engagées dans leurs missions. Depuis 2013, l’UNHCR a été amené à augmenter son champ d’intervention en fonction des évènements qui se sont déclenchés. En ce sens, l’UNHCR au Niger a évolué d’une manière adéquate et efficace. Le rôle de son représentant, Mr Karl Steinacker, et de son équipe ont été un véritable atout. Ils ont appris à construire leur réponse de manière agile et adaptée aux différents contextes. L’expérience de l’UNHCR a servi pour introduire de nouvelles approches et il faut les féliciter pour cette capacité d’adaptation. En tant que Coopération Espagnole nous sommes très sensibles aux situations des réfugiés. Nous avons essayé de suivre le contexte pour apporter notre vision et contribuer de manière coordonnée à l’amélioration de la situation de ces populations. Dans le cas de Diffa, nous sommes face à une crise humanitaire qui malheureusement s’annonce de longue durée. La situation est aggravée par un contexte qui préalablement était très peu favorable : Diffa est passée de la région au Niger comptant le moins d’acteurs de la coopération présents, à une région qui a vu le débarquement de plus de 40 organisations humanitaires internationales et nationales. Dans ce sens, ma vision et mon conseil est que la coordination s’avère d’autant plus nécessaire et que le renforcement du leadership des institutions publiques nigériennes, qui sont et seront toujours dans la région, doit être un objectif. En ce sens la réalisation des certains activités telles que celles liées à l’eau et l’assainissement sont des opportunités pour déclencher des dynamiques de développement inclusives c’est-à-dire en lien avec les politiques publiques nationales. Dans ce secteur, il ne faut pas oublier que la gestion de l’eau est une priorité pour le Niger et que les indicateurs peuvent être améliorés d’une manière radicale si un effort collectif et concerté prend forme autour de la gestion de l’eau.

Q : A titre plus personnel, vous allez quitter le Niger le mois prochain pour la Mauritanie. Quel bilan faite vous de ces 4 années passées ici et quels sont selon vous les principaux défis que doit encore relever la communauté humanitaire ?

R : Mon bilan au Niger est absolument positif du point de vue personnel et professionnel. J’ai trouvé une communauté humanitaire très engagée, une administration qui avec des ressources limitées essaye d’accomplir sa mission et de déclencher des dynamiques de développement, et une société civile de plus en plus consciente du rôle qu’elle doit jouer pour produire ce déclenchement. Pour moi, ces 4 années ont aussi été des années d’apprentissage. Je ressens beaucoup de gratitude pour l’opportunité que j’ai eu d’avoir participé aux différents foras au Niger et d’avoir pu apporter mon savoir-faire avec l’appui de mon équipe pour être utile à ce pays : c’est une expérience qui m’accompagnera toujours dans mon parcours professionnel. Je crois que le principal défi pour les acteurs humanitaires et de la coopération en général, c’est la coordination et le dialogue inter-acteurs, étatiques et non étatiques, qui sont responsables du développement de ce pays. Je crois aussi qu’il faut agir de façon généreuse et faire une certaine autocritique quand nous parlons de coordination car très souvent personne n’est réellement disposé à être coordonné. Il est incontournable de prendre la pleine conscience de notre rôle et de notre participation dans la construction des politiques publiques que les nigériens, dans l’exercice de leur citoyenneté, se sont donnés. Les slogans ne servent à rien si la malnutrition continue à hypothéquer le futur de plusieurs générations de nigériens, si la femme continue à être une personne avec des droits moindres, si l’agriculteur ne peut pas être capable de donner à manger à sa propre famille, si la dignité que mérite tout être humain ne peut être atteinte, si nous n’incitons pas des changements de comportements pour construire une société plus juste et équitable. Pour arriver à cela, seulement le dialogue franc et constructif, seulement l’engagement et la recherche de l’efficacité sont les chemins à emprunter pour rendre possible aux nigériens et nigériennes de prendre la voie du développement.