En quête de sécurité et d'une vie meilleure depuis la jungle de Calais
CALAIS, France, 8 août (HCR) - Il est presque minuit. Farad*, Yacine* et une dizaine d'autres réfugiés sont assis autour d'un feu et boivent du thé dans un abri de fortune dans ce que l'on appelle la « jungle » de Calais. Ils parlent de leur fuite du Soudan, de leur dangereux périple pour atteindre l'Europe et Calais, de leurs projets et de leurs espoirs pour l'avenir.
C'est la dernière nuit de Yacine dans la jungle et il a réuni tous ses amis pour fêter son départ. Demain matin, à 6 heures, il quittera Calais pour se rendre à Paris en train, puis à Metz, où une chambre lui a été attribuée dans un centre d'hébergement pour demandeurs d'asile.
Yacine est arrivé à Calais il y a six mois, après avoir fui le Soudan et poursuivi son itinéraire vers l'Europe à travers la Libye. Il a passé six mois en route et a voyagé en camion, bateau et train avant d'atteindre Calais où il a déposé une demande d'asile. Il vient d'avoir son premier entretien à l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) et s'est vu attribuer une chambre dans un centre d'hébergement. L'un de ses amis, qui est déjà allé à Paris, lui explique comment changer de gares entre la Gare du Nord et la Gare de l'Est où il prendra son train pour Metz le lendemain matin.
« Je suis à la fois triste et heureux. Ce soir, je suis triste de quitter mes amis dans la jungle mais demain je serai heureux d'être hébergé à Metz », me raconte Yacine* avec un grand sourire.
Tous les amis présents pour fêter son départ ne sont pas aussi chanceux. Ils disent tous avoir fui la violence et le conflit et ils racontent leurs craintes et leur fuite, mais ils n'ont aucune solution pour l'avenir. Ils disent qu'ils ont avant tout besoin d'une protection.
Ibrahim*, 30 ans, est arrivé à Calais en novembre 2014. Il est originaire du Darfour au Soudan. Il a fui son pays après avoir été arrêté et torturé et il s'est rendu en Europe en traversant la Libye et l'Italie, avant d'arriver à Calais. Ses empreintes digitales ont été relevées en Italie mais il ne voulait pas y rester. Son projet était d'aller au Royaume-Uni où ce serait plus facile pour lui pour des raisons linguistiques.
« Quand je suis arrivé à Calais, je suis allé au squat. Les gens m'ont dit que si j'allais au Royaume-Uni, je serais renvoyé en Italie et que l'Italie me renverrait au Soudan. Une personne du squat m'a conseillé de demander l'asile ici. J'ai rencontré Faustine et je lui ai raconté mon histoire. Elle m'a donné des informations sur la procédure d'asile en France et m'a aidé à prendre rendez-vous avec un avocat », raconte Ibrahim.
Faustine est une assistante sociale employée par l'ONG française France Terre d'Asile qui gère un programme à Calais en partie financé par le HCR. Elle travaille à Calais et parcourt quotidiennement la « jungle » (ou la lande) pour donner des informations aux migrants et aux réfugiés sur la procédure d'asile en France. Elle les aide aussi au cours de la procédure et assure un suivi auprès d'eux en cas de questions ou de difficultés.
Depuis début 2015, près de 1 000 demandes d'asile ont été déposées à Calais.
« Parmi les personnes qui séjournent dans la lande à Calais, beaucoup sont des réfugiés. Ils ont fui le conflit, la violence et la persécution au Soudan, en Erythrée, en Somalie et en Syrie et ils ont besoin d'une protection internationale. Ils font partie des 225 000 personnes qui sont arrivées par la mer Méditerranée et qui sont entrées en Europe cette année, principalement via la Grèce ou l'Italie », explique Philippe Leclerc, Représentant du HCR en France.
Mais les délais pour déposer une demande d'asile en France et avoir accès à un hébergement décent peuvent durer des mois. Pendant ce temps, les personnes comme Ibrahim dorment dans des abris de fortune dans la jungle de Calais. Comme il est entré en Europe par l'Italie mais qu'il ne voulait pas demander l'asile dans ce pays, il a dû attendre six mois avant de pouvoir demander l'asile en France. Ce délai, dicté par le règlement Dublin, vient d'expirer et il a démarré la procédure d'asile en France.
« Je suis allé à la préfecture et j'ai demandé l'asile en juin. Ils m'ont donné un rendez-vous sept jours plus tard. Ils m'ont dit que je devais attendre d'être convoqué pour un entretien avec l'OFPRA. J'attends depuis lors. Demain ou la semaine prochaine, je recevrai peut-être la convocation à l'entretien. La vie ici est très difficile », soupire Ibrahim.
Ibrahim vit dans un abri de fortune à Calais depuis près d'un an, d'abord dans un squat puis dans la jungle. Il espère avoir bientôt un entretien avec l'OFPRA et une chambre dans un centre d'hébergement.
L'administration française a renforcé son personnel chargé d'examiner les requêtes d'asile depuis octobre 2014 et l'OFPRA examine les demandes en priorité, ce qui a conduit 1 000 personnes à déposer une demande d'asile à Calais en 2015.
« L'asile en France devrait devenir la principale alternative aux traversées irrégulières de la Manche pour les personnes qui ont besoin de protection. Si les personnes ont un lien étroit avec un autre pays de l'UE, le premier entretien Dublin effectué par la sous-préfecture devrait permettre d'identifier ce pays et les fonctionnaires français devraient demander un transfert de responsabilité à cet Etat. Les délais pour déposer une demande d'asile doivent être raccourcis et les demandeurs d'asile devraient avoir un accès rapide à un hébergement décent pendant la procédure », ajoute Philippe Leclerc.
D'autres n'ont pas la patience d'attendre des mois pour demander l'asile en France et préfèrent tenter leur chance en traversant la Manche pour se rendre au Royaume-Uni.
Farad*, 26 ans, a également fui la violence au Soudan. C'est l'un des amis de Yacine à Calais. Il est heureux que Yacine ait obtenu une chambre dans un centre d'hébergement mais il estime que ce n'est pas pour lui car les délais pour demander l'asile en France sont trop longs et les chances d'obtenir une protection trop faibles. Il préfère tenter sa chance au Royaume-Uni. Il a de la famille là-bas et parle bien l'anglais, mais pas le français.
« Je suis arrivé à Calais en mai et je suis resté ici depuis lors. La difficulté est de tenir bon. J'ai besoin d'être protégé et je veux demander l'asile au Royaume-Uni. Je n'ai pas demandé (l'asile) en France après m'être rendu compte de ce qui se passe ici. La procédure est très longue et les dossiers sont rejetés », déclare Farad.
« J'ai une formation en génie civil et je souhaite terminer mes études. C'est très difficile pour moi d'étudier ou de travailler ici (en France). Dans mon travail, je dois pouvoir échanger avec des personnes, mais je ne parle pas français et je ne connais personne. Au Royaume-Uni, j'ai de la famille et je parle la langue. Je dois passer un Master et ensuite j'aimerais faire un doctorat. Je suis très ambitieux. Je veux faire quelque chose de bien », conclut Farad.
Par Celine Schmitt à Calais/France
*Les noms ont été changés pour des raisons de protection.