Depuis des mois, c'est le vide juridique pour les habitants d'une localité coupée en deux
Entre les bombardements et le froid dans l'est de l'Ukraine, rendre visite à un parent peut prendre toute une journée.
ZHOVANKA (Ukraine) – Doucement inclinée, la ville se détache de la crête dans un ciel bleu d’hiver. Les gens descendent la colline, apparemment peu incommodés par le crépitement discontinu des tirs derrière eux.
La ville est Zhovanka. Elle est embourbée dans un conflit qui l’a presque coupée en deux.
La ligne divisant le secteur gouvernemental de l’Ukraine du secteur non gouvernemental suit la courbe de la crête.
Elle a séparé Svetlana Brytska de son père âgé de 84 ans.
« Il est de l’autre côté de la crête, dit‑elle. Avant, c’était à 15 minutes à pied. Aujourd’hui, c’est à une demi-journée, et il faut franchir la ligne de démarcation. J’essaie d’y aller une fois par semaine, mais je reste tard. Il est malade. Il a récemment fait un infarctus. Mais il ne veut pas venir vivre avec moi. »
Il ne veut pas partir parce que le cimetière où repose sa femme est situé du côté où se trouve sa maison.
« Il dit qu’il est né là-bas et qu’il mourra là-bas. Beaucoup de personnes âgées ne veulent pas partir et être enterrées n’importe où. Elles veulent être enterrées comme lui, près de leur femme et des membres de leur famille. C’est ce qu’il veut », dit-elle.
Les 247 personnes qui vivent toujours dans la zone gouvernementale de Zhovanka ont passé des mois perdues dans un vide juridique l’année dernière. En effet, au milieu de 2015, les Ukrainiens ont ramené la ligne de démarcation à un point qui traverse leur ville mais, pour une raison quelconque, le secteur sous contrôle gouvernemental n’avait pas été enregistré à Kiev.
« Pendant des mois, jusqu’en décembre 2015, nous étions ici avec rien, dit Svetlana. Nous avions l’impression que personne ne savait où se trouvait Zhovanka. »
Rien ici signifie absence de transport hors de la ville et, surtout, absence de carburant.
« Nous avions l’impression que personne ne savait où se trouvait Zhovanka. »
Fin décembre, alors que le thermomètre descendait au‑dessous de zéro, Svetlana a commencé à téléphoner à des ONG et à des organismes d’aide humanitaire pour les supplier d’intervenir. Les gens brûlaient tout ce qui leur tombait sous la main, y compris leurs vêtements, pour se réchauffer.
Au début du mois de janvier, le HCR a pu distribuer 100 tonnes de charbon aux résidents en proie à de grandes difficultés.
« L’intervention a été extrêmement utile, dit Svetlana. Jusqu’à ce qu’on nous isole complètement. »
Ce n’est que plusieurs mois plus tard, et après l’adoption d’une loi par le Parlement ukrainien, que Svetlana et les autres personnes vivant de son côté de la crête ont officiellement été reconnues comme des habitants du secteur gouvernemental. Les personnes âgées allaient enfin pouvoir s’inscrire pour toucher leur pension.
Depuis le mois de septembre, il y a une liaison par car deux fois par semaine jusqu’à la ville de Bakhmut, où les résidents peuvent récupérer leur pension et acheter les produits dont ils ont besoin.
Tamara Timofeevna et les neuf membres de sa famille vivent en plein sur la crête. Ils vivent au milieu des obus et des balles. Ils sont privés d’électricité depuis plusieurs mois.
« Ils nous tirent dessus et nous n’avons pas de lumière », dit‑elle. La famille vit dans deux maisons, avec une chèvre et des pommes de terre.
« Où pourrions‑nous aller sinon ? demande Tamara. Je devrais trouver un appartement, mais avec ma pension, je ne pourrais pas. »
Sa petite‑fille, qui s’appelle aussi Tamara, montre fièrement cinq doigts lorsqu’on lui demande son âge. Elle est bien habillée et elle sourit ; la descente de la colline est une excursion joyeuse. Elle dit qu’elle apprend à écrire à la maison et elle sait ce qu’elle doit faire lorsque les obus commencent à tomber.
« Je me cache là où il n’y a aucune fenêtre. J’espère que la paix viendra et qu’ils cesseront de tirer. »
« Je cours jusqu’au coin, dit‑elle, et je me cache là où il n’y a aucune fenêtre. J’espère que la paix viendra et qu’ils cesseront de tirer. »
La paix viendra trop tard pour la maison de Natasha. Un obus l’a atteinte en novembre. Aujourd’hui, elle n’est plus qu’une carcasse brûlée.
« C’était une maison normale, une bonne maison », murmure‑t‑elle en déambulant dans les décombres.
« Maintenant… ils l’ont vraiment détruite ». Il y a quelques mois, elle a envoyé ses deux fils, qui sont âgés de 30 et de 17 ans, dans une autre ville.
Au moins la moitié des résidents de ce côté de la crête ont fui les tirs et les bombardements quotidiens. Mais Natasha et son mari sont toujours à Zhovanka, campant avec des amis.
« Où pourrais‑je aller ? demande‑elle. Personne ne veut de nous, n’a besoin de nous. Et c’est mon foyer. »