Une femme forcée par la police de se changer dans un espace public tandis qu’une autre est verbalisée pour ne pas porter « une tenue correcte respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité ». Inconcevable dans un pays comme la France ? Non, c’est arrivé sur la Côte d’Azur pas plus tard que cette semaine.
Ces incidents font suite à une série d’arrêtés municipaux interdisant de fait le port du burkini, et apparemment tout autre vêtement de plage dissimulant la peau porté par des femmes musulmanes, dans environ 30 communes françaises.
Les arrêtés municipaux ont été adoptés à la suite des terribles attaques à Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray.
Bien qu’à l’origine le burkini ait été conçu pour permettre à des femmes musulmanes pratiquantes en Australie de se rendre à la plage et de travailler comme maître-nageuses, il est à présent considéré en France comme une menace à la sécurité publique, et une forme d’ « asservissement », selon les mots du Premier ministre Manuel Valls, qui soutient ces interdictions.
Le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative française, examine aujourd’hui une requête de la Ligue des droits de l’homme visant à faire annuler ces arrêtés. Les requêtes déposées devant les juridictions administratives ont jusqu’ici été un échec. Confirmant une précédente décision rendue le 13 août, le tribunal administratif de Nice a, lundi 22 août, rejeté les recours de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et du Comité contre l’islamophobie (CCIF), les juges estimant l’interdiction du vêtement décrié « nécessaire, adaptée et proportionnée au but poursuivi en matière de protection de l’ordre et de la sécurité publics » dans le contexte de la menace terroriste.
Mais tout ce que ces interdictions réussissent à faire, c’est établir un absurde et dangereux amalgame entre la tenue vestimentaire de certaines femmes musulmanes et les actes de terrorisme odieux qui ont frappé la France, toutes confessions confondues.
Absurde, car au prétexte de défendre les principes républicains français et les droits des femmes, l’interdiction du burkini et d’autres vêtements longs revient en fait à interdire la plage, en plein cœur de l’été, à des femmes qui souhaitent se couvrir le corps en public. Ceci s’apparente à une forme de punition collective à l’encontre des femmes musulmanes pour des actions commises par d’autres.
Alors qu’il revient aux pouvoirs publics de favoriser le vivre-ensemble, de promouvoir l’égalité et les libertés fondamentales, les arrêtés anti-burkini et la relance de l’interminable polémique sur les signes religieux liés à l’Islam qu’ils entraînent, ne font au contraire que stigmatiser les femmes musulmanes pratiquantes. Ils tendent à les exclure de l’espace public – et à les empêcher de le partager avec famille et amis – ainsi qu’à les priver de leurs droits à l’autonomie, aux loisirs, de porter ce que bon leur semble et bien-sûr de pratiquer leur foi.
Passons sur l’argument ridicule de l’hygiène : comment croire sans rire que le burkini serait moins hygiénique que les combinaisons de plongée, les tee-shirts à manches longues portés par les enfants pour les protéger du soleil ?
Les décrets anti-burkini sont non seulement injustes et discriminatoires, ils sont aussi dangereux. Parce que lier une tenue de bain à la menace terroriste, sans qu’aucun fait ne vienne justifier cette assertion, soutient les discours fallacieux et dangereux sur les musulmans, et risque d’exacerber les tensions entre les communautés et tout en renforçant le sentiment d’injustice ressenti par une partie de la population française de confession musulmane.
Quand le tribunal administratif de Nice soutient que la police ne peut « dans le contexte de l’état d’urgence (…) protéger l’expression de convictions religieuses », et plus particulièrement, semble-t-il, lorsqu’il s’agit de la communauté musulmane, l’interdiction du port du burkini est également un exemple concret des risques bien réels que pose un état d’urgence prolongé pour le respect des droits les plus fondamentaux et de l’égalité : risques sur lesquels a alerté Human Rights Watch à plusieurs reprises.
Alors qu’elle sature l’espace politique et médiatique français depuis plusieurs semaines, l’affaire du burkini n’est pas seulement risible, elle est aussi profondément honteuse. En temps d’état d’urgence national, la police française a sûrement mieux à faire que d’humilier des femmes sur les plages du pays.