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Au Canada, d'anciens « boat people » se mobilisent pour les réfugiés syriens

Publisher: La Croix
Author: BIASSETTE Gilles
Story date: 17/12/2015
Language: Français

REPORTAGE Plus de trente ans après avoir été accueillis à Calgary, Van, Thach et Hieu veulent à leur tour venir en aide aux migrants fuyant la répression

CALGARY

De notre envoyé spécial

Pour Van, Thach et Hieu, il est important de regarder derrière soi pour mieux envisager l'avenir. Quand ils ont aperçu, sur leurs écrans de télévision, les images des migrants arrivant en Europe après une traversée périlleuse, laissant des victimes en cours de route, ces Canadiens d'adoption ont songé à leurs propres parcours: eux aussi ont un jour pris la mer pour ne pas être pris par la mort, après la défaite du Vietnam du Sud en 1975.

« Chacun a sa propre histoire, mais nous aussi, nous fuyions alors la répression et la violence, se souvient Hieu Tran, président de la Calgary Vietnamese Canadian Association (CVCA). Dans ces temps difficiles, nous avons été accueillis à bras ouverts par le Canada, et nous n'avons pas oublié cette générosité. Aujourd'hui, c'est à notre tour d'agir. »

Au Canada, le débat sur les réfugiés et leur accueil a animé la campagne des élections législatives, qui s'est achevée le 19 octobre avec la victoire des libéraux. Leur leader, Justin Trudeau, insistant sur l'ouverture du pays sur le monde et sur son rôle historique comme terre d'accueil, avait promis, en cas de victoire, d'accueillir 25 000 réfugiés syriens d'ici à la fin de l'année – bien plus que le premier ministre conservateur sortant.

Des intentions confirmées fin novembre, quand le nouveau gouvernement a dévoilé son plan. Même si Justin Trudeau se donne un peu plus de temps que prévu – l'arrivée des 25 000 réfugiés est étalée dans le temps, jusqu'à fin février –, il tiendra bien son engagement. Un premier groupe de 163 Syriens a été accueilli jeudi dernier par le premier ministre canadien à l'aéroport de Toronto. « Sortis de l'avion en tant que réfugiés, ils ressortiront de l'aérogare en tant que résidents permanents au Canada avec un numéro de sécurité sociale, une carte de santé et une opportunité de devenir pleinement canadiens », a-t-il déclaré.

Ils seront au moins 10 000 à arriver avant la fin de l'année. Pour identifier ces migrants de la guerre, Ottawa a d'ores et déjà commencé à travailler avec le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), l'agence des Nations unies qui gère plusieurs camps de réfugiés, au Liban ou en Jordanie. Le Canada lui a demandé de lui fournir en priorité des dossiers de personnes jugées vulnérables (femmes seules, membres des communautés sexuelles considérées comme étant à risque, etc.). Ottawa a également affiché sa volonté d'accueillir des familles complètes, plutôt que des hommes seuls.

Si l'opinion publique est divisée sur cet accueil massif et rapide – 54 % des Canadiens s'y opposent, selon un sondage publié la semaine passée –, la communauté vietnamienne de Calgary n'a pas attendu les détails du plan gouvernemental pour se mobiliser. Car la loi canadienne autorise des associations, en particulier celles liées à des Églises ou à des communautés, à parrainer des réfugiés – à condition de les prendre en charge pendant un certain temps. Pour garder l'agrément des autorités d'une année sur l'autre, il faut faire la preuve de cette capacité à subvenir aux besoins des nouveaux venus (logement, recherche de travail, etc.).

Les premières opérations visant à lever des fonds ont été lancées par la communauté vietnamienne de Calgary fin novembre. Jeudi 3 décembre, une soirée a été organisée autour des plats traditionnels, et en présence de Howard Adelman, qui fut à l'initiative de « l'opération Lifeline », « la plus grande opération canadienne ayant conduit au sponsoring par le Canada de plus de 60 000 "boat people'' vietnamiens à la fin des années 1970 et au début des années 1980. »

Van, membre, comme Thach, de la direction de la CVCA, qui porte haut les couleurs jaune et rouge du Vietnam du Sud, était peut-être de ceux-là: cette ancienne professeur de français a pris la mer au début des années 1980.

« J'avais beaucoup d'élèves dans l'armée, et je suis partie en bateau avec cinq d'entre eux, se souvient-elle. Mon père était déjà décédé, et j'avais dit à ma mère, quelques années plus tôt, que quand elle mourrait je partirais. C'est ce que j'ai fait. »

Van a aujourd'hui plus de 80 ans, et se réjouit des rares occasions qui lui permettent de parler français. Si elle bute parfois sur certains mots, un large sourire illumine son visage quand la mémoire lui revient. Elle parle de la vie d'avant, de Saïgon, de la cuisine vietnamienne... Mais pas des jours passés en mer, des pirates croisés, à plusieurs reprises, des vols et des humiliations subies.

Entre 1975 et 1985, 8 000 Vietnamiens ont entamé une nouvelle vie dans l'Alberta. Calgary, qui a également ouvert ses portes à des réfugiés africains à la même époque, et dont le maire est aujourd'hui musulman, compte désormais un quartier appelé « Little Saigon », avec ses restaurants et ses commerces d'alimentation.

Mais quand Thach est arrivé ici, en pionnier, il n'y avait rien de tout cela au milieu des vastes prairies. Militaire de l'armée du Sud, il avait fui dès la chute de Saïgon. Débarqué en Californie d'un avion américain, c'est à sa demande qu'il est parti au Canada. « Je voulais pouvoir joindre ma famille restée au pays, explique l'ancien militaire, qui a fait toute sorte de travaux depuis son arrivée dans l'Alberta. Je savais que tout contact était rompu entre les États-Unis et le Vietnam, alors que le téléphone et le courrier passaient toujours entre le Canada et le Vietnam. »

Hieu, le président, est aussi un ancien militaire. Il a gardé de sa jeunesse la même coupe courte. Au Canada, c'est une église qui l'a pris en charge. Il se souvient avec émotion de l'hôtel où on l'a logé, du repas qu'un homme lui amenait régulièrement, du jour où ce même homme l'a conduit à son premier travail dans son nouveau pays... « C'est grâce à eux que nous avons pu refaire nos vies, et retrouver notre dignité », dit-il.

Au total, 100 000 « boat people » ont trouvé refuge au Canada à cette époque. Comme les autres organismes de la communauté vietnamienne, la CVCA veut à son tour faire preuve de générosité. Ensemble, ces associations espèrent lever suffisamment de fonds pour parrainer plusieurs centaines de Syriens. En espérant pour eux un autre destin: Hieu, Van et Thach, qui ne comptent pas retourner au Vietnam tant que le pouvoir restera aux mains des communistes, savent que leur exil sera probablement sans fin.

Cet été, Van a participé à un long voyage collectif en Asie, se recueillant sur plusieurs sites ayant hébergé des «boat people», en Indonésie notamment. Elle se souvient d'une plage où le groupe a prié, et pleuré. « En face, de l'autre côté de la mer, c'était mon pays. Je sais que je ne le reverrai pas avant de mourir », lâche-t-elle en souriant tristement.
 

Refugees Daily
Refugees Global Press Review
Compiled by Media Relations and Public Information Service, UNHCR
For UNHCR Internal Distribution ONLY
UNHCR does not vouch for the accuracy or reliability of articles in Refugees Daily