La menace des gangs entraîne des déplacements accrus au Honduras

Au cours de la décennie précédant 2014, environ 174 000 Honduriens ont été forcés à se déplacer à l'intérieur de leur pays à cause de la violence des gangs de rue et beaucoup ont encore besoin de protection.

Un élève rentre de l'école dans la communauté de La Era à Tegucigalpa, Honduras.
© HCR/Tito Herrera

Yessenia* était au coin de la rue un après-midi de mars quand elle a vu un groupe de quatre jeunes hommes en train de frapper un individu. Ils l’ont aussi vue. « C’est la prof ! », a-t-elle entendu crier avant qu’ils se dispersent.


Le garçon abandonné sur place avait été si grièvement battu que, dans un premier temps, Yessenia n’a pas reconnu qu’il s’agissait d’un de ses élèves à l’école primaire où elle enseignait à Tegucigalpa, la capitale du Honduras.

« Si je n’étais pas arrivée, il l’aurait tué », raconte-t-elle.

Mais la consolation de savoir qu’elle avait peut-être sauvé la vie du garçon a été de courte durée. Deux jours plus tard, elle a vu un autre groupe de jeunes qu’elle n’a pas reconnu près de l’école où elle travaillait. Dans l’impossibilité de les éviter dans la rue, elle leur a dit « bonjour », tout en baissant les yeux.

Plus tard dans la soirée, elle a appris que les membres présumés d’un gang de rue ou « mara » – qui commettent des crimes allant de l’extorsion au vol et au meurtre – avaient essayé de kidnapper un homme de 21 ans avant que la police n’arrive pour secourir la victime.

Presque tous connaissent une famille dont la maison a été incendiée, un fils recruté par les gangs

Les gangs assassinent fréquemment les témoins de leurs crimes. Yessenia avait été témoin de deux crimes en quelques jours et savait qu’elle serait considérée comme une collaboratrice de la police si les auteurs étaient poursuivis.

Rongée par la peur et l’anxiété, elle n’arrivait plus ni à manger, ni à dormir et elle a alors commencé à faire de l’hypertension. Elle a demandé sa mutation et a fui l’école dans laquelle elle enseignait depuis 12 ans sans dire à personne la vraie raison de son départ.

Cette femme de 56 ans fait désormais partie des dizaines de milliers d’Honduriens qui ont été forcés à se déplacer à l’intérieur des frontières de ce pays d’Amérique centrale en raison de la violence dévastatrice des gangs. Un rapport gouvernemental publié l’année dernière estimait que 174 000 personnes avaient été déplacées à l’intérieur du pays au cours de la décennie précédant 2014. Un nombre croissant de personnes ont également cherché asile à l’étranger.

Une habitante marche dans le quartier de El Bosque, situé dans le centre de Tegucigalpa. Cette zone comme beaucoup d'autres dans la capitale hondurienne est considérée dangereuse en raison de la présence gangs locaux connus sous le nom de « maras ».   © HCR/Tito Herrera

Alors qu’elle était encore à l’école, Yessenia recevait des appels téléphoniques affolés de parents d’élèves qui demandaient désespérément que leurs enfants soient transférés dans des écoles en dehors du quartier miné par la criminalité. Elle explique que 60 élèves ont quitté l’école entre mars et mai, soit presque la moitié des inscrits. Le directeur de l’école a également fui.

Les familles de San Pedro Sula, la deuxième plus grande ville du pays qui a connu le taux d’homicide le plus élevé au monde en 2014, vivent dans la même crainte. Les habitants du quartier Rivera Hernández, gangréné par la criminalité, déclarent que de nombreux voisins abandonnent leur maison pour partir aux Etats-Unis et au Mexique.

Quand on s’entretient avec les membres de la communauté sur place, presque tous connaissent une famille dont la maison a été incendiée, un fils recruté par les gangs, un proche assassiné ou en fuite.

San Pedro Sula, la deuxième plus grande ville du pays a connu le taux d’homicide le plus élevé au monde en 2014

« Ils partaient en masse », explique Dolores,* la principale d’une école locale. Elle indique qu’actuellement environ dix élèves par an quittent l’école à cause des menaces ou de la violence des maras.

María* fait partie de ces élèves. La jeune fille de 16 ans aimait beaucoup aller à l’école mais elle explique qu’elle a dû abandonner son rêve d’étudier la finance quand un gangster local l’a voulue  comme petite amie.

« Je savais que si j’allais avec lui et que les choses tournaient mal, cela se passerait très mal pour moi », raconte-t-elle. Sept gangs différents sont en compétition pour le contrôle de Rivera Hernández. Dans un endroit où les gangs luttent pour gagner des territoires, rue par rue afin d’extorquer les commerçants, être associée à un mara pourrait signer son arrêt de mort si elle se trouvait dans la mauvaise rue.

Maria a essayé de repousser les avances du membre du gang mais il insistait. Il l’attendait à l’extérieur de l’école. Il la suivait. Craignant d’être forcée d’avoir une relation avec lui ou d’être violée, Maria a fait la seule chose qu’elle pouvait pour l’éviter : elle a arrêté d’aller à l’école.

 

Une employée du HCR accueille une habitante du centre communautaire de Augusto Alvarado Castro à San Pedro Sula, la deuxième ville du Honduras.  © HCR/Tito Herrera

Le représentant du HCR au Honduras, Andrés Celis, explique que le type de violence qui conduit au déplacement ou perturbe d’une autre façon la vie des habitants comme Yessenia et Maria représente un défi pour le gouvernement. Des mécanismes existent pour permettre à une personne de solliciter la protection de l’Etat mais chaque cas est géré de façon ad hoc.

C’est la raison pour laquelle le Rapporteur spécial des Nations Unies pour les personnes déplacées Chaloka Beyani a recommandé que le Honduras adopte des mesures visant à créer un système qui expose clairement la réponse du gouvernement pour une personne fuyant la violence et notamment de lui permettre   de se déclarer déplacée en toute sécurité et lui offrir un abri et une relocalisation.

Mais avant qu’un tel système ne puisse fonctionner correctement, le gouvernement doit agir pour rétablir la confiance entre la police et les communautés. La peur qui conduit les personnes à fuir leur foyer les empêche également de demander de l’aide, considérant que toute visibilité pourrait menacer leur vie. C’est particulièrement vrai quand les déplacés voient la police et d’autres autorités gouvernementales comme complices des maras.

La peur qui conduit les personnes à fuir leur foyer les empêche également de demander de l’aide

Jusqu’à présent, le Honduras est le seul pays d’Amérique centrale à reconnaître officiellement le déplacement forcé de ses citoyens dû  à la violence des gangs. Il s’est engagé à rédiger une loi d’ici la fin de l’année afin de formaliser les mécanismes destinés à protéger les personnes qui fuient la violence. Cependant, la capacité de l’Etat à fournir une protection de base et des ressources aux personnes qui en ont besoin est limitée.

L’agence des Nations Unies pour les réfugiés répond par des mesures ciblées comme l’apport d’une assistance technique au gouvernement et aux autorités locales afin qu’ils élaborent des politiques publiques et appliquent des cadres juridiques nationaux pour la protection des personnes déplacées par la violence. D’autres mesures incluent la surveillance des zones de déplacement interne risquées, ainsi que l’amélioration des conditions d’accueil.

« Nous ne pouvons pas attendre que la situation continue de se détériorer », explique Andrés Celis. « Le gouvernement du Honduras a fait appel au UNHCR et a reconnu qu’il existe un problème de déplacement forcé. Quand ils nous appellent, nous devons répondre ».

* Les noms ont été modifiés pour des raisons de protection.