En Méditerranée, le bilan s'alourdit depuis début 2016
Selon le HCR, la série de naufrages et de chavirages survenus la semaine dernière aurait causé la mort d'au moins 880 personnes.
GENEVE, 31 mai (HCR) – Au moins 880 personnes seraient mortes noyées la semaine dernière durant une série de naufrages et de chavirages en Méditerranée, a déclaré l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés.
« Un si grand nombre de décès qui sont survenus en quelques jours et mois est choquant et montre combien ces traversées sont périlleuses », a indiqué le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés Filippo Grandi.
Le HCR a déclaré, lors d’un point de presse à Genève, que les tout derniers chiffres étaient arrivés juste après de nouvelles informations reçues lors d’entretiens avec des survivants ramenés sur la côte en Italie.
« Alors que trois naufrages nous avaient déjà été signalés dimanche, nous avons reçu, de la part de personnes ayant débarqué à Augusta ce week-end, des informations selon lesquelles 47 personnes sont portées disparues après qu’un radeau se soit dégonflé avec à son bord 125 personnes depuis la Libye », a déclaré le porte-parole du HCR William Spindler.
Il a ajouté que huit autres personnes auraient par ailleurs perdu la vie après être passées par-dessus bord dans un autre bateau. Enfin, quatre décès ont été signalés après un incendie à bord d'une troisième embarcation.
« L’année 2016 se révèle particulièrement meurtrière. On déplore à ce jour la perte de 2510 vies humaines, par rapport à 1855 pour la même période en 2015 »
« L’année 2016 se révèle particulièrement meurtrière. On déplore à ce jour la perte de 2510 vies humaines, par rapport à 1855 pour la même période en 2015 et 57 pour les cinq premiers mois de 2014 », a ajouté William Spindler.
Il a aujouté qu’en Méditerranée, la probabilité de décès lors d’une traversée s’élève actuellement à une personne sur 81. Cela souligne l'importance des opérations de sauvetage dans le cadre de la réponse aux mouvements de réfugiés et de migrants en Méditerranée, ainsi que la nécessité d’alternatives concrètes et plus sûres pour les personnes ayant besoin d'une protection internationale.
Les chiffres du HCR montrent également que, cette année, 203 981 personnes ont déjà effectué la traversée. Près de trois quarts d'entre elles sont parties depuis la Turquie vers la Grèce avant la fin mars et quelque 46 714 d’entre elles ont effectué la traversée vers l’Italie. C’est quasiment le même nombre que le total enregistré durant les cinq premiers mois de 2015 (47 463).
« L’itinéraire depuis l’Afrique du Nord vers l’Italie est bien plus dangereux : 2119 décès ont déjà été signalés cette année parmi les personnes ayant effectué cette traversée, avec une probabilité de décès s’élevant à une personne sur 23 », a expliqué William Spindler.
Le HCR a réitéré son appel à mettre en œuvre davantage d’opérations de répression contre les passeurs.
« D’une part, il faut se concentrer sur la façon dont il faut lutter efficacement contre les passeurs, mais des alternatives concrètes et plus sûres sont essentielles pour ne plus voir de telles pertes en vies humaines année après année », a ajouté Filippo Grandi.
Le HCR fait son possible pour établir les raisons possibles et les dynamiques motivant ces mouvements. La majorité des bateaux au départ de la Libye sont actuellement signalés au départ de la zone de Sabratah à l'ouest de Tripoli.
« Comme dans le passé, ils sont davantage surchargés que ceux entre la Turquie et la Grèce. Souvent, ils comptent 600 passagers ou plus à leur bord. Parfois ces embarcations sont remorquées par de plus grands bateaux de pêche ce qui leur fait courir encore davantage de dangers », a ajouté William Spindler.
Selon certaines sources non confirmées, la récente augmentation du nombre des passagers est liée aux efforts des passeurs pour maximiser leur revenu avant le début du mois sacré du Ramadan, la semaine prochaine.
Les itinéraires de traite d’êtres humains via la Libye
Selon les survivants, des passeurs opérant au Niger, par exemple, demeurent actifs dans l’envoi de personnes depuis l’Afrique de l'Ouest vers la Libye, où beaucoup restent pendant plusieurs mois avant d'être placées sur des bateaux pour la traversée vers l'Europe.
Des informations sont couramment rapportées concernant des traumatismes résultant d’abus sexuels et d’autres formes de violence sexistes parmi les femmes qui effectuent la traversée - ou sur le fait d’être des victimes de la traite d’êtres humains.
« Nous avons également observé une hausse des arrivées d’enfants non accompagnés. »
« Certaines femmes nous ont signalé avoir été soumises à l'esclavage sexuel en Libye. Nous avons également observé une hausse des arrivées d’enfants non accompagnés », a ajouté William Spindler.
Certains des premiers survivants ont mentionné être partis depuis Subratha, en Libye, à bord d'un grand navire qui transportait plus de 700 personnes sur trois niveaux. Parmi eux, beaucoup de femmes et d'enfants, dont beaucoup sont restés sous le pont à l'intérieur.
Lorsque les passagers ont vu les sauveteurs s’approcher, ils se sont tous déplacés du même côté du bateau et le changement soudain de poids a brusquement causé le chavirement du bateau. Dans le chaos qui a suivi, certains ont nagé, mais beaucoup sont restés piégés à l'intérieur du navire.
Hamin*, la trentaine, a expliqué au personnel du HCR comment il a réussi à sauver deux personnes: « Je suis un bon nageur, je l'ai toujours vécu au bord de la mer, donc je n’ai pas peur de l'eau. Je nageais et tout autour de moi, il y avait tant de corps. Avec mon bras droit, je tenais une petite fille du Soudan, très jeune, probablement seulement âgée de six ou sept mois. Et avec mon bras gauche, j'ai aidé une dame syrienne. Elle avait si peur, elle ne savait pas nager. »
Ils ont ensuite été secourus par le personnel du bâtiment de la marine italienne Bettica et ils ont été soulevés à bord de ce navire.
« Je voulais revenir en arrière dans l'eau et aider d'autres personnes, mais la marine italienne ne m’a pas laissé, ils ont dit que c’était trop dangereux », a-t-il poursuivi.
Une fois en sécurité à terre dans le port sicilien de Porto Empedocle, les personnes secourues souriaient avec soulagement. Mais beaucoup savaient aussi qu'ils avaient perdu de chers amis ou des membres de leur famille.
Un jeune homme du Soudan a déclaré au personnel du HCR qu'il avait perdu 10 cousins et amis proches. Il était désespéré de lancer un appel. Il a montré un petit morceau de papier avec un numéro de téléphone et il a demandé un téléphone : « Je ne dois appeler qu’une seule personne, puis il passera les terribles nouvelles pour les proches, je dois passer ce coup de téléphone, je leur dois ça », a-t-il expliqué tristement.
Un jeune homme libyen a ajouté : « Je n’ai pas besoin d'un téléphone, je n'ai personne à appeler, j'ai perdu tout le monde. »
A ce jour, le HCR n'a aucune preuve sur un changement d’itinéraire important des Syriens, Afghans ou Iraquiens depuis la traversée entre la Turquie et la Grèce vers celle de la Méditerranée centrale. Cette année, les principales nationalités sur la route depuis la Libye vers l'Italie sont des Nigérians et des Gambiens bien que, parmi les nationalités les plus couramment observées dans les mouvements de réfugiés, neuf pour cent étaient des Somaliens et huit pour cent des Erythréens.
*Noms fictifs pour des raisons de protection