Slovénie : un centre d'accueil chaleureux pour des réfugiés après leur fuite éprouvante
Le programme de réinstallation de l'UE facilite l'envoi des demandeurs d'asile dans des pays en Europe afin de réduire la pression sur la Grèce, la Turquie et l'Italie.
« Je dois me pincer, car j’ai l’impression de rêver », dit Mazen Al‑Khatib Al‑Masri, un pharmacien dont la famille est enfin en sécurité en Slovénie après avoir fui le danger à Damas.
Il se souvient encore de son arrivée sur une île grecque inhabitée et de sa vie « à la Robinson Crusoé ». « Il n’y avait que des dauphins dans la mer », ajoute sa femme, Heba Kanon, tout en montrant une photo de leur bateau sur son téléphone.
Mazen, 43 ans, et Heba, 30 ans, ainsi que leur fille et leurs deux fils, font partie des 34 demandeurs d’asile réinstallés en Slovénie dans le cadre d’un programme de l’Union européenne (UE) visant à un partage de la responsabilité en Europe. En tout, la Slovénie, avec sa population d’à peine plus de deux millions d’habitants, accueillera 567 réfugiés d’ici la fin de l’année prochaine. Vingt‑huit des nouveaux arrivants sont des Syriens et des Iraquiens qui ont transité par la Grèce. Les six autres sont des Érythréens ayant transité par l’Italie.
« Nous attachons une grande importance au programme de réinstallation de l’UE », dit Vito Trani, le Représentant du HCR à Ljubljana, la capitale slovène. « Nous espérons qu’il contribuera à réduire la pression sur la Grèce, la Turquie et l’Italie. Les réfugiés verront comment il fonctionne et transmettront l’information aux autres. Bien entendu, la crise des réfugiés n’est pas terminée. Les frontières des pays des Balkans étant fermées, de nombreux réfugiés pourraient essayer d’autres routes cet été. »
« Les frontières des pays des Balkans étant fermées, de nombreux réfugiés pourraient essayer d’autres routes cet été. »
Entouré de verdure et d’arbres, le Centre d’hébergement temporaire de Logatec, où les réfugiés attendent le traitement de leurs demandes de résidence, ressemble plus à un village de vacances alpin qu’à un camp de réfugiés. Les dortoirs sont peints de couleurs vives. Le linge sèche sur les cordes, plutôt que sur les clôtures de barbelés. Les enfants font du vélo et, par une fenêtre ouverte, on entend des adultes chanter les nombres de un à 20 pendant un cours d’anglais pour débutants.
« L’Iraq et la Slovénie ? On ne peut pas comparer ces deux pays », dit Tarek Selman Husain, 57 ans, un chauffeur de taxi arrivé depuis Bagdad avec sa femme, Zeinab Muhsain Mahdi, 37 ans, et leurs enfants. « Ce pays est beau, et les gens sont gentils. Je t’aime, je t’aime, je t’aime la Slovénie, parce que tu es comme une mère qui embrasse ses enfants. »
Tarek voulait être réinstallé en Allemagne plutôt qu’ailleurs, mais, à sa surprise, il a découvert que la Slovénie pouvait lui offrir ce qu’il cherchait : « La sécurité et l’éducation, ainsi qu’un avenir prometteur pour mes enfants ».
Tarek et sa famille sont des musulmans sunnites qui habitaient dans un quartier chiite de Bagdad. « Des personnes sont venues la nuit, des miliciens masqués, et ils nous ont dit que si nous voulions vivre, nous devions partir immédiatement », se rappelle-t-il, en montrant une vidéo de son taxi jaune, incendié par les attaquants. « Ma tension a fait un bond, mes jambes ont fléchi. Nous avons fait nos valises et nous sommes allés chez mon frère, mais nous ne nous sentions toujours pas en sécurité. »
La photo suivante sur le téléphone de Tarek montre le corps ensanglanté de son frère. Tarek s’effondre et quitte la pièce quelques minutes pour se redonner une constance.
Puis, continuant son histoire, il raconte comment la famille s’est rendue en Turquie en 2014, sans savoir que les réfugiés ne pouvaient pas travailler dans ce pays. En désespoir de cause, la famille a emprunté de l’argent pour la traversée entre la Turquie et la Grèce ; elle est arrivée sur l’île de Samos en mars cette année.
« Le HCR nous a parlé du programme de réinstallation, dit Tarek. J’étais dans un fauteuil roulant à ce moment-là, car mes jambes étaient enflées. Le passeur m’a mis dans le fond du bateau, et d’autres personnes étaient sur moi. Mes jambes ont été écrasées. »
Selon Tarek, la réinstallation s’est faite de façon rapide et ordonnée. Le 12 mai, la famille a pris l’avion pour se rendre d’Athènes à Ljubljana.
Aujourd’hui, Tarek danse avec sa femme sur la pelouse à Logatec. « Je dors la nuit, s’exclame-t-il. J’irai marcher dans la montagne, inchallah. Je rêve de conduire un minibus. Pourquoi pas ? La vie est faite de larmes et de rires. »
Pour Mazen, le pharmacien de Damas, le processus de réinstallation a été plus traumatisant. Mazen et sa famille ont fui la Syrie parce que des roquettes sont tombées près de leur maison ; ils ont essayé de s’établir en Turquie, en vain. Cette année, en mars, quittant leurs parents âgés, ils sont partis en bateau pour la Grèce. Le voyage a été une épreuve. « Je ne peux pas croire que nous avons survécu au périple », dit Mazen.
Des sauveteurs les ont conduits de l’île inhabitée où ils sont arrivés à l’île de Chios. « J’avais appris l’existence du programme de réinstallation sur Internet, mais, lorsque nous sommes arrivés en Grèce, c’était comme si le programme était un énorme mensonge. Sur Chios, personne ne savait de quoi il s’agissait. »
Le transfert vers Lesbos s’est avéré tout aussi angoissant. « C’était un vrai bazar. Nous avons passé neuf jours sous une tente sans électricité et nous devions parcourir une longue distance à pied pour obtenir de l’eau. Ces neuf jours nous ont paru aussi longs que neuf mois. Après toute la souffrance que nous avions endurée en Syrie, ce fut un choc pour nous de constater le chaos en Europe. »
« Après toute la souffrance que nous avions endurée en Syrie, ce fut un choc pour nous de constater le chaos en Europe. »
Aujourd’hui, en Slovénie, Mazen a hâte de repartir dans la vie. « Jusqu’ici, tout va bien, dit‑il. Nous apprenons l’anglais et le slovaque et nous jouons au tennis de table. Mais j’ai le sentiment d’être tombé très bas. Je ne peux même pas acheter un vélo à mon enfant. Mes fils parlent plus de chars et d’armes que de leurs devoirs. Je n’ai plus de rêves. Je veux simplement subvenir aux besoins de ma femme et de mes enfants et leur permettre d’avoir une vie agréable. »
Une autre famille originaire de Syrie réside dans la pièce voisine. Mahmoud Sabagh, un tailleur âgé de 49 ans, et sa femme, Zahra Zamar, âgée de 40 ans, ont fui Alep avec leurs deux plus jeunes fils parce que, comme le dit Mahmoud : « Vous partez de chez vous le matin et vous ne savez pas si vous rentrerez vivant le soir. Il y a des hélicoptères qui larguent des barils d’explosifs, des tireurs embusqués, des enlèvements et des braquages. Le danger est tout autour de vous. »
La famille est contente d’être en Slovénie. « Nous n’avons pas tout ce que nous voudrions avoir, mais nous sommes agréablement surpris par la population locale et l’environnement », dit Zahra, qui espère recommencer à travailler comme coiffeuse « pour se sentir utile et avoir un but ».
Quand je lui demande ce qui lui manque, Zahra se met à pleurer et répond en un seul mot : « Alep ».
« Le HCR et la Croix‑Rouge attendaient sur l’île de Lesbos. »
Mahmoud explique que son fils aîné est resté au Liban. « Nous ne voulions pas qu’il soit enrôlé dans l’armée syrienne. Nous avons aussi deux belles filles. J’avais peur qu’elles se fassent violer. J’ai marié Nour avec un homme de Damas et ils sont en Turquie. Notre autre fille, Sara, est au Liban. »
Le voyage depuis Alep a été éprouvant. « Nous avons quitté la Turquie il y a quatre mois et demi, dit Mahmoud. Nous avons pris la route que contrôle Daech. Normalement, le trajet dure une heure, mais il a duré 20 heures cette fois. On nous a tiré dessus du côté turc, avec des balles en caoutchouc et de vraies balles. »
En comparaison, le trajet en bateau jusqu’à la Grèce s’est bien passé. « Le HCR et la Croix‑Rouge attendaient sur l’île de Lesbos. Ils ont bien pris soin de nous. Nous en étions presque gênés. Ils ont même regardé si nos pieds étaient mouillés. »
Aujourd’hui, en Slovénie, le rêve de Mahmoud est de reconstruire et d’être financièrement autonome. « Je veux que nous ayons notre propre maison, près de la mer même, et loin du cauchemar que nous avons quitté. »