La réinstallation en tant qu'instrument de protection : problèmes traditionnellement associés à la recherche de cette solution durable et orientations nouvelles pour les années 90La réinstallation en tant qu'instrument de protection : problèmes traditionnellement associés à la recherche de cette solution durable et orientations nouvelles pour les années 90
EC/SCP/65
Introduction
1. Le Comité exécutif a toujours souligné l'importance de la réinstallation et la question figure en bonne place dans plusieurs décisions et conclusions adoptées au cours de sessions précédentes.1 En raison des faits importants qui se sont produits ces deux dernières années, la réinstallation pourrait prendre une dimension nouvelle dans les années 90, où l'on insistera davantage sur certains aspects tels que le rapport entre cette solution durable et la protection internationale, la nécessité de disposer de quotas suffisants, la réinstallation d'urgence, l'admission de groupes vulnérables et le partage de la charge, à propos desquels les gouvernements devront se montrer plus compréhensifs. Le Haut Commissariat aura de nombreux et impressionnants défis à relever durant la décennie, en particulier en ce qui concerne les besoins de réinstallation et l'ampleur de la tâche dans les années à venir. Il lui faut pour cela repenser la question et il étudie actuellement la possibilité d'aborder cette solution durable sous des angles nouveaux.
2. Les activités de réinstallation du HCR sont principalement limitées aux personnes considérées comme des réfugiés au sens de la Convention ou aux réfugiés relevant du mandat du Haut Commissaire et elles sont associées à des mesures de protection et à des solutions durables appropriées. De fait, on n'a recours à la réinstallation, en dernier ressort, que si le rapatriement librement consenti ou l'intégration sur place ne sont pas possibles et qu'elle représente l'unique moyen dont on dispose Pour assurer la protection du réfugié et/ou lui offrir un avenir compatible avec le respect des droits de l'homme fondamentaux.
3. La réinstallation permet d'assurer la sécurité juridique et/ou physique d'un réfugié qui se trouve dans l'une ou plusieurs des situations ci-après :
si sa sécurité est menacée dans le pays d'asile, par exemple s'il est harcelé par des personnes ayant un rapport plus ou moins direct avec celles qui le persécutaient dans son pays d'origine;
s'il est exposé, à plus ou moins long terme, à une mesure de refoulement dans son pays d'origine, ou de déportation dans un autre pays, en raison du non-respect de la Convention ou de son Protocole de 1967 (ou au titre de réserves apportées à ces instruments);
si sa vie ou sa liberté sont menacées dans le pays d'asile, au sens prévu dans la définition du réfugié, au point que le séjour dans ce pays devient intenable;
s'il a besoin d'une protection particulière en raison d'attaques armées ou d'opérations de recrutement forcé menées dans les zones où sont installés des demandeurs d'asile ou des réfugiés.
4. La réinstallation n'est pas uniquement destinée à garantir la sécurité des individus; elle peut aussi viser à fournir une protection humanitaire. Elle concerne alors principalement les cinq catégories de réfugiés ci-après, qui sont considérés par le HCR comme des groupes vulnérables, et s'applique également aux réfugiés vivant de longue date dans un camp et qui méritent aussi une attention concertée :
les femmes vulnérables;
les victimes de tortures ou de violences;
les réfugiés souffrant d'un handicap physique ou de troubles mentaux;
les personnes ayant besoin de soins médicaux qui ne peuvent leur être prodigués dans le pays d'asile;
les réfugiés vivant de longue date dans un camp, la durée minimum pour appartenir à cette catégorie pouvant être plus ou moins longue en fonction de la situation qui prévaut dans le pays visé ou des conditions dans lesquelles l'asile leur a été offert (notamment en cas de détention, refus du droit au travail, du droit à l'éducation des enfants, etc.), lorsque aucune autre solution durable ne peut être envisagée.
5. La réinstallation aux fins de protection humanitaire est la solution adoptée dans le cas des réfugiés qui entrent dans l'une des catégories susmentionnées de même qu'au titre du regroupement familial. En raison de la difficulté de trouver des lieux de réinstallation en dehors de la région et des problèmes d'adaptation culturelle que connaissent les personnes réinstallées, le HCR affiche une grande prudence avant d'adopter une décision de réinstallation et s'efforce, dans la mesure du possible, de trouver un lieu de réinstallation dans la même région. Ces dernières années, des opérations de réinstallation dans le cadre de la région ont pu être menées à bien, sous les auspices du HCR, en Amérique latine et en Afrique.
Evolution des activités du HCR
6. Tout au long des années 50 et 60, les activités de réinstallation du HCR ont principalement bénéficié à des réfugiés européens dont l'accueil et l'assimilation dans les pays de réinstallation en Europe, en Amérique du Nord et en Australie étaient d'autant plus faciles qu'ils y étaient au contact de populations de même origine, dans l'ensemble.
7. Dans les années 70, les besoins en matière de réinstallation se sont déplacés de l'Europe vers l'Amérique latine, puis l'Afrique et enfin l'Asie du Sud-Est. Ces quinze dernières années, l'essentiel des activités de réinstallation du HCR ont été axées sur l'Asie du Sud-Est où, depuis 1976, plus de 1,2 million d'Indochinois ont été réinstallés sous les auspices du Haut Commissariat.
8. En dépit du nombre impressionnant de réfugiés indochinois réinstallés et de tout le mérite revenant aux gouvernements qui se sont associés à cet effort, force est de constater que, d'une manière générale, la réinstallation n'est recherchée, dans une année donnée, que pour une infime fraction du nombre global de réfugiés placés dans le monde sous la responsabilité du HCR.
Obstacles à la réinstallation
9. En 1990, le HCR n'a cherché à réinstaller qu'un peu moins de 150 000 réfugiés, ce qui représente environ 1 % d'une population de réfugiés de plus de 15 millions dans le monde. Sur le nombre total de réinstallations prévues par le HCR, 52 000 départs seulement ont été enregistrés, ce qui veut dire que 65 % des besoins annoncés par le HCR n'ont pas été satisfaits.
10. Les activités de réinstallation des réfugiés se heurtent, depuis quelques années, à plusieurs obstacles étroitements liés entre eux et, en particulier, au fait que très peu de pays offrent un quota annuel d'admission. En effet, 10 gouvernements seulement sur les 159 Etats Membres de l'Organisation des Nations Unies fixent et annoncent chaque année des quotas de réinstallation.
11. On ne saurait certes mettre en cause la générosité des gouvernements qui acceptent d'accueillir des réfugiés et d'offrir une nouvelle vie à une foule de personnes qui le méritent, et on ne peut que louer leur esprit humanitaire. Cependant, certains pays sont amenés à réviser leurs quotas pour compenser l'arrivée de groupes de personnes ne relevant pas du HCR mais prises en charge par certains groupes d'intérêt, lesquels, bien souvent, font pression sur le gouvernement. Le Haut Commissariat voit ainsi s'amenuiser considérablement le nombre de places de réinstallation dont il peut disposer chaque année pour répondre à des besoins de protection bien précis.
12. Le phénomène susmentionné peut être associé, voire assimilé, à un autre phénomène : celui de la confusion entre les réfugiés (c'est-à-dire les personnes admises à bénéficier de la protection du HCR, pour lesquelles la réinstallation est la solution nécessaire et recherchée) et les personnes accueillies dans le cadre de quotas de réfugiés qui, souvent, ne connaissent pas les mêmes besoins de protection ou qui devraient plutôt être considérées comme des immigrants. Le fait que certains gouvernements confondent immigration et admission de réfugiés, notamment en voulant choisir les réfugiés qui entrent dans leur pays, peut aggraver les problèmes de protection, retarder le traitement des cas les plus critiques, prolonger la durée du séjour des réfugiés installés et accroître encore les souffrances de personnes ayant déjà vécu des expériences traumatisantes.
13. Les difficultés rencontrées par le HCR pour obtenir des quotas de réinstallation suffisants sont encore aggravées par l'effet que produisent sur les gouvernements et les milieux influents de l'opinion publique les mouvements de migration de masse Sud-Nord et Est-Ouest. Il est clair que, depuis une dizaine d'années, le nombre de personnes arrivées spontanément dans les pays occidentaux ou dans des pays intermédiaires - principalement en Asie et au Moyen-Orient - dans l'espoir de poursuivre leur route vers l'Ouest a considérablement augmenté. Si certaines d'entre elles ont de bonnes raisons de demander l'asile, il s'en trouve beaucoup d'autres qui présentent simplement une demande d'asile dans l'idée d'accroître ainsi leurs chances de pouvoir rester dans un pays occidental. Ce phénomène s'explique en partie par la conjoncture nouvelle résultant de la fin de la guerre froide. Cette évolution de la situation internationale a non seulement faussé l'optique confortable de nombreux pays occidentaux qui, depuis quelque 40 ans, ne concevaient les réfugiés et, partant, la réinstallation, que sous l'angle du conflit Est-Ouest, mais aussi ouvert, avec l'assouplissement des restrictions au voyage, la perspective d'une émigration massive d'Européens de l'Est.
14. L'augmentation considérable du nombre des demandes d'asile qui en est résultée a eu certaines répercussions sociales, économiques et politiques, provoquant notamment un changement d'attitude à l'égard de l'immigration et des problèmes des réfugiés. De nombreux gouvernements ont durci leur politique d'immigration, ce qui n'est pas fait pour améliorer la situation. De plus, les efforts déployés par le HCR pour convaincre les pays d'étoffer leurs quotas dans l'esprit du partage de la charge sont restés sans effet. On peut aisément imaginer que certains gouvernements sont confrontés à une réaction croissante d'incompréhension de la part de l'opinion publique qui ne voit pas l'utilité de s'occuper des cas de réinstallation à l'étranger alors qu'il y a déjà une foule de personnes qui se présentent directement à leurs frontières et s'arrangent pour demeurer dans le pays qu'elles ont choisi.
Profil des activités de réinstallation du HCR pour les prochaines années
15. Ces obstacles à la réinstallation demeurent réels et doivent être sérieusement pris en compte. Toutefois, certaines nouvelles tendances se dessinent, que l'on a déjà pu observer en 1991, où les besoins de réinstallation annoncés par le HCR ont été plus bas que l'année précédente, et qui laissent présager pour les années 90 une évolution sensible de la situation par rapport à la décennie écoulée. A l'exception des situations évoquées plus haut, le HCR continuera peut-être à réduire chaque année le montant de l'assistance qu'il demande pour la réinstallation. Cette assistance sera toutefois intimement liée aux cas de protection et exigera des gouvernements qu'ils fassent preuve d'une certaine souplesse dans la fixation de leurs quotas annuels d'admission et dans la ventilation par nationalité; elle exigera aussi des pays de réinstallation qu'ils appliquent des critères d'immigration moins stricts pour ce qui est de l'admission de réfugiés. Cette nouvelle politique a été inspirée par plusieurs facteurs interdépendants, à savoir les faits nouveaux intervenus sur la scène internationale, les modifications apportées à certaines opérations de réinstallation dans le cadre des régions mises en place de longue date, et les efforts faits par le HCR pour encourager le rapatriement librement consenti. Il faut ajouter à cela la prise de conscience croissante par la communauté internationale de la nécessité de fournir une assistance afin d'éviter l'émigration massive, de trouver des solutions à l'intérieur des régions et de créer les conditions voulues pour que les personnes ayant quitté leur pays d'origine puissent y revenir sans craindre pour leur sécurité.
16. Sur la scène internationale, d'une manière générale, les événements importants qui se sont précipités, depuis la fin de la guerre froide jusqu'à la récente guerre du Golfe, entraînant l'exode massif de quelque 2 millions de personnes dont un grand nombre ont regagné très rapidement leur pays, sans parler des faits nouveaux qui se sont produits dans la corne de l'Afrique, annoncent une profonde transformation du paysage international dans les années 90. Il n'en sera que plus difficile de définir les paramètres permettant de prévoir les besoins et de cibler les nationalités en vue de la réinstallation. Il faudra ajouter à cela des variations de l'ampleur et de la nature des opérations de réinstallation dans certaines régions. Au cours des 15 dernières années, ces opérations ont visé principalement l'Asie du Sud-Est, où l'on a enregistré chaque année plus de 70 % des départs. Les événements survenus récemment laissent cependant entrevoir une diminution du volume des besoins de réinstallation dans cette région au cours des prochaines années.
17. Il est vrai que la solution de la réinstallation, en ce qui concerne les personnes en provenance de l'Asie du Sud-Est, avait pour objectif de protéger le droit de premier asile dans la région, et qu'avec le temps ces opérations ont pris un caractère de plus en plus automatique, au point qu'elles s'apparentent davantage aujourd'hui à un mouvement d'immigration. Les dispositions du Plan d'action global sur les réfugiés indochinois (PAG) ont pour but de faire face à cette situation exceptionnelle, pour ne pas dire anormale. L'introduction dans la région de procédures de détermination du statut de réfugié, à l'intention des personnes qui arrivent après certaines dates limites, permet d'espérer une harmonisation progressive entre les formules de réinstallation utilisées en Asie du Sud-Est et les procédures habituelles de réinstallation, c'est-à-dire que la réinstallation doit pouvoir rester un choix et ne pas être la seule réponse aux mouvements massifs de populations. Toujours sur le plan régional, la réinstallation d'Européens de l'Est, qui représentait également une part importante des activités du HCR au cours des dernières décennies, a, elle aussi, subi de profondes modifications. Les déplacements de populations en provenance de ces pays ressemblent désormais davantage à un processus d'immigration et exigent que l'on trouve des réponses mieux adaptées à cette réalité.
18. A tous ces événements importants survenus sur la scène internationale et à cette évolution régionale, vient s'ajouter le fait que l'on a tendance à mettre davantage l'accent sur le rapatriement librement consenti et sur la nécessité de créer des conditions susceptibles de favoriser cette solution durable. La Conférence internationale sur les réfugiés centraméricains (CIREFCA) et les programmes destinés aux Afghans, aux Cambodgiens et, plus récemment, aux Iraquiens d'origine kurde, illustrent ce nouvel état d'esprit en même temps qu'ils révèlent des difficultés inhérentes à ce genre de programme. La communauté internationale prend en outre de plus en plus conscience de la nécessité d'accorder une aide accrue aux pays pauvres pour éliminer un certain nombre des causes profondes de ces mouvements migratoires de masse et de ces afflux de réfugiés.
19. Malgré les profonds changements qui se sont opérés récemment dans les relations internationales, les conflits entre Etats et entre ethnies vont se poursuivre pendant l'après-guerre froide, entraînant inévitablement des arrivées massives de réfugiés, parmi lesquels un certain nombre devront être réinstallés pour des raisons de protection.
Conclusion
20. A la différence des opérations massives de réinstallation qui ont été mises en oeuvre en Asie du Sud-Est pendant les dix dernières années, la politique de réinstallation dans les années 90 s'attachera davantage aux besoins de protection des intéressés et concernera souvent un plus petit nombre de personnes. Etant donné la modification du paysage politique, il importe d'examiner les conditions nécessaires ainsi que les obstacles à la réinstallation et le problème de la souplesse dont les gouvernements devraient faire preuve face aux situations nouvelles. Si les besoins annuels du HCR pour la réinstallation sont susceptibles de diminuer, l'élément de protection que comporte la réinstallation sera en revanche plus impérieux, ce qui impliquera, de la part des gouvernements, une attitude plus souple et une plus grande rapidité d'action. Le souci de protection doit l'emporter sur les critères imposés à l'immigration et les préférences marquées par certains pays pour certaines nationalités en ce qui concerne l'admission de réfugiés.
21. Les gouvernements devraient également manifester davantage de souplesse en acceptant d'augmenter ou de restreindre leurs quotas, ou du moins les pourcentages de ces quotas que le HCR prévoit d'utiliser pour satisfaire les besoins de réinstallation, du fait que ces derniers peuvent évoluer rapidement. Etant donné la mobilité potentielle de la situation internationale, dont la guerre du Golfe représente un exemple frappant, les activités de réinstallation classiques seront peut-être parfois gravement perturbées, voire supplantées par des opérations d'urgence ou par la solution du rapatriement librement consenti. Afin de pouvoir répondre efficacement à des situations de ce genre, il serait préférable que les quotas annuels d'admission fixés par les gouvernements comportent un pourcentage important réservé à des nationalités non définies. On pourrait puiser dans cette réserve selon les besoins.
1 En ce qui concerne les aspects du partage de la charge, de l'encouragement à la réinstallation lorsque aucune autre solution durable n'est possible, de la nécessité que les gouvernements fixent des quotas suffisants en adoptant des critères de sélection flexibles et en établissant une distinction claire entre les réfugiés ayant besoin d'être réinstallés et les immigrants ordinaires, du souci de sécurité des pays de premier asile et des réfugiés, de la réinstallation d'urgence de réfugiés qui n'ont aucun lien avec un pays tiers, et de l'admission de groupes vulnérables, voir paragraphes 94 et 210 B, alinéas g), h), i), j), k), 1) et m) du document A/AC.96/702