« Les familles n'ont d'autres choix que de s'adapter en trouvant refuge dans les camps nigériens »
Mr Yvan Guichaoua, est enseignant - chercheur à l’université de Kent (Royaume-Uni). Ces travaux se concentrent sur la violence politique collective, les dynamiques des groupes armés et la gouvernance informelle en Afrique de l’Ouest avec une attention toute particulière sur le Sahel. Régulièrement contacté par les medias internationaux pour éclairer sur la situation dans le Nord Mali, il partage aujourd’hui son analyse autour des mouvements de population actuels vers le Niger, de la place des réfugiés dans les discussions intercommunautaires en cours et des perspectives pour le nord Mali.
Mr Guichaoua, alors que dans le nord du Mali les tensions semblent s’être radicalement réduites depuis quelques semaines, nous enregistrons au Niger d’importantes arrivées de nouveaux réfugiés. Comment expliquez-vous cette situation ?
La frontière entre le Mali et le Niger est le théâtre de tensions spécifiques, non résolues, qui débordent les cadres de régulation de la violence des groupes armés signataires des accords d'Alger. C'est toute l’ambiguïté de la crise brutale qui touche le Mali depuis 2012 : elle oppose des mouvements du nord à l’état mais en même temps des communautés du nord entre elles. De nombreuses communautés sont parvenues à cesser les hostilités entre elles, à Alger, mais aussi tout récemment à Anefis, dans la région de Kidal. Mais pas celles qui s'affrontent sporadiquement mais violemment depuis de longs mois dans la région de Menaka / Ansongo. Dans cette zone Touaregs Dawsak et pasteurs Peuls (du Mali mais aussi du Niger) règlent de vieux comptes liés notamment à l'usage des ressources pastorales ou à des vols et violences commis les uns contre les autres. Ces litiges ont été exacerbés par la crise politique puisque de nombreux Dawsak ont rejoint les rangs du Mouvement national de libération de l'Azawad (séparatiste) tandis qu'autant de Peuls rejoignaient le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l'ouest (djihadiste). Ces deux mouvements se sont très violemment affrontés en 2012, allongeant la liste des griefs réciproques entre communautés. Dans cette région, face à ces cycles violents, les familles n'ont d'autres choix que de s'adapter en trouvant refuge dans les camps nigériens.
Pourquoi ces nouveaux déplacements touchent plus le Niger que le Burkina ou encore la Mauritanie ?
Ces “choix” de déplacement tiennent essentiellement au caractère local des heurts et à la distance des refuges offerts. Côté mauritanien, le retour n'est pas massif du fait de la méfiance de nombreux réfugiés vis-à-vis des forces de sécurité maliennes mais on ne constate pas en parallèle dans la zone frontalière avec le Mali d’éruptions de violence qui viendraient grossir les rangs des réfugiés
Quelle place occupe le retour ou la situation propre des réfugiés dans les discussions intercommunautaires qui se tiennent depuis quelques semaines ?
Pour l'instant, on ne peut pas dire que le sort des populations civiles est au cœur des préoccupations des parties qui ont discuté à Alger, puis Anefis. Les négociations portent essentiellement sur la non-agression réciproque, voire d’hypothétiques réparations pour les dommages matériels infligés aux commerçants lors de pillages. Les optimistes diront que cette étape est nécessaire pour pouvoir ultérieurement aborder la question des réfugiés et déplacés. Et de fait, les mouvements armés sont supposés consulter leur base et les populations pour approfondir la réconciliation. La phase actuelle est critique: c'est maintenant que le travail ingrat de refondation de la gouvernance commence. Si les populations ne voient pas rapidement les dividendes de la paix, non seulement la crise humanitaire se prolongera mais on peut aussi envisager de lourdes répercussions politiques et sécuritaires: les mouvements djihadistes qui continuent d’opérer dans la région seront ravis de récupérer les insatisfaits.
Les populations qui arrivent au Niger sont en général des ménages ruraux et vulnérables. Il est possible que la paix à elle seule ne les amène pas à prendre le chemin du retour. Après la conférence de Paris, peut-on espérer que ce processus de développement inclusif tant attendu au Nord Mali, et cela bien avant le début de cette crise, voit le jour dans un futur proche ?
Les bailleurs sont prêts de nouveau à libérer des ressources pour le développement mais ne semblent pas avoir beaucoup plus d’idées qu'avant sur la manière de les dépenser utilement. Les contenus opérationnels des engagements de Paris sont pour le moins vagues. Mais ce n'est pas à la communauté internationale qu'il revient de piloter le processus mais aux parties concernées. On a vu que les règlements communautaires sont encore balbutiants. De leurs côté, les autorités maliennes ne donnent pas de signe fort de volonté de transformation, alors même qu'il a été montré que la crise malienne n'est pas fortuite: elle est le résultat d’années de gouvernance mortifère. La gestion sécuritaire à court terme ne réussira pas à mettre le pays debout.
Pour accéder aux publications scientifiques et autres articles de presses de Yvan Guichaoua : http://kent.academia.edu/YvanGuichaoua