Marcher et récupérer : un Yéménite garde l'espoir en exil
Marcheur et numismate passionné avant que la guerre le chasse du Yémen, un réfugié marche maintenant à la recherche d'objets pour un « musée des curiosités ».
CAMP DE MARKAZI, Djibouti, 23 mars (HCR) - Avant que la guerre ne l'oblige à quitter son foyer, Abdillahi Bashraheel avait deux passe-temps : marcher sur de longues distances et collectionner les pièces de monnaie.
Le premier était une habitude remontant à ses jeunes années, quand il était arpenteur dans le Yémen rural et marchait de longues heures, dans la chaleur, pour explorer le terrain. Cela l'aide à méditer, dit-il. Le second, il s'y adonnait parce qu'il « admire... les choses bizarres ».
Le problème est qu'Abdillahi, 63 ans, est aujourd'hui bloqué dans un camp de réfugiés dans un pays étranger, loin de ses sentiers de randonnée favoris. Sa collection de pièces de monnaie, constituée « de milliers et de milliers de pièces », il l'a laissée derrière lui, à Aden, lorsqu'il a pris la fuite.
Néanmoins, il marche encore, tournant sans relâche autour du camp. « Vingt kilomètres par jour », dit-il. « Vingt mille mètres. » Et sur le chemin, il ramasse encore des choses bizarres et des objets jetés pour décorer sa tente et son petit jardin sablonneux.
Ici au camp de Markazi, Abdillahi et son « musée des curiosités » sont très connus. Des branchages torsadés jonchent le sol à côté des os blanchis d'animaux morts depuis longtemps. Il y a des pierres et des graines, une vieille éponge, des coquillages, une petite poupée, une cuillère en bois, des insignes, des épinglettes et même un vieux casque de soldat.
Abdillahi n'est peut-être pas classique, mais il est une source d'inspiration pour les autres réfugiés ici, les encourageant à ne pas abandonner et à conserver certaines des passions et des habitudes qu'ils avaient chez eux, même comme réfugiés.
Les sources d'inspiration comme Abdillahi sont les bienvenues, un an après le début de la guerre civile au Yémen. Le conflit, qui dure toujours, a éclaté après des années d'instabilité politique, de difficultés économiques et de tensions sectorielles.
Les combats ont obligé 173 000 personnes à trouver refuge dans des pays étrangers. Quelque 19 000 d'entre elles vivent actuellement à Djibouti, dont environ 20 pour cent dans le camp de Markazi.
« J'ai échappé à la mort, aux bombes et à l'enfer », dit-il. Même s'il n'est pas marié et n'a pas d'enfants, Abdillahi a laissé derrière lui une grande famille, dont de nombreux frères et cousins. « Ma vie a été bouleversée ; une personne peut perdre la tête en de telles circonstances », dit-il.
Mais en dépit de l'angoisse et de l'incertitude qu'entraîne sa situation, il sait ce qu'il doit faire pour rester fort. Il bouge : « El haraka baraka », dit-il. Il s'agit d'un proverbe arabe bien connu, signifiant « Bouger est une bénédiction ». « Marcher », dit-il, « apporte paix et tranquillité ».
Aujourd'hui, il peut se retirer dans son petit « pays des merveilles », refuge unique qui lui permet d'oublier le monde quelque temps. Les enfants viennent voir sa collection ; il leur raconte des histoires et les exhorte à être productifs et utiles. Il laisse des restes de nourriture et de l'eau pour les oiseaux. Il prend beaucoup de plaisir à écouter leur gazouillis le matin, dit-il.
Néanmoins, Abdillahi est conscient de la misère qui l'entoure. Le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, offre une assistance de base (un abri, des soins de santé, un peu d'éducation...) à Abdillahi et aux autres réfugiés yéménites, mais la vie pour eux reste difficile.
Dans une partie de son jardin qu'Abdillahi appelle son « cimetière » reposent des os et des crânes. « Cela montre que l'humanité à la fin sera réduite en poussière », dit-il. « C'est pour... rappeler [cela] aux gens, pour qu'ils puissent retrouver la raison. »
En attendant ce retour à la raison, « à mon âge, tout ce que je veux est vivre en paix », dit-il, il est content de continuer à bouger et de ramasser des objets. « Les belles choses rendent les gens heureux, et elles me rendent heureux », dit-il en souriant.
Par Amira Abdelkhalek au camp de Markazi, à Djibouti