Questions et Réponses : la Conférence d'Abidjan rend espoir aux apatrides en Afrique de l'Ouest
Le Représentant du HCR en Côte d'Ivoire, Mohamed Askia Touré, passe en revue la situation des apatrides en Côte d'Ivoire avant la prochaine Conférence sur l'apatridie qui se tiendra à Abidjan le 25 février.
ABIDJAN, COTE D'IVOIRE, 17 février (HCR) - La semaine prochaine, la Côte d'Ivoire accueillera une conférence régionale de haut niveau sur la situation et l'avenir de centaines de milliers de personnes qui luttent pour vivre sans nationalité en Afrique de l'Ouest. Selon le HCR, qui est représenté par le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés António Guterres, sur les 10 millions de personnes apatrides ou à risque d'apatridie dans le monde, au moins 750.000 vivent en Afrique de l'Ouest, dont la plupart en Côte d'Ivoire. Dépourvus de nationalité, les apatrides sont privés de l'ensemble des protections, droits et services que les pays accordent normalement à leurs citoyens. Ils sont souvent privés du droit à l'éducation, aux soins de santé, à l'emploi et à la liberté de circulation. En novembre dernier, le HCR a lancé une campagne, #IBelong, pour mettre fin à l'apatridie dans le monde d'ici 2024. Nora Sturm, chargée du HCR pour l'information s'est entretenue avec Mohamed Askia Touré, Représentant du HCR en Côte d'Ivoire, sur les efforts du HCR pour réduire et éviter l'apatridie dans ce pays.
1. Une conférence ministérielle régionale importante sur les apatrides en Afrique de l'Ouest va se tenir en Côte d'Ivoire le 25 février. Pourquoi la Côte d'Ivoire?
La conférence se tient en Côte d'Ivoire pour plusieurs raisons. Avant tout, le gouvernement de Côte d'Ivoire a fait de réels efforts dans la lutte contre l'apatridie sur son territoire. En plus d'avoir ratifié les deux Conventions internationales sur l'apatridie fin 2013, les autorités ivoiriennes ont mis en oeuvre un nombre de mesures importantes qui démontrent leur volonté politique d'éradiquer ce problème. Le gouvernement ivoirien a notamment lancé en avril 2014 un programme pour réformer la législation nationale relative à la nationalité, permettant aux individus éligibles d'acquérir la nationalité ivoirienne par déclaration.
2. En quoi consiste ce programme ?
Le programme donne une opportunité aux personnes ayant des liens pertinents avec la Côte d'Ivoire, dont de nombreuses personnes apatrides ou à risque d'apatridie, de demander la citoyenneté. Par exemple, celles qui résidaient ou sont nées en Côte d'Ivoire avant l'indépendance, et ont résidé de manière continue en Côte d'Ivoire depuis, ainsi que leurs descendants, sont éligibles pour acquérir la nationalité ivoirienne à travers ce programme. Le gouvernement met également en oeuvre d'importantes activités destinées à réduire le risque d'apatridie, notamment des tribunaux mobiles qui délivrent des jugements supplétifs, des certificats de nationalité et des cartes d'identité.
3. L'apatridie est-elle un problème aigu en Côte d'Ivoire?
Oui. La Côte d'Ivoire est l'Etat d'Afrique de l'Ouest avec le nombre estimé le plus élevé d'apatrides ou de personnes à risque d'apatridie. Cela est partiellement dû au fait que la Côte d'Ivoire est le seul pays de la région à avoir entrepris une estimation de sa population apatride - mais nous pensons que des centaines de milliers de personnes sont dans la même situation dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest. En effet, le gouvernement ivoirien estime que 700 000 personnes vivant sur le territoire ivoirien sont actuellement apatrides ou à risque d'apatridie. Bien que ce chiffre soit une estimation et n'ait pas encore été vérifié par une analyse statistique plus rigoureuse, il révèle néanmoins l'existence de populations en Côte d'Ivoire à risque d'apatridie qui devraient bénéficier de la protection et de l'assistance du gouvernement et du HCR. Malgré ces améliorations, il reste encore beaucoup de travail à accomplir en Côte d'Ivoire pour corriger les lacunes dans la législation nationale qui continuent de créer des cas d'apatridie, ainsi que d'autres obstacles à l'acquisition de la nationalité. En organisant cette conférence en Côte d'Ivoire, le gouvernement ivoirien et le HCR [avec la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)] déclarent leur engagement commun à travailler ensemble pour résoudre ce problème.
4. Qui sont les apatrides en Côte d'Ivoire et comment ces personnes sont-elles devenues des apatrides ?
Les personnes apatrides ou à risque d'apatridie en Côte d'Ivoire se divisent en plusieurs grandes catégories : tout d'abord, il y a les enfants qui ont été abandonnés ou dont les parents sont inconnus, et qui ne sont pas considérés comme ressortissants par la loi ivoirienne. Il est presque évident que les enfants abandonnés ou de parents inconnus ont très peu de chances d'avoir été déclarés à la naissance. Compte tenu de l'absence de liens et de l'impossibilité de prouver leur ascendance, il est pratiquement impossible d'établir légalement la nationalité de ces enfants. Lorsqu'il n'y a tout simplement personne pouvant attester de la date ou du lieu de naissance ou encore des parents d'un enfant, il devient difficile non seulement d'obtenir un certificat de naissance, mais aussi de confirmer sa nationalité.
Il y a aussi les migrants historiques et leurs descendants venus des pays voisins - c'est-à-dire, les individus qui ont eux-mêmes ou dont les parents ou grands-parents ont émigré en Côte d'Ivoire avant ou juste après l'indépendance en 1960, et qui n'ont pas établi leur nationalité à l'indépendance ou avant que la loi sur la nationalité ne change en 1972. Par exemple, la Côte d'Ivoire a accueilli de nombreuses familles venues du Burkina Faso à l'époque de l'indépendance qui venaient travailler dans les champs de cacao et les plantations de café.
5. Qui d'autre risque de devenir apatride?
D'autres populations risquant de devenir apatrides en Côte d'Ivoire comprennent les migrants actuels dans la sous-région qui n'ont pas de papiers pour prouver leur connexion à leur pays d'origine - ce risque s'accroit lorsqu'ils ont des enfants et transmettent leur statut à leurs enfants ; les individus qui ont été naturalisés en Côte d'Ivoire comme citoyens ivoiriens mais ne peuvent pas produire de preuve de leur nationalité (à cause de la perte de leurs papiers, par exemple) ou dont les informations sont différentes de celles contenues dans les registres officiels ; et certains groupes transfrontaliers, comme les éleveurs nomades et la communauté Lobi dans le nord-est et le nord-ouest du pays.
6. Que fera le HCR dans l'année à venir pour accompagner le gouvernement ivoirien dans ses efforts pour éradiquer l'apatridie?
Le HCR va se consacrer à la prévention de l'apatridie à travers des activités destinées à augmenter le taux d'enregistrement des naissances et à améliorer le système national d'état civil. Le HCR accompagnera le gouvernement dans des actions de sensibilisation sur l'importance d'enregistrer les naissances ainsi que sur le concept de l'apatridie et ses conséquences. Nous aiderons aussi le gouvernement à développer les capacités des chefs communautaires et des chefs traditionnels impliqués dans la transmission de l'information sur l'enregistrement des naissances et les processus pour acquérir la nationalité. Nous travaillerons aussi à la formation des autorités locales travaillant pour le système national de l'état civil sur l'application correcte du code d'état civil et des clauses relatives à l'acquisition de la nationalité. Enfin, nous formerons des journalistes locaux sur le sujet de l'apatridie, car ils jouent un rôle essentiel dans la sensibilisation des populations et façonnent l'opinion publique sur ce sujet sensible.
7. Aviez-vous été confronté au problème de l'apatridie avant d'arriver en Côte d'Ivoire l'année dernière ?
Je travaille depuis 20 ans avec le HCR principalement sur des questions légales et liées à la protection sur trois continents : l'Afrique, l'Asie et l'Europe. Je m'intéresse depuis longtemps au problème de l'apatridie du point de vue des droits humains et j'ai travaillé pour la première fois sur ce sujet en Asie du Sud, plus particulièrement au Bangladesh, au Népal et au Myanmar, où le problème est très important. Travailler sur les problèmes d'apatridie est une priorité pour notre bureau en Côte d'Ivoire. A la différence de beaucoup d'autres pays, l'apatridie ici n'est pas tellement due à des pratiques gouvernementales discriminatoires, mais plutôt à des lacunes dans la législation nationale et les procédures administratives, le processus de décolonisation, et les schémas de migration historiques et contemporains.
Nonobstant ces différentes causes, le problème en Côte d'Ivoire doit être réglé à travers une approche à long terme et durable. Il est difficile d'imaginer ce que cela signifie d'être dans un vide juridique - mais l'essentiel de ce statut est que sans nationalité, tous les autres droits sont menacés. Nous nous efforçons de donner à ce problème toute l'attention qu'il mérite afin que des milliers de personnes en Côte d'Ivoire dont la nationalité est actuellement indéterminée reçoivent la protection nécessaire et soient assistées pour l'obtention d'une identité nationale, qui est essentielle à leur pleine participation à la société et aux bénéfices qu'ils peuvent attendre de leurs droits fondamentaux.