Etre sculpteur aujourd'hui en Iraq

Sadeq a une passion, la sculpture, ce qui lui a valu de nombreuses souffrances ces dernières années. Mais il ne perd pas espoir.

Une sculpture en bronze de Sadeq, “les déplacés”, figure l'exode iraquien.  © Dar Al-Anda Gallery

AMMAN, Jordanie, 12 octobre (HCR) - Sadeq, un sculpteur iraquien, a une passion, la sculpture, ce qui lui a valu de nombreuses souffrances ces dernières années car, selon les extrémistes, son travail est interdit par l'Islam.

Alors que d'autres ont fui leur pays pour échapper à la persécution, il est resté à Bagdad, luttant pour joindre les deux bouts dans son pays exsangue. « Je travaille uniquement pour ma propre satisfaction », a-t-il indiqué récemment au HCR dans une galerie d'art à Amman, où sont exposées ses sculptures. « Je n'ai aucun client, je suis vraiment désespéré. »

Bien sûr, la situation n'a pas toujours été aussi malheureuse. Sadeq se rappelle que son amour de l'art a commencé dès l'enfance. Il passait des heures dans la galerie de feu Ismail Fatah Al Turk, peintre et sculpteur, qui l'avait convaincu d'arrêter de peindre et de s'orienter vers la sculpture.

Il a été diplômé de l'Ecole d'art de Bagdad en 1999 et il s'est peu à peu fait un nom. Peu après, son travail a été exposé régulièrement dans des galeries et des institutions en Iraq et à l'étranger, y compris à Abu Dhabi, en Chine et au Royaume-Uni.

Puis sont survenus l'invasion de l'Iraq en 2003 et le conflit sectaire encore plus violent après le bombardement de la mosquée d'al-Askari à Samarra en février 2006. Des fondamentalistes islamiques des deux clans ont alors débuté leurs exactions meurtrières et les artistes ont fait partie des groupes tout particulièrement ciblés.

Sadeq a été enlevé dans son atelier par des extrémistes islamistes qui l'ont accusé d'être un non-croyant. Ils ont affirmé que la sculpture était haram, ou interdite. Ses kidnappeurs ont fini par libérer Sadeq. Il n'aurait jamais imaginé auparavant que sa profession pourrait signer son propre arrêt de mort dans un pays considéré comme le berceau de l'art et de la civilisation, un pays dont les artistes étaient vus comme l'élite du monde arabe.

Après sa libération, Sadeq a déménagé son atelier dans un quartier plus sûr de Bagdad et il a continué à sculpter. Dans les bons vieux jours, il n'avait aucune difficulté à vendre ses sculptures.

« Maintenant, la situation a changé », a-t-il dit, ajoutant : « Bagdad est désormais vide, c'est une ville morte. Nous ne voyons plus personne qui soit intéressé par la collection d'oeuvres d'art, l'élite a quitté le pays. »

Sadeq s'est félicité de pouvoir présenter son travail en Jordanie et d'en parler en toute sécurité avec d'autres amoureux de l'art. Même le simple fait de constituer un réseau avec d'autres artistes en Iraq est devenu extrêmement difficile du fait de la situation de sécurité.

Le sculpteur a indiqué que sa colère et sa frustration au sujet du conflit en Iraq influencent désormais son travail. « Quand la vie est belle, notre travail déborde d'amour et de romantisme mais, après la guerre, j'ai commencé à refléter dans mon travail la misère du peuple iraquien », a-t-il indiqué.

Une récente pièce en bronze au nom « le déplacement » dépeind la fuite de millions de civils iraquiens vers les pays voisins ou d'autres régions de leur propre pays.

L'art de Sadeq lui offre un échappatoire, mais il est constamment ramené à la sombre réalité de la vie à un moment où la situation sécuritaire reste tendue pour tous les Iraquiens. Sa préoccupation concerne particulièrement ses trois enfants, maintenant que l'année scolaire vient de commencer.

« Lorsqu'un mari quitte sa femme et leurs enfants le matin, ils ne savent pas s'ils se reverront le soir », a indiqué Sadeq.

Dans la sécurité de la ville d'Amman, il réfléchissait à son retour vers un avenir incertain à Bagdad tout en continuant à espérer une amélioration de la situation. Et il continue à rêver du jour où il aura davantage d'admirateurs de son art. « Je travaille pour moi en espérant qu'un jour, l'histoire se souviendra de mon art. »

Par Dana Bajjali à Amman, Jordanie