Lampedusa : une rescapée érythréenne rencontre le Pape François avant un hommage aux victimes.
ILE DE LAMPEDUSA, Italie, 3 octobre (HCR) - Près d'un an après avoir frôlé la mort au large de la minuscule île italienne de Lampedusa, Leterbrhane, réfugiée originaire d'Erythrée, va surmonter sa peur de l'eau et retourner sur place pour rendre hommage aux milliers de personnes décédées en tentant de rejoindre l'Europe à travers la Mer méditerranée sur des bateaux de passeurs.
La jeune femme de 24 ans avait affirmé qu'elle ne voudrait plus jamais revoir la mer après le naufrage du vieux bateau qu'elle avait emprunté en Libye le 3 octobre 2013, faisant 368 morts et seulement 155 survivants, en vue de Lampedusa.
« Quand j'ai entendu parler de la possibilité de retourner à Lampedusa pour la commémoration, j'ai eu peur et toutes les images que j'avais en tête sont soudainement revenues », a déclaré la jeune femme, désormais enregistrée comme réfugiée en Norvège. Elle faisait référence à une cérémonie officielle organisée vendredi à l'extrême sud du territoire italien.
« Je ne voulais plus jamais revoir la mer. Puis j'ai réalisé qu'il était très important pour moi d'y être. Je remercie Dieu parce que, pour moi, survivre au 3 octobre était comme naître une seconde fois ». Elle assistera à la commémoration de demain à Lampedusa avec d'autres survivants. Le groupe a été reçu en audience privée avec le Pape François à Rome mercredi.
Letebrhane avait quitté l'Erythrée en 2012 pour échapper au service militaire obligatoire dans son pays. Elle n'a même pas pu dire au revoir à sa famille de crainte de trop les inquiéter. Seule sa meilleure amie, Senait, a voyagé avec elle et elles espéraient rejoindre l'Europe ensemble en toute sécurité.
Il leur a fallu un an et demi pour atteindre la côte libyenne après avoir traversé le Soudan et voyagé à travers le Sahara sur des pick-ups bondés, revendues d'un passeur à un autre en chemin. Letebrhane a indiqué qu'elles étaient régulièrement menacées et maltraitées en route et que plusieurs femmes avaient subi des abus sexuels. Certains de leurs compagnons de voyage sont morts de soif et d'épuisement.
Après avoir survécu à ces épreuves et atteint la Libye, elles ont compris qu'elles ne pourraient plus jamais revenir en arrière. « Je savais que la mer [la traversée vers l'Europe] était dangereuse, j'avais entendu beaucoup d'histoires terribles, mais je n'avais pas d'autre choix. Je n'avais nulle part d'autre où aller », a-t-elle expliqué, en ajoutant qu'avant le départ du bateau, Senait et elle étaient restées enfermées dans un bâtiment situé dans un endroit isolé en compagnie de beaucoup d'autres personnes jusqu'à ce que leur nombre soit suffisant pour remplir un bateau. Les conditions étaient terribles et elles avaient à peine de quoi manger.
Les deux amies érythréennes ont embarqué sur le bateau d'un passeur près de Tripoli le 2 octobre 2013. Après 24 heures en mer, elles ont finalement aperçu les lumières de Lampedusa à 4h du matin. Elles étaient suffisamment près pour voir les phares des voitures.
Puis quelqu'un a mis le feu à une couverture pour essayer d'attirer l'attention des autres bateaux à proximité. Mais, selon Letebrhane, cela a provoqué une panique à bord et les passagers se sont tous précipités du même côté pour échapper aux flammes. Le bateau s'est mis à prendre l'eau et il a fini par sombrer.
La plupart des survivants se trouvaient sur le pont, tandis que de nombreux femmes et enfants étaient dessous et n'ont pas pu s'échapper à temps. Letebrhane a raconté qu'elle s'était cramponnée au bateau et qu'elle n'avait lâché prise que quand il avait sombré sous les vagues dans sa chute mortelle et tragique vers le fond. Senait faisait partie des victimes.
L'ampleur de la catastrophe a abasourdi la nation italienne et fait les gros titres de la presse internationale. Lampedusa a connu un profond deuil et une immense colère face à l'incapacité de répondre au nombre croissant de traversées en provenance d'Afrique du Nord et aux dangers associés.
Suite à cette tragédie et à un deuxième naufrage ayant fait 268 morts - des réfugiés syriens - le 11 octobre, le gouvernement italien a lancé son opération « Mare Nostrum » qui a depuis lors permis de secourir plus de 140 000 personnes à ce jour.
Mais les traversées en mer continuent et le nombre de morts augmente. Depuis ce jour fatal il y a un an, plus de 3 600 personnes sont décédées ou ont disparu pendant les traversées dont une majorité de réfugiés fuyant la guerre et la persécution.
Le HCR a incité les Etats européens à offrir des alternatives légales aux traversées irrégulières et à contribuer ainsi à sauver des vies. En attendant, Letebrhane sera de retour à Lampedusa demain, heureuse d'être en vie mais anéantie par tous ces morts en mer.
Par Iosto Ibba et Barbara Molinario à Rome, Italie
Un rapport du HCR "So close, yet so far from safety", est disponible à l'adresse suivante http://www.unhcr.org/542c07e39.html