Les réfugiés méritent investissement et action, plutôt qu'indifférence et cruauté
En 2015, quand plus d’un million de réfugiés et de migrants sont arrivés sur les côtes européennes, la réaction de plusieurs pays a été de renforcer rapidement les contrôles aux frontières et d’ériger des clôtures. Les opinions publiques ont pris peur, certains politiciens irresponsables attisant les craintes et renforçant les tensions croissantes. Ce n’était pas une réaction rationnelle, mais du déni. Offrir un abri et un soutien aux personnes qui fuient les bombes, les balles, la torture et le viol n’est pas un acte de charité, c’est une obligation juridique et morale qui découle du droit international et de notre humanité commune.
Pour beaucoup d’Européens, l’afflux de l’été dernier a pu sembler énorme mais c’est négliger ce qui se passe ailleurs. Dans le monde entier, plus de 60 millions de personnes sont déplacées à cause de la guerre, des persécutions ou des violations des droits humains. La vague de personnes désespérées s’agrippant aux bateaux en quête de refuge ne devrait pas surprendre.
La Syrie est emblématique d’une tendance plus vaste de conflits qui s’enlisent faute de solution. Depuis cinq ans, l’absence de solution politique a mené à l’amplification du conflit syrien – et maintenant que les réfugiés entreprennent le long et dangereux voyage vers l’Europe, la réponse consiste à leur mettre l’étiquette de problème, à trouver des moyens de les dissuader ou de les renvoyer et à les déshumaniser.
Il est pourtant dans l’intérêt de ces gouvernements de faire de la protection des réfugiés une priorité, en même temps que la résolution des conflits qui les ont forcés à fuir. La paix, la stabilité et le bien-être des déplacés sont dans l’intérêt économique, social et sécuritaire de toutes les nations.
L’amalgame est souvent fait entre réfugiés et migrants – des personnes qui ont quitté leur pays pour trouver un travail et une vie meilleure. Mais ils sont différents. Les réfugiés ne partent pas pour trouver des opportunités économiques mais pour échapper à la guerre, à la persécution, à la mort, à la torture et au viol, et parce qu’ils n’ont nulle part où aller. Ils ont droit à la protection et à l’assistance d’autres Etats en vertu du droit international et des principes communs de décence humaine.
Mais cela représente également des opportunités, pas seulement des problèmes avec un coût financier. Quand les gens pensent aux réfugiés, certaines images viennent à l’esprit : rangées interminables de tentes blanches dans des camps d’urgence, cliniques mobiles et écoles de fortune, longues files de personnes attendant passivement de recevoir nourriture et eau. Mais aujourd’hui les deux tiers des réfugiés dans le monde vivent dans des villages et des villes. Ils ont des compétences, des idées et des aspirations ainsi que la capacité, au moins en partie, de forger leur propre destin.
Les études successives – du FMI, de l’OCDE, de la Banque mondiale et d’autres organisations – ont montré l’élan économique que les réfugiés peuvent entrainer s’ils ont la possibilité d’améliorer leur situation et d’avoir une vie décente. Les réfugiés peuvent être vulnérables, mais aussi solides, résilients et travailleurs. Quand ils ont la possibilité de participer à l’économie locale, cela leur bénéficie autant qu’à leurs communautés d’accueil.
Pourtant, les réfugiés sont souvent privés du statut juridique et des documents officiels leur permettant de jouir de la liberté de circulation, de l’accès au marché du travail, à l’éducation et à la formation, ainsi qu’aux soins de santé adéquats. Sans cela, le cycle de dépendance, de pauvreté et de vulnérabilité ne peut pas être rompu. Il incombe par conséquent aux entreprises et aux syndicats de faire pression sur les gouvernements et de faire valoir que les réfugiés doivent être considérés comme un atout plutôt qu’une charge. Il ne s’agit pas seulement d’une responsabilité humaine, mais c’est tout à fait sensé d’un point de vue économique.
Le nombre de réfugiés est devenu tellement élevé aujourd’hui, avec une offre insuffisante de solutions, que l’aide humanitaire et le développement à long terme ne peuvent plus exister comme des systèmes parallèles. En ce moment la Syrie fait les gros titres de l’actualité – et il est vrai que la guerre dans ce pays a forcé des millions de personnes à fuir. Mais la Syrie est loin d’être la seule crise humanitaire dans le monde. Ces dernières années, la violence a éclaté ou repris en Europe, en Afrique, en Asie et en Amérique latine, tandis que certains conflits prolongés restaient sans solution, maintenant un nombre croissant de personnes en exil, souvent sur plusieurs générations. Près d’un million de Somaliens et 2,5 millions d’Afghans en sont le témoignage.
Par conséquent, le besoin d’aide humanitaire a grimpé en flèche. S’il est vrai que les fonds alloués à l’aide ont augmenté, il est également vrai que les besoins dépassent largement les moyens. Des organisations comme le HCR sont sollicitées non seulement pour fournir une aide immédiate et vitale mais aussi des services de base pour les personnes piégées en exil. Ce sont les gouvernements et non les organisations humanitaires qui ont le pouvoir de mettre un terme aux conflits et aux déplacements forcés qui en découlent, mais cela peut prendre des années. Et vous ne pouvez pas ignorer une crise pendant des années et vous attendre à ce qu’elle se résolve d’elle-même.
Il est grand temps de trouver collectivement les moyens d’améliorer la vie des personnes qui peuvent se retrouver en situation d’exil pendant des dizaines d’années voire plus. En exploitant les capacités techniques et financières des gouvernements, des entreprises et des syndicats et en les associant à la présence sur le terrain et à la longue expérience des organisations humanitaires, nous pouvons créer une puissante force de changement. Dans le même temps, nous devons renforcer les capacités des organisations nationales qui se retrouvent en première ligne pendant la première phase d’une urgence, longtemps avant l’arrivée des groupes humanitaires internationaux. Les deux tiers des partenaires du HCR sont des organisations non gouvernementales nationales. Leur présence locale, leur expertise et leurs relations au sein de la communauté sont essentielles.
Ignorer une crise puis diaboliser ses victimes quand elles sont forcées de fuir ne constitue pas une approche adéquate. Gérer des millions d’êtres humains forcés de solliciter une aide et une protection n’est pas une tâche aisée, mais il est préférable de prendre cette mission à bras-le-corps, moyennant de la compassion et des solutions pratiques. Faire la politique de l’autruche ne règlera rien. Donner les moyens aux personnes de réaliser leur potentiel le permettra.