Apatride en Afrique de l'Ouest

Dix millions de personnes dans le monde n'ont pas de nationalité. En Afrique de l'Ouest, au moins 750 000 personnes sont confrontées à une existence de rêves brisés.

Lisette, 20 ans, est née et a grandi en Côte d'Ivoire. Pour gagner sa vie, elle vend des graines de millet au marché local de Zuenoula. Mais sans documents d'identité pour prouver son lieu de naissance ou ses liens ancestraux avec le Burkina Faso, elle pourrait tout aussi bien être invisible. Dépourvue de nationalité et de nombreux droits fondamentaux de la personne, la vie est une lutte constante.

En Afrique de l'Ouest, au moins 750 000 personnes sont apatrides ou courent le risque de l'être. Mais il ne s'agit que d'une estimation. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime que les chiffres réels sont de loin supérieurs.

La vie quotidienne des apatrides peut être solitaire, douloureuse, et pleine d'embûches. Sans documents d'identité, vous ne pouvez pas vous inscrire dans une école, ouvrir un compte bancaire, acheter une propriété, avoir accès à des services de santé, ni vous marier légalement. Être apatride signifie que vous êtes plus exposé à la discrimination, à l'exploitation et à l'isolement. Aux yeux de la loi, vous n'existez pas.

Une conférence organisée par le HCR et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) à Abidjan, la capitale économique de la Côte d'Ivoire, vise à prévenir, à réduire et au final à éliminer l'apatridie dans la région. Cette conférence s'inscrit dans le cadre d'une campagne internationale ambitieuse menée sur 10 ans visant à mettre un terme à l'apatridie.

Nous vous présentons quelques-uns des nombreux apatrides d'Afrique de l'Ouest qui ont enduré une vie entière d'embûches et de déception.

Pascal, 72 ans, est apatride en Côte d'Ivoire. « Je peux être un bon cultivateur de café, de cacao et de riz, mais le fait de ne pas avoir de nationalité m'a confiné dans mon village et mes champs ».  © HCR/H.Caux

Pascal

Pascal, 72 ans, regarde les champs d'okra qu'il cultive avec deux de ses 15 enfants, près de Saria au centre de la Côte d'Ivoire.

Né au Burkina Faso, il a déménagé en Côte d'Ivoire peu après l'accession à l'indépendance des deux pays en 1960, avec la première vague de travailleurs migrants, pour venir y travailler dans les champs de cacao. N'ayant jamais eu de certificat de naissance, ni aucune forme de document national, son seul document d'identité à l'époque était une carte de l'empire colonial de l'Afrique de l'Ouest française. Muni de ce document, il a essayé d'obtenir une carte consulaire du Burkina Faso, mais on lui a répondu qu'il devait présenter un document d'identification officiel.

Des décennies plus tard, Pascal n'a toujours pas de preuve de son identité et a peur de quitter son village de crainte d'être arrêté. « Je peux être un bon cultivateur de café, de cacao et de riz », dit-il, « mais le fait de ne pas avoir de nationalité m'a confiné dans mon village et mes champs ».

Nana, 79 ans, était apatride depuis des décennies après avoir déménagé dans ce qui est à présent la Côte d'Ivoire dans les années 40. Elle a récemment obtenu une carte consulaire du Burkina Faso. Elle tient une photo de son mari défunt.   © HCR/H.Caux

Nana

Nana, 79 ans, regarde tendrement le portrait de son mari défunt, El Haj Kabré Boureima, qui est décédé en 2013. Dans les années 40, le couple a quitté le Burkina Faso pour s'installer à Saria, au centre de la Côte d'Ivoire, avec la première vague de travail forcé pour travailler dans les champs de cacao de la région.

Aujourd'hui, plus de 90 pour cent des habitants de Saria sont originaires du Burkina Faso. La plupart possèdent une carte consulaire du Burkina Faso ou des documents ivoiriens. Mais cette situation est récente. Il n'y a pas si longtemps, la plupart de ces personnes n'avaient pas de preuve de documents nationaux et utilisaient leur certificat de naissance, lorsqu'elles en avaient, lors de leurs déplacements.

Sans papiers, de nombreuses personnes ont été victimes de discrimination au cours des crises politiques successives qui ont secoué la Côte d'Ivoire. Nana et son défunt mari ne pourront jamais rattraper ces années.

Mohamed, 17 ans, a peur de quitter son village, car il craint d'être arrêté ou d'être condamné à une amende.   © HCR/H.Caux

Mohamed

Mohamed, 17 ans, est assis devant sa maison dans le petit village de Saria, au centre de la Côte d'Ivoire. Il est né à Ouagadougou, Burkina Faso, de parents burkinabés qui sont décédés alors qu'il était très jeune. Le frère aîné de sa mère l'a emmené en Côte d'Ivoire peu après le décès de ses parents et il n'est jamais retourné dans son village natal depuis qu'il s'est installé à Saria.

Il n'avait pas été déclaré à la naissance et n'a pas de papiers pour prouver la nationalité burkinabée de ses parents. À présent, il s'est résigné à ne jamais quitter Saria faute de papiers d'identité.

« Lorsque j'ai essayé de me rendre dans des villes voisines pour vendre mes récoltes de cacao ou de café », explique-t-il, « des policiers ou des militaires m'ont arrêté et parfois ils m'ont forcé à payer 10 000 francs CFA [environ 20 $ US], la moitié de mon salaire annuel ».

Rakiata et sa famille sont incapables de prouver leur nationalité. « La situation a été tellement difficile. Nous avons l'impression de ne pas exister ».   © HCR/H.Caux

Rakiata

Rakiata a une cinquantaine d'années. Elle est assise avec son fils, sa fille et son petit-fils devant leur maison de Zuenoula, au centre de la Côte d'Ivoire. Ni elle, ni ses enfants n'ont de documents nationaux prouvant leurs liens ancestraux avec le Burkina Faso. Ils sont dès lors exposés à un risque élevé d'apatridie.

Cette absence de documents d'identité a rendu leur vie difficile. Rakiata n'a pas beaucoup d'autre choix que de travailler comme agricultrice de subsistance et de cultiver du riz, parce que sans papiers, elle ne peut pas se joindre à une coopérative agricole et ainsi augmenter sa production. Son fils aussi a été arrêté à maintes reprises aux points de contrôle, détenu et même battu, car il était incapable de prouver sa nationalité.

« La situation a été tellement difficile », explique Rakiata. « Nous avons l'impression de ne pas exister ».

Adama, 32 ans, dit qu'il a été arrêté, détenu et même battu, parce qu'il n'a pas de papiers prouvant sa nationalité.  © HCR/H.Caux

Adama

Faute de papiers, le fils de Rakiata, Adama, 32 ans, a été arrêté et détenu à plusieurs occasions. Il se souvient d'un incident mémorable en particulier alors qu'il voyageait de Zuenoula, au centre de la Côte d'Ivoire, vers la capitale administrative du pays, Yamoussoukro.

« En 2003, j'ai été arrêté à un barrage routier », se souvient-il. « Comme je n'ai pas été en mesure de prouver mon identité, j'ai dû payer 2 000 francs CFA [soit 4 $ US] et j'ai ensuite été emmené dans un camp militaire tout proche, où j'ai été forcé de nettoyer la cour et ses alentours ».

Les soldats se sont impatientés lorsqu'ils ont découvert qu'Adama n'avait pas de papiers prouvant qu'il était né en Côte d'Ivoire. Il explique qu'ils l'ont battu avant de finalement le relâcher contre de l'argent. Même aujourd'hui, il est toujours arrêté régulièrement aux points de contrôle lorsqu'il se rend au marché et est souvent forcé de payer entre 500 et 1 000 francs CFA - entre 1 et 2 $ US.

Il a fallu des années à Oumarou, âgé à présent de 50 ans, pour obtenir la nationalité ivoirienne. « Je suis très heureux maintenant », explique-t-il. « Mais, je n'oublierai pas les années où je n'étais reconnu nulle part ».   © HCR/H.Caux

Oumarou

Oumarou, 50 ans, est né à Tenkodogo, au centre de la Côte d'Ivoire, de parents burkinabés. Après avoir obtenu son diplôme de l'école primaire en 1984, il a essayé de s'inscrire à l'école secondaire, mais on lui a dit qu'il ne serait pas accepté sans une carte d'identité nationale.

Il est parti au Burkina Faso dans l'espoir que sa carte consulaire du Burkina Faso serait une preuve suffisante de nationalité. Là encore, sa demande a été rejetée. Ce n'est que lorsqu'un ami est intervenu en son nom qu'il a été en mesure d'obtenir un certificat de nationalité burkinabée et de poursuivre ses études.

À son retour en Côte d'Ivoire en 1990, Oumarou a fait une demande pour obtenir la citoyenneté ivoirienne, qu'il a finalement obtenue cinq ans plus tard.

« Je suis très heureux maintenant, et avoir la citoyenneté ivoirienne ici en Côte d'Ivoire a rendu ma vie bien plus facile », explique-t-il. « Mais, je n'oublierai pas les années où je n'étais reconnu nulle part ».

Abou, 24 ans, est un ancien enfant des rues qui a obtenu un certificat de naissance avec l'aide d'un organisme d'aide.  © HCR/H.Caux

Abou

Ancien enfant des rues, Abou, 24 ans, montre fièrement sa carte d'identité sénégalaise. « Le chemin a été long pour que je me sente enfin plus en paix et en sécurité », explique-t-il.

N'ayant jamais été reconnu à la naissance, Abou n'avait que six ans lorsque sa famille l'a envoyé à la daara [école coranique] près de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal. Mais après des années de mauvais traitement et de travaux épuisants dans les champs agricoles, Abou s'est finalement échappé. Il a alors passé des années dans les rues de Dakar, dormant dans la rue la nuit et mendiant de l'argent la journée.

« J'ai failli mourir de la tuberculose », ajoute-t-il. « Après des années dans les rues, j'ai eu la chance d'être trouvé par un organisme d'aide qui a pris soin de moi. Ils m'ont également aidé à obtenir un certificat de naissance tardif et ensuite des papiers d'identité ». Artiste de talent, Abou donne à présent des cours de poterie aux jeunes garçons des rues.