Depuis quelques mois, aucun incident majeur n'a été signalé entre ces deux communautés qui s'affrontent depuis plusieurs générations.
Un soleil cuisant écrase Mukondo. Près de leurs cases de terre et de bois, parfois rongées par les pluies, des déplacés Bantous et Pygmées se plaignent du manque d'eau, de nourriture, de travail, d'écoles, de soins, de latrines... Tous reconnaissent, pourtant, que dans ce village enclavé du sud-est de la République démocratique du Congo, ils ne sont pas si mal lotis, à l'abri du sanglant conflit qui déchire leurs communautés.
« On a peur de rentrer à cause des tueries. Les gens qui viennent de cette région nous disent que le combat entre les Bantous et les Pygmées, ça continue toujours », raconte Ilaya Mpalila, une Pygmée qui a perdu deux de ses six enfants dans les attaques. Anna Muganza, sa voisine bantoue, mère de six rejetons, partage la même crainte.
D'après plusieurs témoignages, les violences ont commencé en décembre 2013 à Nsange, au sud de Mukondo, à cause d'un adultère impliquant un Bantou et une Pygmée. Chaque camp a constitué des milices et les violences, souvent accompagnées d'incendies et parfois de viols, se sont propagées. Le bilan en 2014-2015 fait état de plus de 650 meurtres, pour beaucoup perpétrés à l'arme blanche, selon le Haut-commissariat aux réfugiés de l'ONU (HCR). La crise a culminé en avril 2015, lorsque des miliciens bantous ont attaqué un camp de déplacés principalement habité par des Pygmées à Nyunzu, tuant des dizaines d'entre eux, selon le Bureau conjoint des droits de l'Homme de l'ONU (BCNUDH) et Human Rights Watch.
«Les miliciens pygmées se cachent» Ce bilan est contesté par les autorités locales, qui évoquent « trois morts documentées », mais d'après plusieurs humanitaires, elles ont fait pression pour étouffer la vérité. Reste que l'attaque choque. « Il n'y a pas de raison valable pour attaquer un camp de déplacés. Un déplacé, il faut qu'il ait la paix ! », plaide Kungwa Kaumba, une Bantoue mère de huit enfants réfugiée à Mukondo, qui compte quelques centaines de déplacés. Pour elle et d'autres exilés, pas question d'exporter le conflit, qui a traumatisé certains enfants : « On est en bons termes avec les Pygmées. On partage même à manger avec eux ! »
Jean-Pierre Kitenge Amisi, nommé chef des quelque 4 700 déplacés bantous et pygmées de Nyemba, affirme que les deux communautés vivent en paix. Mais il regarde avec inquiétude les hautes herbes alentours : « Les miliciens pygmées se cachent dedans avant d'attaquer... » A ses côtés, Budjita Kyungu Ndaye, Pygmée, craint aussi que les siens passent à l'offensive. « Je veux qu'on soit comme on était avant ! », lance-t-il, nostalgique. Pourtant, son peuple, minoritaire, est discriminé par les Bantous. Il cite la redevance coutumière qu'il devait payer après la prise d'un gibier. Et d'insister sur un autre point : « Quand ils veulent nos femmes, on ne peut rien dire, mais si nous on veut les leurs, c'est tout un problème. »
Depuis des générations, les Pygmées, chasseurs-cueilleurs, ont été marginalisés par des Bantous. Si des avancées ont été accomplies quant à leur accès à la scolarisation, au vote ou à la santé, beaucoup travaillent encore durement contre une faible rémunération (manioc, cigarettes, alcool...).
Accalmie de façade ? Pourquoi la situation a-t-elle dégénérée ? Des humanitaires et défenseurs des droits de l'homme blâment un déploiement insuffisant de l'armée et des Casque bleus et l'absence de mesures fortes pour bannir les inégalités et endiguer les violences. « C'est un problème de fond, de dignité, avec des aspects socio-économiques, anthropologiques, sociologiques... » à régler « au plus haut niveau politique », estime un analyste congolais. Après l'attaque de Nyunzu, l'ONU a annoncé le déblocage de 2 millions de dollars pour assister plus de 60 000 personnes.
L'argent provient du Pooled Fund, un fond commun humanitaire géré par l'ONU et alimenté par les ambassades. Sur la route descendant de Nyemba vers Nsange, où l'on découvre des maisons incendiées, des panneaux flambants neufs indiquent que le Pooled Fund finance la construction de logis. C'est notamment le cas à Muhuya, où poussent des maisons en adobe, au toit de tôle. Loin de la route, Ieda-Relief, l'une des ONG présentes dans la région, a créé un jardin intercommunautaire.
Pioche à la main, Justin Muhuya, Bantou, salue l'initiative mais refuse les mariages mixtes : «Nous, on a toujours étudié pour pouvoir payer la dot. Les Pygmées doivent se mettre au même niveau que nous s'ils veulent prendre nos femmes !» Malgré ce discours, fréquent et décomplexé, l'aide humanitaire et le processus de réconciliation déclarations de non-agression, comités de gestion des litiges, matchs de football intercommunautaires, chansons de sensibilisation... semblent payer. « Je veux éviter les conflits et uvrer pour l'égalité », confie le chef milicien pygmée Kyungu Moket, alias « 7-7 », en visite à Balumbu-Ngoy, un autre village théâtre de retours.
Depuis quelques mois, aucun incident majeur n'a été signalé et des dizaines de miliciens pygmées se sont rendus. Toutefois, des acteurs de terrain notent une hausse de la «méfiance» depuis l'attaque de Nyunzu, et soupçonnent une accalmie de façade, motivée par la perspective d'une aide humanitaire. « Pour les Pygmées, c'est un conflit de libération, souligne un employé de l'ONU. A moins que leurs droits soient reconnus, on aura toujours des escarmouches. »