Africa Hide/Show

Americas Hide/Show

Asia/Pacific Hide/Show

Europe Hide/Show

General Hide/Show

MENA Hide/Show

Migrants

Publisher: Le Vif / L'Express
Author: François Janne d’Othée
Story date: 23/12/2015
Language: Français

Près d'un million de demandeurs d'asile ont accosté en Europe en 2015, soit la plus grave crise migratoire depuis 1945. Elle a suscité des réponses disparates, et enflammé le débat politique.

Europe forteresse Des attentats aux amalgames

M comme migrants. Ou comme Maximilien, du nom de ce parc bruxellois qui a vu déferler des centaines de demandeurs d'asile à la fin des vacances d'été. Le 27 août, une plateforme citoyenne était lancée avec, comme figure de proue, Elodie Francart, qui militait depuis longtemps pour la cause des sans-papiers. Cet afflux massif n'était guère étonnant : début juillet, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) indiquait qu'un nombre record de 137 000 migrants avait traversé la Méditerranée au cours du premier semestre 2015, soit une hausse de... 83 % par rapport au premier semestre 2014. Du jamais-vu depuis 1945.

Que fuyaient-ils donc pour risquer autant leur vie ? Pour la plupart, les guerres, les conflits, les persécutions. Mais aussi des situations économiques devenues intenables, raison pour laquelle le terme générique de « migrant » a pris le dessus sur celui de réfugié ou de demandeur d'asile. Un tiers des hommes, femmes et enfants qui ont rejoint, par la mer, la Grèce ou l'Italie, cette année, sont arrivés de Syrie, pays ravagé par une guerre fratricide depuis 2011. Ils proviennent aussi, pour 12 % d'entre eux, d'Afghanistan, ainsi que d'Erythrée, cette Corée du Nord version africaine. La Somalie, le Nigeria, l'Irak et le Soudan sont les autres principaux pays d'origine des migrants. Plus de 3 500 d'entre eux n'atteindront jamais leur objectif : ils ont péri noyés.

Si la situation a empiré avec l'été, c'est aussi parce que la météo était favorable et que les passeurs, toujours plus nombreux, ont redoublé d'activité. Avec parfois des tragédies à la clé : le 28 août, les corps de 71 migrants étaient découverts dans un camion le long d'une route autrichienne. Morts étouffés. Et en Belgique ? « Le problème, souligne Elodie Francart, c'est que les demandes étaient bien trop nombreuses par rapport au nombre de places dans les centres d'hébergement. Il y a donc eu blocage au moment de l'enregistrement ». D'autant qu'une fois la demande actée, les autorités sont dans l'obligation d'offrir une place en centre d'accueil, au risque de se voir condamnées à des astreintes. Un récent jugement obligerait même l'Etat belge à fournir un toit dès qu'un demandeur d'asile a foulé le sol belge.

Comment ces migrants ont-ils accosté en Belgique ? « Pas de raison précise, constate la jeune femme. Cela pouvait être pour des motifs familiaux, le bouche à oreille, le hasard... car au départ c'est souvent l'Allemagne ou la Suède qui ont leur préférence. » Ce qu'on retiendra du parc Maximilien, c'est le formidable élan de solidarité : des dizaines de citoyens sont venus apporter repas, couvertures ou jouets. Et cela, aussi, a joué sur le désir de certains candidats de rester dans notre pays. Toutefois, l'accueil ne fut pas aussi chaleureux partout. A Walcourt, les esprits se sont échauffés lors d'une séance d'information sur l'installation d'un centre. Des cris de haine ont fusé. La psychose du réfugié, surtout s'il est musulman, a dominé en d'autres lieux aussi.

« Au parc Maximilien, au contraire, la perception des Bruxellois avait changé car ils ont été confrontés directement à la réalité », note Elodie Francart, qui ajoute que ces migrants venus chez nous sont plus éduqués que la moyenne, et ont davantage de moyens que leurs millions de compatriotes forcés de végéter dans des camps situés dans des pays limitrophes. Au Liban, un quart des résidents sont des réfugiés syriens. En Turquie, ils sont près de deux millions. En Europe, aucune proportion de ce genre. On est loin de « l'invasion des barbares »... d'autant que certains réfugiés, surtout irakiens, ont choisi de rentrer dans leur pays au vu de la lenteur des procédures d'asile.

Cela n'a pas empêché l'Europe de se barricader. La Hongrie s'est entourée de barbelés. Des lignes ferroviaires ont été suspendues, notamment entre le Danemark et l'Allemagne. La Slovénie s'est elle aussi érigée de barbelés à sa frontière avec la Croatie, qui ne fait pas partie de l'espace Schengen. Seule l'Allemagne d'Angela Merkel a fait preuve d'une belle empathie, mais ce fut de courte durée, et surtout dicté par la « valeur ajoutée » que ces migrants peuvent injecter dans l'économie. Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, compare aujourd'hui l'accueil de milliers de migrants en 2015 à « une avalanche commise par un skieur imprudent et qui risque de tout emporter ».

A l'issue de sommets tendus, les 28 Etats membres ont fini par se mettre d'accord sur le minimum : accord sur une répartition de 160 000 réfugiés, opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée, création encore nébuleuse de hot spots aux frontières de l'Union pour le recensement des réfugiés, accord avec la Turquie sur un fonds de trois milliards d'euros pour aider ce pays à garder les réfugiés chez lui... La Grèce, elle, se voit menacée d'exclusion de la zone Schengen si elle ne contrôle pas mieux ses frontières. « Ce n'est pas à la Grèce de porter le poids de la question migratoire, rétorque Elodie Francart, qui revient de Lesbos. C'est une responsabilité européenne. Là-bas, le flot ne tarit pas. Bloquer les frontières ne fait que déplacer le problème. »

Malgré la silhouette devenue emblématique du petit Aylan, retrouvé noyé sur une plage turque, la crise des réfugiés a surtout alimenté le vote de repli, comme on l'a vu en France. « La forteresse Europe n'est pas une solution et n'est pas digne de nos valeurs humanistes », déplore l'eurodéputé Louis Michel. Et si on voyait le défi migratoire par le bon bout, celui du pouvoir d'attraction du Vieux Continent ? Interrogé par la VRT, le célèbre journaliste britannique Robert Fisk estime que « la plus grande défaite pour l'Etat islamique ces derniers mois a été d'observer cette armée de réfugiés se détourner du "fantastique califat" pour se diriger vers l'Europe. Le pire, ce fut de voir les Allemands les accueillir à bras ouverts. Si les djihadistes s'attaquent aujourd'hui à l'Europe, c'est pour pousser les Européens à faire la guerre à ces réfugiés, ils veulent qu'il y ait la guerre civile dans nos pays ».

Entre-temps le terrorisme a sévi, et les attentats de Paris du 13 novembre ont provoqué un puissant traumatisme. Le regard à l'égard des migrants s'est assombri encore un peu plus. Selon le Premier ministre français Manuel Valls, « des auteurs ont profité de la crise des réfugiés pour se glisser en France ». Elodie Francart témoigne : « Parmi nos bénévoles, on a directement senti de l'hostilité çà et là. Moins de gens sont venus en aide. Seuls ceux qui étaient déjà actifs à Maximilien sont restés convaincus qu'il fallait poursuivre le travail d'accueil, d'autres ont calé à cause de la présence de ces quelques cas de terroristes fondus dans la masse. Mais la crainte, je l'ai surtout sentie auprès des réfugiés eux-mêmes, qui se demandaient comment, dorénavant, ils allaient être traités. »

Une crainte fondée : aux Etats-Unis, le candidat républicain Donald Trump n'a pas hésité à stigmatiser les musulmans en suggérant de leur interdire l'accès au territoire américain. La Chambre des représentants, à majorité républicaine, a déjà adopté une mesure qui suspendrait l'accueil de réfugiés syriens et irakiens, en dépit de la menace de veto du président Obama. Depuis le début de la guerre en Syrie, seuls 2 000 réfugiés de ce pays ont pu fouler le sol américain.

Si la plateforme citoyenne a décidé de fermer le camp du parc Maximilien après un mois, ce fut pour « refuser de servir d'alibi à l'inaction des autorités ». Le flux des migrants ne s'est pas arrêté pour autant. « On se retrouve parfois avec un nombre de 80 à 400 personnes à reloger, et comme les places manquent, même dans les logements alternatifs, certains sont obligés de dormir dehors dans le froid, constate Elodie Francart. Heureusement que les ONG et les citoyens se mobilisent, sinon la situation serait catastrophique. » La jeune femme travaille actuellement sur un projet, soutenu par MSF, de mise en réseau des initiatives en Europe à destination des migrants. Objectif : les aider dans leur cheminement tout en les libérant de l'emprise des passeurs.

Restera à déterminer les responsabilités de cette grande transhumance qui a parfois été présentée, étrangement, comme une catastrophe naturelle. Dans le cas de la Syrie, faut-il pointer Bachar al-Assad ? l'Etat islamique ? les puissances régionales qui ont envenimé un conflit latent ? l'invasion américaine de l'Irak ? l'impéritie des puissances occidentales ? On pourrait remonter aux croisades... En attendant d'hypothétiques solutions politiques, le flot des départs ne tarira pas. Et ce n'est pas demain que les migrants retourneront au pays pour le reconstruire.
 

Refugees Daily
Refugees Global Press Review
Compiled by Media Relations and Public Information Service, UNHCR
For UNHCR Internal Distribution ONLY
UNHCR does not vouch for the accuracy or reliability of articles in Refugees Daily