Le 14 mai, les représentants de la communauté internationale, dont le président François Hollande, se joignent à Abuja, au Nigeria, aux chefs d’Etat des pays membres de la Commission du bassin du lac Tchad pour parler de la guerre que livrent conjointement ces Etats aux militants de la secte islamiste Boko Haram qui sèment la terreur dans la région. Retour sur les principales étapes de la montée en puissance de l'« organisation terroriste la plus meurtrière du monde », pour reprendre le qualificatif du think-tank Institute for Economics and Peace.
1. Origines (2002-2008)
2002 Prédicateur charismatique formé en Arabie Saoudite, Mohammed Yusuf, fonde en 2002, à Maiduguri, capitale de l’Etat fédéré de Borno (nord-est du Nigeria), la secte Boko Haram (nom usuel qui signifie en haoussa « l’éducation occidentale est un péché »). De son vrai nom Jamaatu Ahlis Sunnah Lidda’awati wal Jihad (« congrégatione sunnite pour la prédication et le jihad »), Boko Haram séduit la jeunesse désoeuvrée de Maïduguri qui se reconnaît dans les prêches de Yusuf dénonçant la corruption de l’Etat nigérian. Elle est responsable selon le prédicateur, de la misère qui sévit dans la partie septentrionale du pays, privée des bénéfices de la manne pétrolière. Le Nord du pays, à majorité musulman, a effectivement le sentiment d’être abandonné par le pouvoir central qui a le regard tourné vers le Sud, à majorité chrétienne. C’est dans le Sud aussi que se trouvent les principaux gisements de pétrole.
Admirateur des talibans afghans et d’Oussama Ben Laden, Mohammed Yusuf enseigne le Coran et un islam radical qui refuse le mode de vie et les principes occidentaux. Il veut instaurer un Etat islamique. Sous le commandement de son leader, la secte islamiste, non-violente à ses débuts, se métamorphose en un mouvement de plus en plus violent et revendicatif.
2003 Les membres de Boko Haram ont recours à la violence pour la première fois lorsqu’ils attaquent en septembre des postes de police et des bâtiments publics dans l’Etat de Yobe (nord-est, frontalier de l'Etat de Borno) en signe de contestation de l’ordre politique établi. La multiplication d’agressions et de violences contre les symboles du pouvoir politique commence à attirer l’attention des autorités.
2005-2008 Le mouvement se concentre sur le recrutement de nouveaux membres et le renforcement de ses ressources. La secte, interdite d’apparition à la télévision et à la radio, se fait connaître grâce aux cassettes des prêches de son fondateur, qui se vendent comme des petits pains.
2. Radicalisation (2009-2011)
2009 Les forces de sécurité ouvrent le feu sur des membres de Boko Haram qui défilent dans un cortège funèbre. La grande répression policière qui s’abat contre la secte, se révèle contre-productive et contribue à sa radicalisation.
Les 26 et 27 juillet sont des jours particulièrement meurtriers pour le Nord du Nigeria. Les Etats du Bauchi, Kano, Borno et Yobe sont les cibles des attaques par des militants de Boko Haram, entraînant des répressions policières d’une grande violence. Bilan de ces affrontements : 800 morts en deux jours. Fin juillet, Mohammed Yusuf est arrêté, torturé et exécuté par les forces de sécurité pendant sa garde à vue, en même temps que des centaines d’autres adhérents de son mouvement. Nombre de ceux qui survivent à la terrible répression policière entrent dans la clandestinité ou partent en exil dans des pays limitrophes. Selon les historiens, c’est pendant leur exil, au contact des groupes islamistes sahéliens, que les militants de Boko Haram s’initient aux nouvelles techniques terroristes, à savoir les attentats-suicides, l’utilisation de kamikazes et les enlèvements de personnalités politiques.
2010 L’ancien numéro 2 de Boko Haram, Abubakar Shekau, se proclame le nouveau leader du mouvement. De retour au bercail, les combattants exilés se réorganisent et lancent de nouveaux raids contre les postes de police. En septembre, ils donnent l’assaut contre une prison dans l’Etat de Bauchi (nord-est) et libèrent 732 prisonniers dont 150 islamistes. En décembre, une série d’attaques revendiquées par Boko Haram dans la ville de Jos au centre du pays et à Maïduguri fait au moins 86 morts. Le cycle de violences est bel et bien enclenché.
Sous le leadership de Shekau, la secte bascule dans la violence terroriste qui s’en prend indifféremment désormais aux civils et aux représentants du pouvoir. Les revendications des militants portent sur l’instauration de la charia à travers tout le pays.
2011 C’est à une généralisation d’attaques à la bombe et d’attentats-suicide qu’on assiste désormais, avec pour cibles: des écoles, des églises, des moquées et des forces de l’ordre, principalement dans le nord-est. Apparaît aussi le phénomène des « attentats-motos », perpétrés par des motards cagoulés et armés de kalachnikovs qui tirent sur les fonctionnaires, les militaires, les policiers, les islamistes modérés, mais aussi sur des civils.
L’une des attaques les plus spectaculaires de cette année-là, perpétrée en août, cible le siège des Nations Unies à Abuja, faisant 23 victimes. Août et septembre se révèlent être des mois particulièrement meurtriers avec des attentats horriblement coûteux en vies humaines, visant des commissariats et un bar en plein air à Maïduguri. C’est encore en septembre que Babakura Fugu, beau-frère du chef défunt de Boko Haram, Mohammed Yusuf, est abattu devant chez lui pour avoir participé à des négociations pour la paix avec l’ex-président, Olusegun Obasanjo.
3. Expansion (2012-2013)
2012 L’année 2012 s’ouvre sur des attaques kamikazes particulièrement meurtrières à Kano, deuxième ville nigériane, faisant près de 200 morts. En juin, les combattants islamistes font exploser en juin des voitures piégées contre des églises chrétiennes à Zaria et Kaduna, ce qui déclenche une vague de violences, opposant musulmans et chrétiens et faisant 80 morts. Boko Haram appelle les chrétiens à quitter le nord. Le président nigérian d'alors Goodluck Jonathan décide, avec l’accord de l’Assemblée nationale, d’imposer l’état d’urgence dans le Borno, l’Etat du Nigeria le plus touché par le terrorisme islamiste, mais ne parvient pas à endiguer la violence.
La secte est devenue une véritable armée dont les effectifs s’élèvent à quelque 15 000 hommes, ce qui en fait une véritable menace régionale. L’année 2012 est marquée par les premières incursions de Boko Haram dans le Nord-Cameroun où entre octobre 2012 et janvier 2013, trois attaques sont perpétrées dans une zone à la frontière entre les deux pays. La menace Boko Haram se fait particulièrement pressante au Cameroun à cause de la porosité de la frontière entre le Nord-Nigeria et le Nord-Cameroun.
2013 Climat de guerre civile dans tout l’Etat de Borno. Mieux armés, les combattants prennent d’assaut des casernes militaires, des commissariats ainsi que des édifices publics. Ces attaques sont appuyées par des chars et des armes antiaériennes montées sur des camions à plate-forme. C’est une première dans le conflit qui oppose les islamistes aux militaires nigérians.
Dès le mois de mai, l’état d’urgence est instauré dans tout le nord-est du Nigeria. Cela n’empêche pas les militants de Boko Haram de lancer des attaques quotidiennes contre des cibles civiles dans les villes et les villages du nord-est et multiplier des attaques meurtrières jusque dans la capitale Abuja.
Boko Haram poursuit aussi ses incursions dans le Nord-Cameroun voisin où en février la secte participe à l’enlèvement d’une famille d’expatriés français (les Moulin-Fournier) et leurs quatre enfants. Elle revendique aussi l’enlèvement d’un prêtre français survenu en novembre. Le gouvernement camerounais négocie avec les islamistes la libération des otages et parvient à les récupérer contre rançons.
4. Contre-offensive régionale (2014-2015)
2014 L’emprise territoriale de Boko Haram dans le nord du Nigeria s’accentue avec le groupe étendant sa domination à coups de massacres sur une grande partie de l’Etat de Borno et jusqu’au nord de l’Etat d’Adamwa (nord-est, frontalier du Cameroun). Fin 2014, le mouvement contrôle 4 grandes villes (Gworza, Bama, Baga et Gulani) et une trentaine d’agglomérations, soit 70% de l’Etat de Borno.
En août, le chef du groupe islamiste, Abubakar Shekau proclame un « califat » dans les zones sous son contrôle, tout comme l’organisation jihadiste l’Etat islamique en a décrété dans les régions qu’elle a conquises, à cheval sur l’Irak et la Syrie.
La grande affaire de 2014, c’est l’enlèvement en avril de 276 lycéennes par des hommes armés à Chibok, dans l'Etat de Borno. Le chef de la secte islamiste revendique le rapt de lycéennes qu’il veut « vendre » comme « esclaves » et « marier » de force. 57 jeunes filles réussissent à s’enfuir, mais 219 sont toujours portées disparues. L’affaire suscite une indignation mondiale : elle est à l’origine d’une campagne intense sur les réseaux sociaux sous le hashtag #BringBackOurGirls, sans que pour autant les filles enlevées soient libérées.
Ce drame des filles de Chibok contribue à la sensibilisation de l’opinion internationale aux menaces que Boko Haram fait peser à terme sur la société nigériane. La secte islamiste est inscrite dès mai 2014 sur la liste des sanctions des Nations unies. Plusieurs Etats, dont la Grande Bretagne et les Etats-Unis s’engagent à aider le gouvernement nigérian à rechercher les jeunes filles kidnappées. Dans la foulée, la France organise le 17 mai 2014 un sommet spécial sur la « Sécurité du Nigeria » auquel participent cinq chefs d’Etat de la région (Nigeria, Benin, Cameroun, Tchad et Niger), qui s’inquiètent des débordements transfrontaliers des violences islamistes. Abuja accueille le 14 mai 2016 la deuxième édition de ce sommet spécial, avec l'accent mis cette année sur l'efficacité de la riposte régionale contre la contamination islamiste.
2015 La contre-offensive régionale s’organise. Depuis la vague d’attentats de décembre 2011 et janvier 2012 qui ont semé le chaos dans le nord du Nigeria et ont déstabilisé sa gouvernance, les voisins du géant ouest-africain réfléchissent dans le cadre des réunions de la Commission du bassin du lac Tchad à la mise en place d’une « force mixte dissuasive » pour lutter contre les tentatives de déstabilisation sécuritaire de la région du lac Tchad par Boko Haram et ses ramifications transfrontalières.
Le projet d’une contre-offensive militaire régional se concrétise après les massacres à grande échelle perpétrées début janvier par la secte islamiste dans la localité de Baga, sur les rives du lac Tchad. Selon Amnesty International, l’attaque de Baga est « la plus grande et la plus destructrice et a fait « des centaines » de morts, voire plus. Cette attaque accélère le processus de mise en place d’une Force d’intervention conjointe multinationale, composée de 8700 militaires venus du Tchad, du Cameroun, du Niger, du Bénin et du Nigeria.
Dès février, les armées africaines régionales passent à l’offensive et permettent de reconquérir des pans entiers de territoires tombés aux mains de Boko Haram au cours des mois précédents. L’armée nigériane réorganisée sous l’impulsion du nouveau président, Muhamadu Buhari, élu en avril 2015, réussit à libérer des localités dans le nord-est de l’emprise de la secte islamiste. Ceci a conduit le président Buhari à affirmer dès la fin de l’année que son pays a « techniquement gagné la guerre ».
Or bien qu’affaiblis et repliés dans leur enclave de la forêt de Sambisa, les insurgés islamistes n’ont peut-être pas dit leur dernier mot. L’organisation Boko Haram qui a déclaré en mars avoir fait « allégéance » au mouvement jihadiste Etat islamique (EI), devenant ainsi la branche de Daech en Afrique de l’Ouest, aurait fait, selon le rapport d’une ONG britannique (Action on Armed Violence), trois fois plus de victimes que les années précédentes.
Par ailleurs, quoique née au Nigeria, la secte islamiste est parvenue à s’implanter dans les pays frontaliers, notamment au Niger et au Cameroun où les attaques terroristes sont quasi-quotidiennes. 1200 personnes ont été tuées dans les attaques de Boko Haram au Cameroun depuis 2013.Dans le Sud-Est du Niger, quelque 90 000 habitants ont fui leurs villages depuis le début de l’année, en raison des attaques islamistes. Les attentats-suicide n’épargnent pas le Tchad non plus.
5. 2016: vers le dénouement de la crise ?
2016 L’année sera-t-elle celle de la résolution de la crise islamiste ? Rien n’est moins sûr, comme semble le confirmer la régionalisation grandissante de Boko Haram. Au dire des spécialistes nigérians et occidentaux, l’étape de la contre-offensive régionale risque de durer plusieurs années avant que la paix ne revienne dans la région et que les 2,5 millions de déplacés n’empruntent le chemin du retour.