Route Nationale 1 : Goudron des déplacés?

Un fil rouge dans l’histoire de la région de Diffa
Dans les années 70, afin de renforcer la cohésion du territoire nigérien, les autorités de l’époque ont lancé la construction de la Route Nationale 1 (RN1) appelée Route de l’Unité qui visait à relier le Niger d’Ouest en Est, de Niamey à N'Guigmi, tout près de la frontière tchadienne. Le temps entre la capitale Niamey et la ville de Diffa se réduisait alors de deux tiers mais près de 1500 km séparent toujours les deux villes. Pendant 40 années, le tronçon de la Route de l’Unité allant de Diffa à N’Nguigmi avait eu le temps de se dégrader sous la pression de conditions climatiques extrêmes et d’un phénomène d’ensablement irrévocable sans qu’aucun nouveau travail ne soit lancé.


En 2012, à la faveur du lancement de l’exploitation pétrolière dans la région de Diffa, la Route du Pétrole voyait le jour. L’objectif ici était de reprendre le tronçon allant de Diffa jusqu’à la frontière Tchadienne, en passant par Nguigmi, sur 185 kilomètres. Voyant la fin d’un calvaire, l’enthousiasme des populations de Diffa était élevé. Les acteurs humanitaires observaient aussi avec attention l’avancée des travaux qui signifiait un meilleur accès aux populations déplacés éparpillées majoritairement dans l’est de la région. Quand, à la fin de l’année 2014, un premier tronçon bitumé reliant Diffa a Kinjandi sur 65 km fut ouvert, aucun ne boudait son plaisir de s’éviter autant de kilomètres dans le sable et tous attendait avec impatience de voir le goudron arriver jusqu’à la frontière tchadienne.

Février 2015, premières attaques de Boko Haram sur le sol nigérien. L’entreprise chinoise en charge des travaux plie bagage, provisoirement. Les 120 km restant doivent attendre. Pour les villages riverains du tronçon déjà bitumé, ces quelques kilomètres de goudron ont jouait un rôle difficilement quantifiable  mais indéniable pour alléger la pression exerçait au sein des familles hôtes par l’accueil de déplacés en provenance du Nigeria.

Aujourd’hui, avec la multiplication des attaques des insurgés sur le sol nigérien depuis le mois d’août, des villages frontaliers nigériens tout entiers se sont déplacés des rives de la Komadougou (frontière naturelle entre le Niger et le Nigeria) à  quelques kilomètres au nord, au bord du tronçon bitumé de la RN 1. La route protège et est un lien économique essentiel. Dans le jargon humanitaire on appelle ces nouveaux espaces de concentration des « sites spontanées ». Ces sites s’enchainent soit au milieu d’un nulle part ou proche d’un village pour lequel, très souvent, la population déplacée dépasse largement la population autochtone. On estime qu’entre 50,000 et 70,000 déplacés seraient aujourd’hui présent le long de la RN1. Leur rang grossit de jour en jour.

Sites des déplacés de Assaga le long de la RN1. Photo @ UNHCR/ Benoit Moreno

De la rivière au bitume. De spontanée à durable ?
Rien ne laisse présager un apaisement au niveau sécuritaire dans les mois à venir. Quelques semaines après la saison pluvieuse, la rivière Komadougou est haute et apparait comme un rempart face aux incursions des insurgés. Mais cette année, elle n’a pas pu empêcher la multiplication des attaques. Dans quelques semaines son niveau va se réduire de nouveau.

Le retour des déplacés de la RN1 vers leurs villages n’est pour eux pas à l’ordre du jour. Trop risqué. Certains hommes s’y rendent durant la journée pour maintenir les activités agricoles c’est-à-dire la production de riz et de poivron, le fameux « or rouge » de Diffa. Le soir tous regagnent la RN1. Parfois le lendemain, ils font face à de désagréables surprises : «  il y a quelques temps, les enfants ont brulé la récolte de riz que venait de réaliser certains producteurs et qui était en train de sécher» explique Oumarou Sougou Chef du village de Assaga, premier grand mouvement vers la RN 1 en août 2015. Les enfants sont les insurgés.  Bruler les vivres est cependant peu commun, elles sont généralement emportées.

Eleveurs et agriculteurs aujourd’hui sur le long du bitume, la reconversion risque d’être complexe. Cependant, pour le chef de village d’Assaga, l’avenir se lit à travers la RN1. Son village est régulièrement touché par les inondations. Tout un projet de relocalisation vers le goudron était lancé mais les villageois restaient récalcitrants à l’idée de quitter une zone fertile pour se retrouver au milieu du sable, de quelques acacias et d’une route.  Une école prête à accueillir les enfants était d’ailleurs en construction. Les insurgés ont eu raison de la communauté. Enfants et adolescents se construisent leur chambre en « banco » avec des briques d’argiles à côté de l’abri familial. L’urbanisation de ce site, permettant à chacun de s’installer légalement et évitant des tensions à venir, est l’une des prochaines étapes.


Enfants en train de se construire leurs chambres. Photo @ UNHCR/ Benoit Moreno

En continuant à l’est sur la RN1, la situation est plus complexe. Les mouvements sont plus récents,  les besoins plus élevés, et vivre le long du goudron n’était même pas imaginable il y a quelques mois car les villages s’étant déplacés ne se situaient pas  en zone inondable.

Ces déplacements de villages entiers sont d’ailleurs un véritable défi pour les autorités nigériennes et la communauté humanitaire. Jusqu’à présent, les déplacés étaient majoritairement accueillis au sein des villages et des familles. La solidarité communautaire et le renforcement des services, et infrastructures, existants étaient les principaux leviers sur lesquels pouvait s’appuyer l’assistance. La situation est tout autre aujourd’hui. Le long de la RN1 se redessine une partie de la région de Diffa. On a peut-être jamais autant touché les questions de développement dans cette crise humanitaire.  La RN1 est le principal levier sur lequel il est possible de s’appuyer.

1 Notes

  1. unhcrniger posted this