Bangladesh : Une décision de la Cour Suprême change la vie de plus de 300 000 apatrides

Articles d'actualité, 23 février 2015

© HCR
Nahid Parveen est une auxiliaire de justice ayant une formation de base en droit et médiation. Elle aide les locuteurs de langue ourdoue au Bangladesh à faire une demande pour obtenir des documents d'identité.

DHAKA, Bangladesh, 23 février (HCR) Il fait frais en ce dimanche après-midi dans le camp Geneva à Dhaka, au Bangladesh. De petits groupes se sont formés dans les ruelles étroites de l'installation, cloués devant un écran en plein air diffusant en direct le match de la Coupe du Monde de cricket entre l'Inde et le Pakistan. Certains garçons ont peint le drapeau pakistanais sur leur visage et leur buste, c'est le legs d'un passé qui continue de les affecter aujourd'hui.

Lors de la partition du sous-continent en 1947, des centaines de milliers de locuteurs de langue ourdoue ont migré depuis l'Inde vers ce qui s'appelait alors le Pakistan oriental. Comme certains d'entre eux avaient pris position pour le Pakistan pendant la guerre d'indépendance du Bangladesh, beaucoup ont subi des violences au Bangladesh et ont été forcés de vivre dans des camps dans les centres urbains. Cela était censé prévenir la violence entre la communauté majoritaire et la communauté minoritaire quand le pays est devenu indépendant en 1971.

En 2006, selon les estimations, 151 000 personnes apatrides parlant ourdou vivaient dans 116 camps et installations au Bangladesh, tandis que 100 000 autres vivaient en dehors des camps sans bénéficier de la citoyenneté non plus. Depuis cette date, des décisions judiciaires et un effort concerté des instances nationales et internationales ont contribué à diminuer le nombre d'apatrides et à montrer un bon exemple de la façon de réduire l'apatridie.

A lui seul, le camp Geneva accueille près de 30 000 locuteurs de langue ourdoue. Tandis que la foule du dimanche se concentre sur le cricket, deux jeunes femmes terminent leur journée de travail. Elles ne le savent peut-être pas, mais Nahid Parveen et Shabnaj Akter, toutes deux âgées de 20 ans, détiennent la clé du présent et de l'avenir de leur communauté.

Elles travaillent dans un centre d'aide juridique fondé par Khalid Hussain, le premier avocat parmi la communauté parlant ourdou issue des camps au Bangladesh. Il a étudié dans le camp jusqu'à la 4ème avant de fréquenter une école publique enseignant en bengali. Subissant fréquemment des moqueries et des préjugés, la plupart de ses amis ont abandonné l'école et seuls quatre d'entre eux ont réussi à terminer leurs études un véritable exploit.

Avec un ami, Khalid Hussain a fondé l'Association de la jeune génération de la communauté parlant ourdou en 1999 et a commencé à plaider pour le droit de cette communauté à obtenir la citoyenneté bangladaise. Deux ans plus tard, Khalid Hussain et neuf autres locuteurs de langue ourdoue ont saisi la justice pour que soit reconnu le droit à la citoyenneté des locuteurs de langue ourdoue.

Le jugement a été prononcé en 2003 la Cour Suprême a accordé la citoyenneté aux requérants et a ordonné au gouvernement de les enregistrer comme électeurs. Pour Khalid Hussain et sa communauté, ce verdict a représenté un événement déterminant. « Cette décision a changé ma vie », a-t-il déclaré.

Suite à la décision de la Cour, le HCR a aidé à faire le lien entre les militants nationaux, la communauté internationale et le gouvernement. En 2008, la Cour Suprême a déclaré que tous les membres de la communauté parlant ourdou étaient ressortissants du Bangladesh en vertu de la législation et a ordonné à la commission électorale de les inscrire sur les listes électorales et de leur délivrer des cartes d'identité. Cette déclaration a mis un terme à l'apatridie de plus de 300 000 hommes, femmes et enfants parlant ourdou résidant dans le pays.

Grâce à cette avancée, le Bangladesh figure parmi les sept études de cas provenant d'Asie, d'Europe et d'Amérique latine citées dans le premier recueil de bonnes pratiques du HCR publié lundi. Ce premier recueil, intitulé « Résoudre les principales situations actuelles d'apatridie », correspond au premier point du Plan d'action mondial en 10 points qui fait partie de la campagne du HCR intitulée #IBelong visant à éliminer l'apatridie d'ici 2024.

Il montre comment il est possible de régler la situation de centaines de milliers de personnes grâce à la volonté et à l'action politiques, aux conseils techniques et au plaidoyer ciblé du HCR ainsi qu'à la collaboration d'un grand nombre d'acteurs de la société civile.

Au Bangladesh, Khalid Hussain a fondé le Conseil des minorités afin de sensibiliser les habitants du camp locuteurs de langue ourdoue à leurs droits. Les six centres d'aide juridique de l'organisation offre des services gratuits. « Nous facilitons l'acquisition et l'utilisation de certificats de naissance, passeports, licences commerciales et cartes d'identité », explique Khalid Hussain.

Nahid Parveen est fière de travailler là-bas parce que cela lui vaut le respect de la communauté : « Quand je sors de chez moi? les gens me saluent dans la rue ». Shabnaj Akter travaille à temps partiel comme auxiliaire de justice pour pouvoir poursuivre ses études. Ses amis bengalis sont très amicaux, dit-elle. Ils sont à l'aise quand ils lui rendent visite dans sa modeste habitation dans le camp et elle n'a jamais connu de discrimination en tant que locutrice de langue ourdoue.

Bien que des portes se soient ouvertes pour la communauté, des obstacles quotidiens restent à surmonter. Beaucoup de locuteurs de langue ourdoue continuent de vivre dans une pauvreté extrême et sont parfois incapables d'accéder aux services essentiels soit parce que ces services n'existent pas dans leur région, soit parce qu'ils ne peuvent pas satisfaire aux conditions juridiques ou administratives.

Par exemple, les résidents du camp n'ont pas d'adresse valable, une condition requise pour obtenir un passeport. Le défi est maintenant de faciliter un accès sans entrave à leurs droits civils afin qu'ils aient les mêmes opportunités que tout autre citoyen bangladais.

Par Onchita Shadman à Dhaka, au Bangladesh et Roland Schönbauer à Genève

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Les réfugiés rohingyas au Bangladesh

En 1991, quelque 250 000 réfugiés du nord de l'État de Rakhine au Myanmar ont fui leur pays en bateau ou à pied, pour rejoindre la région de Cox's Bazar au Bangladesh voisin, où ils ont été accueillis dans une vingtaine de camps. Alors que la majorité est depuis rentrée chez elle, environ 20 500 personnes - pour la plupart des Rohingyas, une minorité ethnique musulmane - se trouvent encore dans deux des camps d'origine.

Les conditions de vie dans ces camps sont en-dessous des standards, de nombreux réfugiés vivant dans des abris surpeuplés ayant besoin d'importantes réparations. De fréquentes pluies diluviennes inondent la zone, endommageant davantage l'hébergement et propageant des maladies. Le harcèlement et les discriminations aggravent encore le sort des réfugiés rohingyas, mais la majorité d'entre eux disent ne pas vouloir rentrer au Myanmar avant l'instauration de la paix et de la démocratie.

L'UNHCR a étendu ses activités de suivi de protection à Cox's Bazar pour répondre également aux problèmes de violences sexuelles et à l'encontre des femmes, ainsi qu'au trafic de femmes et d'enfants. En coordination étroite avec d'autres agences des Nations Unies, des organisations non gouvernementales et les gouvernements, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés travaille pour trouver une solution durable pour les réfugiés rohingyas.

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L'apatridie au Bangladesh : Les Biharis

Le sort des Biharis, dont les ancêtres ont rejoint le Bangladesh depuis l'Inde suite à l'indépendance et à la partition du sous-continent indien en 1947, est lié à la séparation du Bangladesh et du Pakistan. L'est du Pakistan est devenu l'Etat indépendant du Bangladesh en 1971. Alors que de nombreux Biharis ourdouphones ont été transférés au Pakistan, près de 300 000 autres sont restés au Bangladesh. Pendant de nombreuses années, leurs droits en tant que citoyens n'ont pas été reconnus. Un grand nombre d'entre eux vivaient dans des camps et des zones d'installation spontanées et, de ce fait, ils n'avaient qu'un accès limité à l'éducation et ils éprouvaient des difficultés à trouver du travail.

En 2008, une décision de principe de la Haute Cour bangladaise a accordé la citoyenneté bangladaise aux ourdouphones. Le gouvernement a accordé le droit de vote aux adultes juste à temps avant les élections générales de décembre 2008 et leur a délivré des cartes d'identité nationale. Aujourd'hui cette population demeure une minorité linguistique ayant besoin de logements décents et d'un meilleur accès à l'emploi.

On compte environ 12 millions d'apatrides à travers le monde. Ces individus sont pris au piège d'un vide juridique et bénéficient d'un accès limité aux droits fondamentaux.

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