Articles d'actualité, 5 mai 2015
Le soleil est encore en train de se lever sur le port italien d'Augusta situé sur la côte orientale de la Sicile quand 446 personnes posent enfin le pied sur la terre ferme après huit jours en mer. Entassés dans un bateau de pêche, ces réfugiés se sont souvent demandé s'ils arriveraient à bon port. Beaucoup n'arrivent toujours pas à croire qu'ils sont vivants.
« Merci, Italie », déclare un homme en quittant le bateau de sauvetage, la tête enveloppée dans une écharpe pour se protéger du soleil. « Merci de m'avoir sauvé la vie ».
Avec ses compagnons de voyage – des hommes, des femmes et des enfants -, il a pris la mer à Alexandrie, en Egypte, dans un état désespéré. Arrivé le 22 avril, c'est le premier bateau à atteindre les côtes de l'Europe par cet itinéraire depuis octobre 2014.
Parmi les passagers se trouve une vieille femme syrienne dont les chevilles sont gonflées. Elle peine pour descendre la passerelle tandis que sa fille, derrière elle, porte un jeune garçon, son petit-fils. Sur le quai, un fauteuil roulant l'attend pour la conduire à l'ombre d'une tente. Une fois sur place, la femme boit avidement à travers ses lèvres sèches et gercées. « Je ne pouvais pas dormir », me dit-elle, entre deux gorgées. « Ni même aller aux toilettes ».
Les autres sont originaires d'Iraq, de Syrie, de Somalie, d'Erythrée et du Soudan et ils ont fui la guerre ou la misère noire dans leur pays. Parmi eux, on compte cinquante neuf enfants, ainsi que deux femmes enceintes.
Quand je rencontre Amin, sa femme Hanan et leurs trois jeunes enfants, ils sont en train de faire la queue pour un contrôle médical dès leur arrivée. Le plus jeune, un garçon de trois ans dénommé Jamal, arbore une paire de chaussures en plastique rose que l'équipe de sauvetage lui a données. « Cool », lui dis-je en les montrant, et il sourit fièrement.
Hanan a l'air épuisée, après huit jours épouvantable en mer et presque cinq mois de fuite depuis la Syrie. La seule chose que la famille porte est un sac à dos Spiderman. Plein à craquer, c'est tout ce qui reste de leur ancienne vie.
Plus tard, dans un lieu d'accueil sous une tente, je les retrouve en train de manger leur premier repas sur la terre ferme : un panier-repas qui leur a été distribué à leur arrivée. Autour de nous, des familles se reposent sur des rangées de lits de camp. Pour le moment, au moins, leur cauchemar est terminé.
« Comment allez-vous », demande Amin, en m'offrant un de ses biscuits salés. « Voulez-vous un biscuit ? ». Je hoche la tête en signe de refus et je leur demande comment ils se sentent.
« Fatigués », répond Hanan, avec un sourire las. Son visage, encadré par un foulard beige, et celui de son mari, sont tous les deux brûlés par le soleil après huit jours à la dérive sur la mer Méditerranée. Je remarque que les chaussures d'Amin sont usées jusqu'à la corde.
Amin et Hanan, tous deux enseignants, se sont rencontrés pour la première fois il y a 13 ans dans la même école à Damas, en Syrie. Amin enseignait les maths et Hanan, peintre et sculptrice, enseignait l'art. Ils se sont fréquentés pendant trois ans avant que le père accepte Amin dans la famille.
« Un jour, je l'ai rencontré et il m'a dit 'Je t'accepte comme mari de ma fille ' », raconte Amin. « Puis, un mois plus tard, il a changé d'avis ». Aujourd'hui, au moins, ils en rient. « Nous avons vécu beaucoup de belles années », déclare-t-il en souriant à sa femme.
Mais quand la guerre en Syrie est devenue trop dure à supporter, la famille a été forcée de fuir. Ils ont pensé que, pour leur sécurité, la meilleure chance était de prendre un bateau en Egypte pour l'Europe, et ils ont donc pris l'avion pour le Soudan, puis se sont entassés dans un pickup pour traverser le désert. « Quand nous sommes arrivés en Egypte, nous sommes immédiatement allés vers la mer », déclare Amin. « Mais les gardes-côtes égyptiens nous ont attrapés et nous avons tous été arrêtés ».
Bien que la famille ait passé 11 jours en détention, leur arrestation s'est avérée être une bénédiction déguisée. « Le 6 septembre, le bateau sur lequel nous devions embarquer a coulé », explique Hanan. « Mais nous étions en prison. La prison a été une chance pour nous ».
Après la libération de sa famille, Amin a décidé d'essayer de travailler en Egypte, acceptant n'importe quel emploi. Pendant trois mois, il a travaillé dans la construction et il a vendu du poisson sur le marché. Mais la vie était dure et le risque de traverser la mer Méditerranée en bateau leur est apparu de plus en plus supportable.
Aujourd'hui, après 8 jours en mer, avec peu de nourriture et d'eau, la famille d'Amin est heureuse d'être en vie. A l'ombre d'une tente, en compagnie d'environ 100 autres familles, ils se serrent les uns contre les autres, pleins de sourires chaleureux, même dans le désespoir.
Les enfants – toujours les plus résilients – croquent des pommes, joyeusement. Le plus âgé, Wassim, 8 ans, lève le pouce vers le haut. « C'est bon », me dit-il.
Au moins, cette famille peut se reposer cette nuit. Demain, une nouvelle vie commence.