Une réfugiée syrienne au Liban décide de se rendre en Turquie pour risquer de gagner l'Europe
Articles d'actualité, 21 juillet 2015
CHOUEIFAT, Liban, le 21 juillet (UNHCR) - Dans le corridor de son appartement vide, cinq valises pleines gisent soigneusement sur le sol. Après quatre années éreintantes au Liban à titre de réfugiée, Hanan* a pris une décision. Elle s'en va, coûte que coûte.
« J'irai n'importe où; en Italie, en Grèce, peu importe. J'ai officiellement atteint le fond du baril, » a-t-elle annoncé.
Hanan vient d'acheter quatre billets d'avion en direction de la Turquie. Pour ce faire, elle a dû vendre ses derniers bijoux. « J'ai l'intention de contacter un contrebandier qui aidera mes trois enfants et moi à gagner l'Europe par bateau... Je n'ai pas dormi depuis trois nuits, » avoue-t-elle. Après une pause, elle regarde de façon réfléchie : « Mon cerveau pense constamment, je calcule et recalcule. »
Hanan est architecte. Lorsqu'elle vivait en Syrie, elle rénovait et vendait d'anciennes maisons dans la région de sa ville natale. La vie était belle. Elle habitait avec son mari et ses enfants dans une banlieue de Damas. Sa famille et elle passaient leurs étés dans leur résidence secondaire de Bloudan, une ancienne destination de vacances pour la classe moyenne en Syrie.
Son mari était le propriétaire et PDG de l'une des plus importantes usines de désodorisant. Son entreprise comptait 200 employés.
Après avoir ouvert une serviette en cuir et l'avoir placée soigneusement sur ses genoux, elle déclare : « Voici tout ce qu'il reste de l'usine. » Elle nous montre un vieux désodorisant, un sac griffé en coton ainsi que deux chandelles parfumées.
« Mes enfants voulaient les jeter aux ordures. Toutefois, cela aurait rendu mon mari fou. Je ne pouvais les laisser faire. »
Son mari se trouve à présent en Suède. En 2014, il s'y est rendu pensant pouvoir y amener sa famille. Il est depuis sur une liste d'attente dans un centre d'accueil aux frontières suédoises.
Selon Hanan, il aimait la vie et les gens. Aujourd'hui, il a complètement abandonné. Il ne parvient pas à accepter sa nouvelle réalité.
À son arrivée au Liban en 2012, elle a raconté son récit à un homme libanais : « il a pleuré alors que nous nous tenions là, assis, impuissants, mon mari, mes enfants et moi et lui avons révélé que nous étions sans vêtements. »
Depuis presque deux ans, il nous a hébergés dans son appartement de Bchamoun, une banlieue du sud de Beyrouth. « Il nous a acheté un appareil de chauffage, une laveuse et nous a donné 200 $, se souvient-elle. J'ai commencé à recueillir des articles de voisins généreux; le concierge m'a donné un tapis, le voisin lui m'a remis deux chaises. »
Toutefois, l'entente avec le généreux bienfaiteur a pris fin en 2014. « Il avait besoin de son appartement pour sa propre famille, » a-t-elle tenu à expliquer. Hanan a dû prendre quatre emplois afin de payer le loyer de l'appartement dans lequel elle a emménagé avec ses enfants. Elle nettoyait, donnait des cours de cuisine, accomplissait des tâches de secrétariat et se portait bénévole afin d'aider d'autres réfugiés. Malgré tout, elle peinait à joindre les deux bouts.
« Au début, j'avais honte de travailler à titre de femme de ménage ou d'accomplir toute autre tâche que je n'aurais jamais pensé accomplir il y a quelques années. Cependant, je ne peux pas comparer ma situation actuelle à ma vie passée. Le mieux-être de mes enfants vient en premier lieu. »
Comme des centaines de milliers de professionnels syriens, Hanan ne pouvait pratiquer sa profession au Liban. Elle a, malgré tout, été en mesure de négocier l'inscription gratuite de ses enfants dans une école du quartier. « Cette année, ils ont si bien réussi qu'ils ont été dispensés de leurs examens de fin d'année. Mon aîné n'a obtenu que des A, » nous raconte-t-elle fièrement.
Puisque la capacité d'inscriptions de l'école était surpassée, ils ont commencé à exiger des frais de scolarité. « Je ne pouvais tout simplement pas les payer. J'arrivais à peine à payer le loyer en travaillant quatre emplois. Et malgré l'aide alimentaire, je devais souvent nourrir mes enfants avec du pain et des olives, sourit-elle, pouvez-vous imaginer? »
Le permis de résidence temporaire de Hanan a pris fin et elle a choisi de ne pas le renouveler. « Il m'est impossible de payer les 200 $ que coûte le permis. » Elle ne peut se le permettre, comme la plupart des réfugiés syriens au Liban. « Que feriez-vous dans ma situation? Je compte les heures avant notre départ, nous admet-elle en allumant une cigarette. Tout ce qu'il nous reste, ce sont de magnifiques souvenirs de boutons de roses et de cerisiers, » dévoile-t-elle.
Hanan ne peut plus être jointe par téléphone.
Prénom modifié pour des raisons de sécurité.
Par Dana Sleiman, Liban.