En apprenant le vélo, des Syriens nouent des amitiés à Berlin
Articles d'actualité, 25 novembre 2015
BERLIN, 24 novembre (HCR) – Sur les poignées d'un vélo d'emprunt, Shiraz regarde fixement son pied droit et le place avec hésitation sur la pédale en hauteur. Puis elle lève la tête, les yeux fixés vers la vaste étendue du parc, et elle démarre. Sa jambe gauche s'engage dans le rythme du pédalage.
A l'âge avancé de 27 ans, Shiraz, requérante d'asile syrienne en Allemagne, vient tout juste de commencer le vélo. Elle peut le faire grâce aux encouragements de plusieurs bénévoles basés à Berlin, qui ont passé les quatre derniers samedi matin à lui apprendre comment faire du deux-roues.
« J'aime beaucoup ce qu'on ressent à vélo », déclare Shiraz, qui a fui les combats à Alep, au nord de la Syrie, avec toute sa famille il y a deux mois. « Aujourd'hui, c'était génial de pouvoir déjà faire du vélo dans le parc. Bientôt, je pourrai parcourir à vélo les rues de Berlin, comme tous les habitants ici. »
Shiraz partage deux chambres dans un grand centre d'hébergement avec sa mère, son père, son frère et sa belle-sœur. Pour ses parents, attendre l'examen de leurs demandes d'asile est frustrant, dit-elle, mais ce groupe de femmes cyclistes lui a donné un nouvel élan.
« Grâce à ce groupe, je commence à savoir ce que je fais ici. Il n'y avait pas d'avenir pour moi en Syrie. Vivre dans ce pays n'est plus possible », dit-elle. « Ma famille et moi voulions juste un endroit sûr, où il y a la paix. Nous avons dû partir, nous étions bombardés. Mes parents sont ici avec moi en Allemagne. Pendant un court moment, je me sens presque comme si je n'avais plus de soucis. Je suis libre de faire du vélo si je veux. »
L'Allemagne est le rêve pour les cyclistes et la capitale, Berlin, ne fait pas exception. De larges rues plates quadrillent la ville, souvent équipées de pistes cyclables balisées. Le vélo est donc un moyen de transport de choix pour de nombreux résidents. Selon les dernières statistiques, 72 pour cent des Berlinois possèdent un vélo, comparativement à 35 pour cent qui sont propriétaires d'une voiture.
« Beaucoup de gens ici font du vélo et les nouveaux arrivants se rendent compte rapidement que c'est un moyen facile pour se déplacer », déclare Katie Griggs, une Britannique de 40 ans qui a organisé les formations de vélo au bénéfice de Shiraz et d'autres demandeurs d'asile parmi ses amis qui lui ont demandé comment ils pouvaient aussi apprendre à faire du vélo.
« Rouler à vélo procure un sentiment d'indépendance, c'est comme une libération », ajoute Katie Griggs, qui a organisé la collecte de fonds pour donner aux membres du groupe leurs propres vélos. Le mois dernier, elle a reçu plus de 1000 euros de dons et elle a déjà donné à une Syrienne et son fils un vélo tout neuf chacun, avec des cadenas, un casque et un aide pour les réparations si nécessaire.
« Tout le monde apprend de façon différente, certains rapidement, d'autres plus lentement », dit-elle. « Souvent, c'est juste le fait de donner un vélo à quelqu'un pour qu'il le tienne, le touche et se promène avec, et pour créer un sentiment pour le vélo. »
En Syrie, la plupart des enfants ont des vélos, explique Shiraz, qui étudiait le droit quand la menace des bombardements l'a forcée à fuir sa maison. « C'est étrange de voir une femme sur un vélo dans notre pays », dit-elle. « Mais je n'aurais jamais imaginé que je vivrais ici en Allemagne. Jamais je n'aurais pensé quitter mon pays quand je menais une vie normale en Syrie. »
Les leçons de vélo hebdomadaires se déroulent dans un grand espace de loisirs localise au centre de Berlin. Elles ne servent pas seulement à apprendre à faire du vélo. Pour les demandeurs d'asile comme Shiraz et les bénévoles qui donnent leur vélo et un soutien moral, cela sert également à forger de nouveaux contacts.
« Bien sûr, ma maison, mon université et mes amis me manquent », déclare Shiraz. « Lorsque vous vous trouvez dans un endroit dangereux, on ne peut pas dire au revoir à tout le monde. Mais nous devons juste être patients avant d'arriver à rejoindre le peuple allemand et à faire partie de la culture allemande. »
« Si la Syrie redevient sûre un jour, je souhaite rentrer, bien sûr. C'est mon pays natal », ajoute-t-elle. « Mais je n'ai pas beaucoup d'espoir que cela se produise bientôt. La situation empire chaque jour. Il est difficile d'imaginer que ce pays redeviendra un jour comme avant. »
Alors que Shiraz est concentrée sur la maîtrise de l'équilibre et la coordination avec la ténacité nécessaire pour rester debout sur un vélo, le cauchemar de la vie en zone de guerre a finalement commencé à s'éloigner quelque peu.
Pour Katie Griggs, qui n'a aucune expérience précédente de l'enseignement du cyclisme, il y a quelque chose d'intime à propos de guider une activité habituellement réservé aux parents et leurs jeunes enfants. « C'est un sentiment incroyable », dit-elle. « Je suis toujours très émue. Lorsque nous avons eu notre première session et qu'ils commençaient tous a monteur sur leurs velos, je dois dire que je pleurais.
Par Josie Le Blond à Berlin